Musique, esclavage colonialisme aux Antilles françaises au XVIIe-XIXe siècle

Un tel sujet suscite beaucoup de questions, d’abord sur l’origine, les pratiques et la place occupé par la musique à cette époque. Ce thème a été présenté à la Médiathèque Caraïbe Bettino Lara, le 13 juillet 2022. Pour mieux cerner le sujet, nous avons rencontré l’auteur M. Bernard Camier, qui nous dit un peu plus sur ses années de recherches. Il est à noter que cette recherche est la résultante d’une thèse de doctorat d’il y a plus de 25 ans.

Pour se lancer dans de telles recherches, quel a été le point de départ de votre réflexion ?
Bernard Camier : C’est toujours la mê-me question. A savoir de quelle manière, le colonialisme a imposé sa marque sur la musi-que aux Antilles et en particulier sur la musique afro-créole ? Toutes les musiques ont été concernées y compris les musiques des blancs. La musique afro-créole a gardé quelque chose qui vient du colonialisme et qui se voit encore même au XXe siècle.
Quand on a en mémoire les difficultés auxquelles le Gwoka a eu à faire face pour revenir comme une musique revalorisée, on n’en disait que des choses désagréables. Tout cela découle de la hiérarchie des valeurs qui a été instaurée par le colonialisme.
Pour comprendre cette période, il y a un deuxième problème très spécifique à la colonisation aux Antilles, notamment en Guadeloupe qu’il faut prendre en compte. En fait, les colons ont toujours voulu faire oublier l’histoire.
Concernant l’histoire évènementielle, on la connaît maintenant beaucoup mieux parce que plein de gens y ont travaillé depuis des années. En revanche, quant à l’histoire de la musique, on la connaît assez mal et on raconte beaucoup de choses assez schématiques.
Qu’entendez-vous par là ?
Par exemple, lorsqu’on voit des bouquins qui sortent sur la musique traditionnelle, en particulier sur le Gwoka, il y a toujours au début, un chapitre introduction et historique. Généralement dans ces préambules, ils mettent en parallèle des textes que l’on a depuis le XVIIIe siècle, ils les ressortent et les mettent après leur laïus sur la musique du XXe siècle. C’est typiquement un comportement du colonialisme parce que le colonialisme a toujours voulu instaurer l’idée qu’il n’y a pas d’histoire.
C’est bien Nicolas Sarkozy qui a déclaré que l’Afrique n’est pas assez entrée dans l’histoire. C’est là, une conception immobile de l’histoire où certains considèrent que les choses qui sont passées au XVIIIe siècle sont les mêmes au XXe siècle.
On oublie les changements qui se sont opérés dans la société et qui ont impactés la musique.
Dans mes recherches, j’ai découvert qu’on a réduit les rapports entre colons et esclaves à des choses relativement schématiques, en particulier en ce qui concerne la musique.
Par exemple, cela fait longtemps que des musicologues antillais comme Marie-Céline Lafontaine, ont souligné l’importance des formes qui ne sont pas directement des formes afro-créoles, c’est le cas du quadrille.
Cette musique en définitive a pris naissance au XIXe siècle dans un contexte de racialisation alors que les gens n’ont pas encore le concept de race. Ils n’ont pas encore les questions biologiques qu’ils maîtrisent, ils ne connaissent rien de l’ADN (Acide DésoxyriboNucléique).
On passe vraiment à un racisme institutionnel du XIXe siècle avec des textes théoriques pour définir d’après votre origine, votre couleur ce que vous pouvez faire ou pas évidemment les blancs pouvaient tout faire mais pas les noirs.
Donc, dans les sociétés créoles (Guadeloupe, Martinique…) il y a des gens qui vont se mettre à faire des musiques métissées qui sont des musiques de contestation.
On peut considérer que le quadrille est une forme de contestation, comme aussi une forme d’assimilation. Sur la question des traditions Marie-Céline Lafontaine a interviewé Carnot (François Moléon Jernidier), lequel dévoilait que durant son jeune âge, qu’il n’y avait pas 7 rythmes.
En définitive, dans la conception de la musique traditionnelle telle que nous la connaissons aujourd’hui, on a tendance à oublier l’histoire et que les choses ont évoluées.