Le révisionnisme dans la culture d’un peuple

Le révisionnisme au sens premier du terme consiste à avoir une position de révision dans différents domaines se rattachant au passé. Le révisionnisme culturel s’attaque aux us et coutumes, voire aux croyances.

Inexorablement, toutes les sociétés humaines évoluent, grâce à l’intelligence de l’homme. C’est celle-ci qui lui permet de créer les conditions optimales matérielles et immatérielles de vie et de survie, même quand il porte atteinte gravement à l’équilibre naturel et à l’intégrité de la planète et du système solaire.
Cependant, pour analyser le passé, il faut toujours considérer les faits dans leur époque, se garder de les dénigrer, et surtout, ne jamais oublier qu’ils ont été à la base de la formation intellectuelle, philosophique et idéologique des générations. A défaut, on tombe malheureusement sous le coup d’un véritable révisionnisme négationniste, mal à propos, que l’histoire qualifie de position contestatrice.
UNE ENTREPRISE DE PLUS EN PLUS INSUPPORTABLE CULTURELLEMENT EN GUADELOUPE
Ce révisionnisme culturel concerne différents aspects de notre culture et notamment :
- Nos us et coutumes
- Nos recettes alimentaires
- Notre lexique créole
- Nos registres lexicaux créoles
- L’expression de nos sentiments
Cette remise en cause de nos croyances, préjugés et pratiques culturelles date, certes de plusieurs décennies mais, elle devient de plus en plus insupportable. Il convient de la dénoncer. Elle s’apparente à un «déchoukaj», un déracinement, un déboulonnage, culturels. «Un peuple ignorant de son histoire est comme un arbre sans racines» (Marcus Garvey). Quelques exemples suffisent à étayer nos propos.
DES US ET COUTUMES
L’hommage rendu à nos morts à la Toussaint dans des cimetières illuminés par des milliers de bougies subit, chaque année, un assaut de critiques qui se résument par la phrase déconcertante : «Tou sa pa ka sèvi ayen. Apwé lanmò sé tibèt» : «Tout cela ne sert à rien. Après la mort, les vers dévorent le cadavre».
DES RECETTES ALIMENTAIRES
Elles sont dénaturées à outrance et on s’en approprie sans aucune référence aux origines ancestrales, si bien que des compatriotes outrés se sentent dans l’obligation d’intervenir publiquement pour rétablir, par exemple, la composition du «bébélé marie-galantais», du «tourment d’amour saintois» ou du court-bouillon de poisson au roucou.
NOTRE LEXIQUE CRÉOLE
Tout en reconnaissant qu’il peut varier ou peut être nuancé d’une région à l’autre de la Guadeloupe, il ne doit pas souffrir de significations inappropriées ou de mots venus d’ailleurs dont on détourne le sens.
Ancêstralement parlant, l’expression «an ti krazi» s’applique à des miettes d’aliments tel «an ti krazi a pen». «An ti krazi a tan» inventé par un animateur de radio privé est inacceptable. Et que dire du détournement du sens de mots étrangers pour s’exprimer dans notre créole ? Nos «sirèt» et «sitè» par exemple, deviennent respectivement des «pòm sirèt» et «pòm sitè» du créole martiniquais.
Le «kamo» ou «milan» martiniquais est utilisé abusivement depuis quelques mois par une animatrice de radio pour désigner ce qu’on entend en français par «un proverbe», une moralité, ou en créole par «an pwovèb», «an lèsonn moral». Qu’elle sache que l’équivalent du «kamo ou milan» martiniquais est, en Guadeloupe : «an fwé ; an ti fwé» c’est-à-dire une curieuse nouvelle de dernière heure qu’on répète avec prudence. L’appellation «kamo» de son. émission est une déculturation.
NOS REGISTRES
LEXICAUX CRÉOLES
Toutes les langues ont leurs vocables grossiers ou polis. Certains de ces vocables grossiers du créole ont été même une invitation au combat, au duel, selon la sensibilité de l’émetteur et du récepteur. Et pourtant, ils sont banalisés dans le langage populaire depuis quelque temps, diffusés par des slogans de revendications, par des oeuvres dites d’art, comme des chansons, des romans, des poèmes, en prétextant que : «kréyòl sé lang an nou», le créole c’est notre langue. On y trouve pêle-mêle par exemple : les «fouté malkan» ; les «fann tchou» ; les «voyéy chié» ; les «kougna manman» etc,.. autant d’expressions bien enracinées dans notre culture mais que nous savions utiliser à bon escient, en tenant compte de notre devoir d’éducation de nos enfants.
Le non-respect de cette règle éducative banalise le créole et en fait désormais une langue sans registres vocaux, sans couleur, sans odeur, sans saveur.
L’EXPRESSION DE
NOS SENTIMENTS
Cette volonté de révisionnisme culturel s’attaque jusqu’à ce qu’il y a de plus profond de notre «moi», s’agissant de nos sentiments. Et c’est ainsi que l’on cherche à :
- nous interdire le concept de «fanm poto mitan» qui inspire la responsabilité, la force et le courage pour son remplacement par «fanm ròz kayèn» qui inspire la coquetterie, la fragilité, l’attentisme et l’oisiveté.
- nous faire bannir le vocable «esclave» pour l’expression «Afri-cain réduit en esclavage», oubliant que si des Africains ont été effectivement réduits à l’origine en esclavage en foulant notre Gua-deloupe, ils ont bien engendré des êtres humains nés sous le statut d’esclaves, desquels nous descendons avec fierté de génération en génération.
- nous culpabiliser quand nous utilisons la célèbre pensée française : «derrière chaque grand homme il y a une grande dame». Une expression qui met en relief pourtant que l’homme doit son honorable destin à la capacité de sa compagne à l’aider avec efficacité et abnégation, sans jamais avoir le sentiment que la femme n’est pas en mesure de faire autant que l’homme.
UNE ATTITUDE AU SERVICE D’UNE IDÉOLOGIE
En conclusion, il s’avère que ce révisionnisme est le plus souvent au service d’une idéologie politique, sociale, économique, religieuse. Il méconnait consciemment ou inconsciemment les réalités de l’existence à une époque donnée et s’attache à les dénaturer ou les dénigrer. Il nous appartient d’appeler au plus grand respect des aïeux qui nous ont permis notre enracinement, notre «anchoukaj» culturel et d’être aujourd’hui et demain ce que nous sommes et serons.