Crash d’un Boeing à Deshaies : 60 ans déjà !

La municipalité de Deshaies, l’association «Coreca», l’associa- tion «Justin Catayée», l’associa- tion du «Souvenir des victimes du crash de Deshaies» et l’asso- ciation «Pour la vérité», ont tenu à donner un caractère excep- tionnel à la commémoration du 60ème anniversaire de la catas- trophe aérienne de 1962.

Un ouvrage intitulé : «22 juin 1962. Deshaies- Guadeloupe : Autopsie d’un crash aérien», a été écrit sous la direction de Ronald Selbonne aux Éditions Jasor.

Des rencontres et cérémonies d’hommages ont eu lieu à Des- haies, le 22 juin 2022, à Basse- Terre le 23 juin, et à Pointe à Pitre le 24 juin. À chacune de ces occa- sions, de nombreux témoignages ont été glanés. Le livre a été pré- senté, et des familles de victimes qui ne s’étaient jusqu"alors pas manifestées, se sont exprimées. La délégation de Guyanais de l’association «Justin Catayée» y a pris toute sa part. La commé- moration se poursuivra en Guyane, à partir du 29 juin et verra la présence d’une déléga- tion guadeloupéenne.

La mémoire des 113 victimes de ce drame doit être honorée. Celles d’Albert Béville, alias Paul Niger (le Guadeloupéen), de Justin Catayée (le Guyanais) et de Roger Tropos (le Martiniquais), se doivent de l’être absolument. La vérité sur ce crash doit être révélée. La responsabilité de l’Etat français doit être déterminée

. Mémoire et transmission sont les motivations des organisateurs.

T émoignage de Robert Niçoise lors du crash du 22 juin à Deshaies lorsqu’il n’était qu’un petit garçon…C e matin-là, la montagne était toute rouge. Je m’en souviens par- faitement. Le rouge dominait à l’Est e t ce n’était pas à cause du lever du soleil. Mon grand frère et moi l’avons constaté au réveil.

Nous avons vaqué à nos occupa- tions habituelles qui précédaient le départ pour l’école, puis avons rallié, à pied, la section de Riflet au bourg de Deshaies, par la nouvelle route nationale.

Comme d’habitude, sa longue bande d’asphalte a accueilli les pas de la troupe joyeuse d’écoliers que nous formions. Chaque écolier emportait sa gamelle (manmit) pour le repas du midi. Il portait, en bandoulière, son sac d’écolier en tissu et poursuivait un cerceau pro- venant d’une partie de la jante d’une roue de gros camion ou celle d’une bicyclette.

La troupe s’est désaltérée à la rivière de Ziotte, puis à celle de Mitan. Suivit la cérémonie du «débouch», après quoi mon frère et moi dépo- sâmes nos gamelles chez la bonne âme que fut Mme Némorin, et nous rendîmes à l’école. Il n’y a pas eu classe ce 22 juin 1962. On nous ren- voya chez nous, en nous expliquant qu’il y avait eu un accident d’avion dans les hauteurs de Caféière et qu’il n’y avait pas de survivants.

Tout s’expliquait alors : le grand rou- geoiment de la montagne, l’effer- vescence autour de la mairie, et ce nombre inhabituel de voitures que nous croisions… Et ce va-et-vient de camions militaires qui démarra dans l’après-midi… Et ce convoi funèbre qui dura jusqu’au lendemain. Le soir, et ceux qui suivirent, mon frère et moi avons pu capter, de la buvette de l’épicerie de notre voisine, des récits de certains hommes qui s’étaient portés sauveteurs.

Nous étions tapis dans l’ombre, de part et d’autre d’une belle bande de lumière que diffusait la grosse lampe à pression à pétrole de la pro- priétaire, qui traversait la porte de la buvette donnant sur notre maison. Et nous avons tendu l’oreille. Il se disait que régnait là-haut un specta- cle de désolation, que la forêt avait été brûlée et saccagée, que des corps étaient accrochés aux arbres, que la mort était partout.

Compè Dyab, homme très élancé, raconta qu’il était allé porter main forte dans les bois. Il lui fut remis à un relais, un sac à porter. Il en igno- r ait totalement la nature du contenu. Suite à une glissade qu’il fit, il constata que des bras et des j ambes d’un défunt en dépas- saient. Il s’en délesta prompte- ment et disparut du secteur. Il fit p art de son très grand écoeure- ment à ses auditeurs.

Lequel a raconté avoir vu des corps de femmes déchiquetés et éparpil- lés et se laissa aller à une remarque désobligeante ? Qui a parlé d’odeur particulière qui y régnait ? De la pluie mal venue, de la boue ? Qui a parlé d’or, de bijoux ? Narrateurs et auditeurs semblaient, en tout cas, très touchés par ce qu’ils avaient vécu et entendu.

Je sais que les horreurs décrites et apprises plus tard, m’ont beaucoup affecté et ont hanté mes nuits d’en- fant pendant longtemps. Dès les premiers jours ayant suivit la catas- trophe, il nous fut interdit de boire l’eau de nos deux rivières. Nos usages et cérémonies d’écoliers dis- parurent et les vacances arrivèrent.

Pendant longtemps, ce drame effroyable fut le sujet de toutes les conversations dans la commune. On parla de personnes qui s’étaient servies en bijoux, en argent liquide e t en or ayant appartenu aux mal- heureuses victimes. Certaines furent mises en prison. On dit q u’elles eurent leur salut grâce à la venue en Guadeloupe, d’un célèbre président de la République fran- ç aise. Le soupçon pèse toujours sur l’origine de la «fortune» d’autres compatriotes.

Plus tard, je pris connaissance du nombre, des nationalités et du terrible destin de certains des dis- parus. Sont restés gravées dans ma mémoire, les flamboyants figures de Béville et de Catayée. Un peu plus tard encore, je pris conscience de l’immense perte qu’a représenté pour mon pays un tel drame, qui a emporté nombre de ses valeureux enfants.

Je décidai un jour, de me rendre seul, sur le lieu de la catastrophe. Je dois avouer que j’ai ressenti des choses dans mon corps, dans mon coeur, dans ma tête. Je suis toujours submergé par l’émotion, chaque fois que je m’y rends. Mes nom- breuses participations aux cérémo- nies d’hommages aux victimes, y compris mon rôle de co-rédacteur du discours du maire, à l’occasion du 30 ème anniversaire du crash, n’ar- rivent pas à l’estomper.