Le protocole familial pour se marier «an tan lontan»

Des générations s’accordent à affirmer que le mariage, depuis plusieurs décennies, a perdu beaucoup de sa valeur contrac- tuelle par rapport à ce qu’il était jusqu’à la fin des années 1950.

De toute évidence, l’évolu- tion des moeurs et de la législation y afférente a favorisé la diminution de l’impor- tance de l’union entre deux êtres, autrefois de sexes différents obliga- toirement. Ce principe a vécu depuis l’institution du «Contrat de partenariat civil», proposé en 1990, suivi du «Pacte civil de solidarité» (PACS), instauré en 1999 par l"arti- cle 515-1 du Code civil, sous le Gouvernement de Lionel Jospin, puis du «Mariage pour tous», loi portée par la ministre de la Justice, Christiane Taubira, promulguée le 17 mai 2013 sous la mandature de François Hollande. Cette évolution, il faut le reconnaître, a considérable- ment impacté la vision du mariage dans nos moeurs et coutumes gua- deloupéennes.

Les propos qui vont suivre ne visent point à porter un jugement de valeur mais seulement à faire con- naître, aux plus jeunes générations, quelle était la portée de cet engage- ment qu’était le mariage, à une époque où, il faut le dire, l’inégalité homme femme au profit de l’homme était admise comme une évidence, comme un postulat

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De nombreux principes étaient donc de règle, tant du point de vue administratif, que familial et reli- gieux. Il faut souligner que, dans la société guadeloupéenne à cette époque, le mariage catholique était largement dominant, les autres formes d’unions religieuses étaient négligeables.

Dans ce chapitre, nous nous inté- resserons seulement au protocole familial qui permettait de contrac- ter mariage. Les protocoles admi- nistratifs et religieux seront décrits dans d’autres chapitres.

1- La règle de la majorité à 21 ansElle s’imposait pour les deux futurs époux. Une dérogation administra- tive pouvait être accordée à la jeune fille, avec autorisation du père, qui émargeait sur les registres civils et religieux, en toute responsabilité.2- La procédure

La demande en mariage incombait à l’homme, selon une procédure coutumière incontournable. Cette intention se traduisait par lettre adressée au père de la jeune fille, chef de famille légal, portée par un homme de confiance et remise en «main propre». La réponse ne se faisait pas attendre, selon la même procédure. (Voir documents origi- naux numérisés).3- La fréquentation de la famille

En cas d’accord de la famille, le demandeur en mariage était auto- risé à fréquenter le toit familial de la jeune fille, à des heures «raisonna- bles», tant pour l’arrivée que pour le départ. Les échanges entre les deux jeunes ne se faisaient pas dans le secret. Aucune sortie n’était autori- sée sans qu’ils soient accompagnés d ’un membre de la famille, père, mère ou autre enfant. Une soirée de bal, par exemple, sur invitation, se f aisait obligatoirement avec la pré- sence de la mère, assise dans la salle pour «superviser». La jeune fille retrouvait sa mère entre deux danses, surtout «non collés-collés» e t les mains de chacun posées sur le corps sans aucune équivoque.4- Le temps des fiançailles

Lors d’une fête réunissant les deux familles, souvent à Pâques ou à la Pentecôte, la bague des fiançailles en or 18 carats, était passée par le prétendant à l’annuaire gauche de la jeune fille qu

i s’engageait ainsi à attendre, le temps qu’il faut, le jour du mariage, en toute loyauté.

Durant la période des fiançailles qui pouvait aller de deux à quatre années, les fiancés n’avaient pas la liberté de leur sortie, sans être accompagnés. Pendant cette période, si ce n’était pas encore le cas, le futur marié se préoccupait d’avoir un toit pour héberger sa future famille, car, il n’était pas question de contacter mariage, sans avoir un emploi et un mini- mum de garantie d’hébergement et de revenus.5- Le jour du mariage

Le père ou, à défaut, une connais- sance de bonne moralité de la famille, faisant office de «lieu de père», donnait le bras dans le cor- tège nuptial pour entrer dans l’église afin de recevoir le sacrement religieux. La mère du futur marié ou une autre connaissance servant de «lieu de mère» l’accompagnait dans les mêmes conditions. Cette céré- monie terminée, les deux mariés religieusement étaient autorisés à ressortir en se donnant le bras, «bras dessus, bras dessous», en tête du cortège nuptial.6- La valeur de l’engagement

L’épouse était pratiquement dé- pendante de son époux en termes de revenus. Souvent, le mari bien placé socialement se faisait un hon- neur d’entretenir son épouse qui devait se consacrer uniquement à l’éducation des enfants. Il lui arrivait malheureusement de subir les déra- pages de toutes natures de son mari, éthiyique, violent ou coléreux. Il n’était pas question de divorcer car, la leçon maternelle avait été bien retenue : «Pran tchè ma fi, sé mayé ou mayé», «courage ma fille, tu es mariée pour la vie», d’autant plus que l’église ne reconnaissant pas le divorce, il n’était pas ques- tion d’envisager un deuxième mariage religieux. Faut-il rappeler que, jusqu’à une certaine époque, la femme n’avait pas le droit de vote et ne pouvait ouvrir un compte bancaire sans l’autorisa- tion de son mari ?

Ainsi se poursuivait la vie, le plus souvent dans l’amour, la joie, la mutuelle concession, en bonne intelligence, avec des enfants dont le nombre pouvait atteindre la ving- taine, mais, malheureusement aussi, parfois, un véritable calvaire pour l’épouse. Depuis des décennies, le mouvement de la condition fémi- nine a revu beaucoup d’aspects.

Nous ne pourrions terminer ce cha- pitre sans préciser que la maternité, en dehors du mariage, n’était pas acceptée par l’Education Nationale française. L’institutrice qui attendait un enfant hors mariage était systé- matiquement radiée, pour cause de moralité car, elle ne devait pas don- ner un tel exemple à ses élèves. Il arrivait que certaines institutrices qui attendaient un bébé, se «débrouillaient» pour contracter un mariage de raison financière, même avec un vieillard, dans le seul but de porter son nom, même s’il était hors de question de vie commune.

Se marier donnait ainsi à la femme une respectable image, ce qui a généré les paroles suivantes d’une chanson ancienne : «En mayé jòdi, divòsé dèmen, en madanm kan menm», «je me marie aujourd’hui, je divorcerai demain, je resterai toujours femme».