Sonjé Charlòt

Il existe de petits pays, mais il n’existe pas de petits peuples. La Guadeloupe est certes une nation en devenir mais la richesse patrimoniale et historique mise en lumière chaque jour par un travail conséquent, réalisé précisément pas à pas par nos chercheurs, scientifiques et autres intellectuels participe vaille que vaille à la construction de ce peuple qui se bat pour une meilleure appropriation de son histoire. Il faut comprendre d’où l’on vient pour comprendre où l’on va.

A Petit-Canal, dimanche 28 août 2022, l’association «Bitasyon poyen bèl bo» a fait fort, lors de la première édition d’une manifestation mémorielle intitulée «Sonjé Charlot».
Il parait évident de souligner que le travail tenace réalisé par cette association, mérite un détour pour contempler et apprécier les importants vestiges patrimoniaux des 18e, 19e et 20e siècles mis en lumière aujourd’hui. Il faut rappeler que ce site qui se trouve dans le prolongement du terminus du petit train est également propriété du département.
La présidente de l’association en la personne de Véronika Pensedent, entourée de son équipe composée notamment d’une demi-douzaine de jeunes a trouvé un allié de poids avec la présence de l’historien Jean Barfleur dit Baba à ses côtés. Ce dernier par ses recherches leur permet d’appréhender à sa juste dimension l’existence de ce patrimoine que le temps, les intempéries et l’oubli avaient pratiquement effacé des mémoires. Dans leur quête de réhabiliter et de faire revivre le site, il leur fallait dans un premier temps déboiser, élaguer, fouiller, parfois bécher pour faire émerger ce trésor et comprendre l’interdépendance qu’il y avait avec les bitasyon limitrophes de Clugny, Rancongne et le débarcadère de Beautirant

. Parallèlement il fallait consulter des archives, analyser les circonstances, faire corroborer des dates etc. Et c’est là, à la grande satisfaction de l’historien Baba que surgit Charlotte, une esclave de l’habitation Poyen.
D’après ses dires : «Le 27 mai 1802, alors qu’Ignace venait d’être vaincu deux jours auparavant à la redoute de Baimbridge le 25 mai, et que Delgrès se faisait exploser avec plus de 300 de ses compagnons à Danglemont un jour plus tard le 28 mai, un groupe de rebelles, rescapés de la chevauchée d’Ignace en provenance de Basse-Terre était attaqué par des soldats grenadiers de Richepanse à Sainte-Rose. Attaqué, pour être exécuté ou emprisonné. Parmi ces emprisonnés, une femme, dénommée Charlotte. Celle-ci est décrite par le rapport militaire comme esclave affranchie en 1794 de… l’habitation Poyen à Petit-Canal. Emme-née enchaînée comme d’autres vers Pointe-à-Pitre, elle tente de s’évader à Baie-Mahault. Et est alors exécutée, lors de cette tentative».
La date du 28 août 2022 a été retenue parce qu’elle correspond à l’abolition de l’esclavage à Saint-Domingue qui est menée par Santhomax, le 29 août 1793. C’est la première possession française qui mit fin à l’esclavage.
UNE TRANSMISSION DE NOTRE SAVOIR ANCESTRAL
Cette épopée a eu le mérite d’être racontée uniquement par des jeunes devant un public avide de connaissances et d’informations au sein duquel on pouvait noter une importante délégation de la municipalité de Petit-Canal, con-duite par sa 1ère adjointe madame Sheila Rempath, conseillère régionale de la Guadeloupe en charge du tourisme, de monsieur Mode-vène Magen-Terrasse adjoint en charge du patrimoine et de la culture et des conseillers Mario Alléaume et Jordan Danièle.
Tous ont reconnu le travail important réalisé par l’association sur le terrain et fait remarquer que, «Latilyé listwa patrimwàn é kilti» de l’association Bitasyon Poyen Bèl Bo peut s’enorgueillir de former, d’éduquer et de conscientiser cette frange de notre jeunesse pour assurer la transmission de notre savoir ancestral.
Cette célébration de Charlotte s’est par la suite poursuivie par une compétition inédite de «chayé asi tèt» où neuf concurrentes ont su rappeler, «avè pannyé, so é tré», l’adresse, l’endurance et la force de nos mères, grands-mères et arrières grands-mères, de toutes ces femmes debout depuis l’esclavage. Cette journée d’hommag

e symbolique s’est achevée avec émotion par une plantation d’arbre, soit trois Mapous gris, en l’honneur de Charlotte, «an mitan savann Gran-ma-là…».
Avec les marches des esclaves, la flame des esclaves inconnus, le fondal ka, les totems en mémoire des grands mèt-ka etc, l’épisode «Sonjé Charlòt», vient enrichir le patrimoine historique de la ville de Petit-Canal et confirme son label «Petit-Canal carrefour de l’histoire».