:Être des éternels colonisés Devrions-nous nous résigner ?
L’aliénation culturelle, si l’on se réfère à ses implications psycho-politiques, est incontestablement l’une des composantes essentielles de l’entreprise coloniale.
Mon propos peut paraître paradoxal, mais je ne peux m’empêcher d’exprimer ma subjectivité. Ce qui motive ma réflexion, c’est le peu de cas que nos compatriotes attachent à l’usage du mot «population» dans le langage courant. Et ce vocable, employé à tout propos dans les conversations, tant par ceux qui sont prétendument conscientisés que par ceux qui ne le sont pas, s’entend comme un artifice linguistique qui s’incruste de plus en plus dans la conscience collective, en raison d’une manipulation innommable qu’incarne cette déviance. Pourtant, nous continuons toujours d’être une communauté originale.
L’ENTREPRISE DE MYSTIFICATION DE L’ETAT FRANÇAIS
Certes, l’Etat colonial français, avec la complicité des assimilationnistes locaux et de certains journalistes pour les besoins de sa politique, s’évertue à chasser de l’esprit de nos compatriotes l’idée que nous sommes un peuple avec les caractéristiques y attenant : une manière de vivre commune, des intérêts communs, une langue, le créole, le sentiment d’appartenir à une même communauté etc…
Il en est ainsi également du mot «Métropole» en usage, lorsqu’un interlocuteur hexagonal s’adresse à nous ; ce qui constitue, à n’en pas douter, un non-sens et n’en reflète pas moins une ambiguïté. L’utilisa-tion de ces deux mots intégrés à notre subconscient, également employés dans le même esprit par nos représentants locaux à des fins politiciennes, n’a d’autre objet que de rassurer et aider le pouvoir colonial dans son entreprise de mystification. Or, la «Métropole» suppose corrélativement, la colonie. Le recours fréquent à cette expression dans nos rapports avec la France, si tant est qu’elle fut de mise jadis, consacre aujourd’hui une antinomie, c’est-à-dire une contradiction, un rapport inégalitaire entaché de paternalisme, entre le pays colonisateur et le pays colonisé.
LA CLASSE POLITIQUE ACTUELLE NE S’EN ÉMEUT POINT
Si la loi du 19 mars 1946, nous a rendus semblables, par hypothèse, à la France, il n’en reste pas moins que l’emploi constant de ce vocable, «Métropole», à notre endroit, signifie tout simplement une manière évidente de perpétuer le système colonial en intériorisant chez le colonisé une infériorité sous-jacente, une dépendance interminable vis-à-vis du colonisateur. Dans le passé, nos camarades communistes, imprégnés de la notion de lutte de classes, critère essentiel du marxisme-léninisme, siégeant dans les assemblées locales, s’attachaient autant que faire se pouvait, à défendre notre dignité et juguler, sans considération de profit immédiat ou potentiel, la capacité des forces réactionnaires. Mais, actuellement, la classe politique, dans son ensemble, se complaît dans le carriérisme, avec en toile de fond une possibilité d’enrichissement qui peut aller jusqu’à la corruption, sans se soucier du sort des masses laborieuses.
Cette affirmation est d’autant plus fondée que, l’univers de la consommation dans lequel elle baigne, la dissuade d’adopter une position réaliste en face des situations. Par exemple, aucun d’entre eux, en tant que représentant nominal du peuple guadeloupéen, ne pense à l’émergence d’un projet de société. Ils sont très rares ceux qui osent interpeller le gouvernement sur le sort des soignants injustement sanctionnés par la problématique de l’obligation vaccinale, affectés tant matériellement que psychologiquement par cet épisode sanitaire. En effet, après maintes atermoiements, seul le député de la 1ère circonscription, Olivier Serva, récemment réélu, a osé lever le petit doigt en faveur des suspendus subitement dépourvus de ressources.
UNE DÉMISSION POLITIQUE
QUE CHERCHENT À COMBLER LES SYNDICATS
Les élus, dans leur majorité, versent dans la collaboration et refusent d’affirmer une volonté de rupture avec l’Etat colonial français. Ils usent tous de faux-fuyants pour éluder la question de l’évolution statutaire qui demeure pour eux un sujet tabou, faisant en cela preuve d’un mutisme coupable, d’un manque de courage politique. Pourvu que soit garantie leur sécurité matérielle ! C’est pourquoi, le pouvoir colonial constatant leur irresponsabilité, les infantilise et leur reproche, à juste titre, un manque de crédibilité.
En réaction contre cette démission qui relève intrinsèquement de leurs fonctions, paradoxalement, les syndicats sont contraints de prendre le relais en s’opposant à l’arbitraire colonial, en remplacement de nos politiques défaillants et incompétents, quitte à s’exposer à la répression syndicale. Notons qu’en pays colonisé c’est la lutte des travailleurs qui paie.
La répression accompagnant invariablement toute revendication qui s’inspire du droit et de la justice sociale. Le moins que l’on puisse dire est que l’on s’enfonce de plus en plus dans un immobilisme actif.
Dans ce décor, l’inexistence du débat politique démontre, à l’évidence, un dysfonctionnement démocratique manifeste. Ceux qui préconisent un nouveau type de relations avec la France, ne siégeant pas dans les assemblées locales ou au Parlement, ne figurent pas dans les débats télévisés. Il s’agit là d’un gel de la confrontation des opinions qui subsistera tant que ne sera pas rassemblée en télévision la pluralité des courants politiques qui existent dans notre pays.
LE MAL-DÉVELOPPEMENT, RÉSULTANTE DU RÉGIME
ASSIMILATIONNISTE
Les problèmes que nous rencontrons sont liés à la structure économique de la France, c’est-à-dire, à la fois à l’économie capitaliste axée sur le profit et à la situation particulière qui nous est faite, en tant que pays sous tutelle, non parvenu à la décolonisation. En réalité, nous ne sommes pas gouvernés comme un département ordinaire de France.
La législation française se heurte à nos spécificités, à notre manière de vivre. C’est une illustration du système néo-colonial. Il en sera toujours ainsi tant que nos gouvernants s’obstineront à nous faire une application stricto sensu des lois adoptées par le Parlement qui sont valables pour un département hexagonal.
En nous conformant à l’objectivité historique, l’on conviendra que le Parti Communiste Guadeloupéen, en organisation politique responsable, bien avant le récent appel de Fort-de-France qui s’inscrit dans une démarche purement conjoncturelle, regroupant les exécutifs antillo-guyanais, avait émis une revendication qui, en 1958, au plus fort du règne colonial, revêtait un caractère éminemment révolutionnaire : l’autonomie politique, à savoir, la traduction dans les faits d’un transfert de compétences réelles qui tranche avec la subordination coutumière, conditionnant des pouvoirs élargis.
Mais nos gouvernants n’ont que faire de la légitimité de cette revendication fondamentale. Ils n’ont à coeur que de pérenniser la domination coloniale, obnubilés par la notion de grandeur française qui gît dans leur inconscient collectif et de la soif d’accumulation de profits qu’ils tirent de l’exploitation capitaliste-coloniale.
Ce faisant, ils oublient que nous sommes un peuple comme tous les autres peuples du monde, avec ses attributs et sa singularité. Ce qui est autorisé et pratiqué en France n’est pas forcément bon pour nous. C’est à la lumière de cette évidence que se mesure le degré de désaliénation de l’homme français ou européen. Le mal-développement dont nous souffrons étant la résultante du régime assimilationniste qui perdure avec la dépersonnalisation de l’homme guadeloupéen.
Il est vrai qu’avec les élus que nous avons, notre peuple n’a pas de repères. Il est déboussolé. Le colonialisme français a façonné notre mental dans une mesure telle, que nous oublions qui nous sommes, nions notre essence, nos origines, au point de baigner dans une ambiance franco-guadeloupéenne qui n’a pas l’air de s’estomper. La situation dans laquelle se trouve notre pays est visiblement chaotique.
UNISSONS-NOUS POUR BRISER LES VERROUS DE NOTRE
DÉPENDANCE
Par conséquent, nous invitons notre jeunesse à s’engager, s’investir dans la lutte pour la construction d’une nouvelle société, à se rassembler autour des organisations anticolonialistes, plutôt que de s’amuser, danser, donner autant d’importance aux occasions festives qui vous dispensent de réfléchir.
Ensuite, les moins jeunes désabusés, à délaisser les jeux de hasard parfois générateurs d’endettement. Enfin, tous les démocrates militants ou pas, épris de dignité, à se mobiliser. Le contexte géopolitique, symbole de la pensée unique ne prédisposant pas à la libération des peuples coloniaux comme autrefois sous l’égide de l’URSS.
Devons-nous pour autant nous résigner, nous satisfaire de notre condition d’éternels colonisés ? Sortons au contraire de notre léthargie ! Unissons-nous pour briser les verrous de notre dépendance ; sinon, nous risquons de devenir des étrangers dans notre propre pays et l’avenir pour les générations futures sera un enfer.