L’histoire des unions de la gauche française

Au lendemain du 1 e r tour des élections présidentielles, un mélange de frustration et d’es- poir gagna le «peuple de gauche». Frustration d’avoir manqué de peu la qualification au second tour et espoir porté par le bon score du chef des Insoumis, Jean-Luc Mélenchon.

Et c’est justement ce résultat qui a emmené l’électorat de gauche à penser que l’affaire n’était pas pliée ; Les élec- tions législatives pourraient être pour la gauche française et le peu- ple de gauche une belle occasion tant espérée de court-circuiter le plan d’Emmanuel Macron.

Avant de s’en tenir à l’union pour les législatives, portons un regard sur les unions antérieures de la gauche française. En effet, les par- tis de gauche sont déjà parvenus à s"allier trois fois en vue d"échéan- ces électorales : en 1936 avec le Front populaire, en 1972 avec le Programme commun et en 1997 avec la gauche plurielle.1936 : LE FRONT POPULAIRE

Face à la montée de l’extrême droite au début des années 1930, un pacte d’unité d’action est signé entre le PCF (Parti communiste français) et la SFIO (Section fran- çaise de l"internationale ouvrière). Il s’ensuit la tenue d’une grande mani- festation en 1935 organisée par une cinquantaine d’organisations. Et en 1936, le Front Populaire regroupant le PCF, la SFIO, le Parti radical socia- liste remporte une nette victoire aux élections législatives. Grâce au programme du rassemblement populaire, des avancées sociales en moins de deux ans ont été significa- tives : la réduction du temps de tra- vail pour passer de 48 à 40 heures, les deux semaines de congés payés, l"augmentation des salaires, la géné- ralisation des conventions collec- tives ou encore la reconnaissance de la liberté syndicale.1972 : LE PROGRAMME COMMUNEn 1972, l"objectif des partis de gauche est de conquérir le pouvoir lors des élections législatives de 1973. Un pacte «le Programme commun de gouvernement» est signé en 1972 entre le Parti socia- liste, le PCF et les radicaux de gauche. Mais il aura fallu attendre 1981 pour gagner les élections présidentielles et législatives. En réalité, seule une partie du pro- gramme commun seraréalisé, entre autres : l’abolition de la peine de mort, la réduction du temps de travail (de 40 à 39 heures), la cin- quième semaine de congés payés, la retraite à 60 ans, l"ouverture de la radio et de la télévision au privé et une large politique culturelle.1997 : LA GAUCHE PLURIELLE

Après les deux septennats de François Mitterrand, la gauche est affaiblie. Elle a perdu les législatives de 1993 puis la présidentielle de 1995. En 1997, Jacques Chirac est au pouvoir depuis deux ans. Face à l"essoufflement de sa majorité, il décide de dissoudre l"Assemblée. Le PCF, le PS, les Verts, les radicaux de gauche et le Mouvement des citoyens décident alors de s"allier et remportent les législatives sans vrai- ment d’accord programmatique. Cela donne lieu à la troisième coha- bitation de la V e République avec une majorité dénommée «la majo- rité plurielle». On notera plusieurs réformes réalisées : la réduction du temps de travail à 35 heures, création des emplois-jeunes, la suspension de la conscription, la mise en place de la couverture maladie universelle ou encore du Pacte civil de solidarité.

2022 : RENAISSANCE DE L’UNIONDES GAUCHES FRANÇAISES ?

Après une campagne présidentielle source de frustrations en tous genres, les élections législatives ont ouvert un nouveau champ des pos- sibles aussi inattendu que salutaire. Conclus en un temps record, des accords basés sur un socle pro- grammatique et des candidatures uniques pour les législatives ont été signés entre la LFI et les autres forces de gauche (EELV, PCF et PS). Cette alliance autour de la bannière unique de la Nouvelle Union Popu- laire Ecologique et Sociale (NUPES) fera t’elle date dans l’histoire poli- tique française ? C’est en tout cas, ce que souhaitent les leaders de ces formations politiques, qu’elles soient victorieuses ou pas de ces élections. L’avenir nous le dira. Mais en fait, ces leaders avaient-ils vraiment le choix ?

Tout d’abord, cette décision de s’unir vient de la volonté du peuple de gauche. Depuis l’échec de la m andature de François Hollande, la gauche française avait du mal à se refaire et à inspirer confiance. L’absence de la gauche au deuxiè- me tour de ces élections présiden- t ielles a provoqué de la déception, voire de la colère dans ce peuple de gauche car, l’idée d’une candidature d e rassemblement s’était exprimée tout au long de cette campagne.

D"ailleurs, selon un sondage Elabe «Opinion 2022», 85% des sympa- thisants de gauche étaient favora- bles à une candidature unique. Le score de Jean-Luc Mélenchon à ses présidentielles a été un signal fort lancé par les électeurs de gauche. Au risque de ne plus avoir pendant encore très longtemps cette volonté populaire de rassemble- ment, les forces de gauche et en particulier la France Insoumise n’avaient pas d’autres choix que de se donner les moyens de refaire le «coup» du front populaire !

D’autre part, face à la politique néolibérale d’Emmanuel Macron, face à la montée des néo-réac- tionnaires et, face à l’échec de la social-démocratie, une volonté de rupture gagnait de plus en plus du terrain dans le paysage français. En dépit des différences voire des divergences existant entre ces partenaires de la gauche fran- çaise, l’intérêt majeur du peuple qui souffre a commandé la réalisa- tion de ces accords programma- tiques et la clarification idéolo- gique quelque part. L’urgence démocratique et sociale a exigé cette volonté de rupture et don- ner enfin de l’espoir à tous ceux qui s’étaient déjà résignés.

Mais, il y a un autre enjeu non négli- geable qui a contraint ces forces de gauche à réaliser cette union : Le financement des partis !

Depuis les lois sur le financement de la vie politique de 1988 et 1990, le financement des partis politiques est public, et le financement privé est réglementé. Ainsi, depuis 2017, date des dernières élections qui ont déterminé la composition de l"Assemblée nationale actuelle, plus de 65 millions d"euros ont été ver- sés tous les ans à 16 partis, de La République en Marche au Parti ani- maliste. Ce financement public est donc régi par la loi et, preuve de son importance, il est devenu la pre- mière source de revenus des forma- tions politiques, très loin devant les dons, les contributions des élus ou encore les cotisations des adhé- rents. Concrètement, les aides sont divisés en deux volets. L"un se base sur les résultats électoraux (voix e xprimées aux élections législa- tives), l"autre sur le nombre d"élus (députés et sénateurs). Le bulletin que vous allez glisser dans l"enve- loppe va rapporter un peu plus de 1 ,60 euro chaque année pendant cinq ans au parti de votre candidat, même s’il n"est pas élu. Pour tou- c her cette aide, il suffit que sa for- mation rende publics ses comptes et que ses candidats aient récolté au moins 1% des suffrages exprimés dans au moins 50 circonscriptions. La répartition se fait proportionnel- lement au nombre de voix obte- nues au premier tour. Respecter la parité et présenter autant d"hom- mes que de femmes, permet aussi aux partis de toucher davantage !

Donc, on comprend que prendre le risque de refuser de faire l’union peut faire disparaître un parti poli- tique au niveau national. D’autant plus que toutes ces forces de gauche (sauf la LFI) ne seront pas remboursées de leurs frais de campagne des élections présiden- tielles au vu de leurs résultats (score inférieur à 5%). L’enjeu d’existence est donc majeur !

Gagner le maximum de députés permet ainsi de s’assurer du finan- cement de leur parti et en même temps, la cerise sur le gâteau, prendre le pouvoir à l’Assemblée nationale afin d’imposer une défaite à Emmanuel Macron ! C’est u n enjeu capital pour les forces de la NUPES. Mais pour le peuple de gauche, gagner ces élections légis- latives avec la NUPES c’est redon- ner l’espoir d’une vie meilleure !

La gauche française saura t’elle faire face à leurs divergences sur des sujets de fond ? Saura t’elle convaincre afin de gagner ces élec- tions législatives comme le Front populaire en 1936 ? Mais saura t’elle surtout, en cas de victoire, réussir son programme de rupture et par conséquent changer la vie d’une très grande majorité de Français en souffrance ?