ARTICLE 49-3 DE LA CONSTITUTION FRANÇAISE Une épée de Damoclès politique

Le mercredi 02 novembre 2022, le Premier ministre, Elisabeth Borne, habilitée par le Conseil des ministres, a appuyé, pour la quatrième fois, en deux semaines, sur le bouton rouge de l’article 49-3 de la Constitution française, pour faire adopter, en première lecture, sans vote par l’Assemblée nationale, l’ensemble du projet de loi de finances (PLF) 2023.

Pour ou contre cette Constitution de la 5e République, elle est bien scellée dans le marbre depuis 1958, par l’illustre Général de Gaulle «sauveur de la France», et révisée 24 fois depuis, la dernière révision datant de 2008, sans qu’aucun gouvernement n’ait eu l’idée de supprimer purement et simplement cet article 49-3. C’est pourtant une arme fatale, suspendue comme une épée de Damoclès au plafond du Palais Bourbon, haut lieu de la démocratie.
QUE DIT CE 49-3 ?
«Le Premier ministre peut, après délibération du Conseil des ministres, engager la responsabilité du gouvernement devant l''Assemblée nationale sur le vote d''un projet de loi de finances ou de financement de la Sécurité sociale. Dans ce cas, ce projet est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues à l''alinéa précédent. Le Premier ministre peut, en outre, recourir à cette procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par session».
OBJECTIF FONDAMENTAL
La Constitution française établie depuis 1958 est dite «loi fondamentale» c’est-à-dire, une Constitution écrite, «rigide» destinée à assurer la stabilité de l’Etat. Sa révision nécessite l’adoption d’une loi constitutionnelle, selon une procédure spéciale définie par l’article 89. Cette procédure implique l’Exécutif, le Parlement et le peuple directement (ratification par référendum) ou indirectement (approbation par le Parlement réuni en Congrès).
Faut-il rappeler que, la gouvernance de la France est régie par l’article 4 :
«Les partis et groupements politiques concourent à l''expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement. Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie.
Ils contribuent à la mise en oeuvre du principe énoncé au second alinéa de l''article 1er dans les conditions déterminées par la loi.
La loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la nation».
Il découle de ces rappels que cet article 49-3 est bien une émanation du peuple, par la démocratie directe ou représentative. Son usage, abusif ou pas, ne peut être qualifié, ni d’anti-démocratique, ni de totalitaire. Et les gouvernements s’alternant, par le jeu des partis et groupements politiques, misent toujours sur cet article pour appliquer leur politique de campagne électorale, si d’aventure des velléités de déstabilisation apparaissaient. C’est donc de cela que découle son objectif fondamental : couper court aux intrigues politiques et politiciennes.
DES CRIS D’ORFRAIES INFONDÉS
Et c’est bien dans cet esprit que le Premier ministre Elisabeth Borne a tenu à obtenir, sans vote, l’approbation de l’Assemblée nationale, en première lecture, de la deuxième partie et l''ensemble du projet de loi de finances pour 2023, après trois semaines de débats houleux, compte tenu des nombreux amendements à étudier.
C’est éminemment un acte d’autorité de l’Exécutif qui s’apparente à l’acte ancestral d’autorité parentale envers les enfants. Dans la colère, il s’exprime par : «ou pé kriyé, ou pé maté, sé sa en dir fè» ou dans le domaine de la boxe par un «KO debout». Reprenant leur souffle, des cris d’orfraie s’élèvent de partout et notamment des députés des oppositions et ultra marins.
- De Mathilde Panot (France Insoumise) : «Nous refusons de nous habituer à la méthode du 49-3».
- De Jean-Philippe Nilor, élu martiniquais (gauche démocrate et républicaine, une composante de la Nupes) : «C’est un manque de respect du travail des parlementaires quels qu’ils soient, de tous les camps, parce que nous avons passé des nuits à travailler, à débattre, à amender, à corriger le texte».
- Des socialistes, communistes et écologistes : «Cette violence institutionnelle qui passe par le 49-3, nous la déplorons».
- De Jean-Hugues Ratenon, député de La Réunion, (France insoumise) : «l''usage du 49-3 est une atteinte à la démocratie… C’est totalement totalitaire,… dès le début de la mandature, ils [le gouvernement] avaient clamé qu’ils voulaient travailler avec tout le monde, dans la concertation».
- De Marcellin Nadeau, député de la Martinique (gauche démocrate et républicaine). Il se dit «scandalisé», rappelant que le gouvernement avait jusqu’au 31 décembre pour faire voter le budget.
- De Frédéric Maillot de La Réunion (Nupes) : la «minorité gouvernementale» est très éloignée des problématiques des Réunion-nais et des Ultramarins». «Nous avons à travers nos amendements tenté tant bien que mal de les raisonner, de rectifier le tir».
- De Max Mathiasin, de Guadeloupe, (Liberté et Territoire : LIOT) : «Ils nous ont laissé l''hémicycle». Ils étaient en effet 58 présents sur 577 députés à discuter le budget de la mission Outre-Mer, en présence du ministre délégué Jean-François Carenco et de la vice-présidente de l''Assemblée Yaël Braun-Pivet, présidant la séance.
- D’Eric Califer, apparenté socialiste : «Ni compromis, ni ambition ne se logent dans le 49-3».
- De Christian Baptiste, Parti progressiste démocratique guadeloupéen (PPDG), apparenté socialiste : «Le gouvernement a voulu venir faire son marché avec des amendements, de très bons amendements qui ont été acceptés par la majorité».
Comme on le constate, chacun y va de son trémolo, d’autant plus que, jusqu’ici, aucune des motions de censure déposée pour le principe n’a pu renverser le gouvernement. C’est ce que notre belle langue créole traduit par : «an ti lélé pou gaga vwè».
UN BUDGET RETOQUÉ
PAR ELISABETH BORNE
On comprend la profonde déception des députés ultra-marins, exprimée plus particulièrement par les déclarations de Max Mathiasin et Christian Baptiste. Les députés ultra-marins, lors de la séance pour le vote du budget de la mission Outre-Mer dans la nuit du vendredi 28 au samedi 29 octobre 2022 avaient augmenté de 200 millions d’euros le budget de 300 millions d’euros arrêté par le gouvernement, et avaient obtenu son approbation, par : 41 voix pour et 17 abstentions. Ils s’étaient frotté les mains, à coeur joie, devant l’impuissance du ministre délégué Jean-François Carenco à s’y opposer. Hélas ! Ce n’était qu’un marché de dupes.
En effet, dès le mercredi 02 novembre, le coup du 49-3 permettait au Premier ministre Elisabeth Borne de retoquer ce budget, fustigeant les oppositions d’avoir «profondément bouleversé la cohérence et les équilibres du texte». Par un geste magnanime non avoué, elle concédait une augmentation de 50 millions d’euros. Le budget des Outre-Mer devrait donc augmenter de 350 millions d''euros en 2023. Quelle déconvenue pour ces députés ultra marins présomptueux !
Un tel dénouement est bien le fait de dispositions constitutionnelles mises en place par tous les parlementaires, y compris ceux dits ultra-marins des colonies qui sont, avant tout, des parlementaires de la nation française, puisque cette Constitution a réduit le peuple guadeloupéen à une composante de la population française.
Il appartient donc, aux parlementaires ultramarins et singulièrement ceux de la Guadeloupe, d’en tirer, encore une fois, toutes les conséquences, si et seulement si, ils estiment ne plus pouvoir supporter les dégâts de cet article 49-3 décrié, mais qui sert ou dessert selon le camp auquel on appartient. Qu’ils se disent cependant que, quel que soit le régime démocratique à instituer dans ce pays Guadeloupe, il sera défini par une législation émanant du peuple guadeloupéen souverain qu’il faudra respecter !