Qu’en est-il de l’affaire Claude Jean-Pierre ?
Il y a deux ans, le 3 décembre 2020 décédait Claude Jean-Pierre. Originaire de Deshaies, maçon retraité de 67 ans, un homme calme sans histoire discret et bon vivant, Claude Jean-Pierre, surnommé «Klodo» a eu le malheur et la malchance de croiser la route de deux officiers de gendarmerie, il en est mort. Deux ans après sa fille Fatia et son gendre Christophe attendent toujours de savoir et de comprendre : Comment ? Pourquoi ? Par qui ? Nous les avons rencontrés et ils ont accepté de nous parler.
Pouvez-vous nous rappeler les circonstances du décès de votre père et beau-père ?
Le 21 novembre 2020, aux environs de 14h00, Claude Jean-Pierre fait l’objet d’un contrôle de gendarmerie à Deshaies. Pendant ce banal contrôle, les deux officiers font appel aux pompiers, car, selon leur version, Claude est victime d’un malaise. Conduit au CHU de Pointe-à-Pitre en réanimation, le service médical fait état d’un coma, d''une double fracture des cervicales, et d’une tétraplégie. Malgré les soins prodigués, Claude succombera à ses blessures et décède le 3 décembre 2020.
réalisée visant à stabiliser ses vertèbres. Il m''informe d''une lésion de la moelle épinière et confirme la tétraplégie constatée lors de son admission. Les médecins nous font part de leurs interrogations et de leur inquiétude face à l''ampleur et la gravité des blessures constatées. C''est ainsi que s''éveillent nos incompréhensions et nos premiers doutes.
Pourriez-vous nous en dire plus sur ces doutes et sur vos démarches ?
Nous avons besoin de comprendre l''origine de telles blessures. Alors que les gendarmes ont déclaré qu''il s''agissait d''un simple malaise, les lésions constatées laissent supposer qu’il a pu subir des violences. Suite à de nombreuses investigations, nous apprenons que la ville est dotée d''un système de vidéosurveillance, et qu''une caméra est placée non loin du lieu du contrôle. Nous entamons alors les démarches afin d''avoir accès à cette vidéo. Les images de la vidéosurveillance étant privées, il fallait porter plainte pour y avoir accès. Seulement, lorsque j''ai voulu déposer plainte à la gendarmerie de Sainte Rose, celle-ci a été refusée. L''agent m''invite à me rendre à la gendarmerie de Deshaies, je refuse de m''y rendre car nous soupçonnons les deux gendarmes ayant contrôlé mon père d''être à l''origine de ses blessures. Ainsi, avec l''aide de l''avocat de la famille, Maître Bernier, une plainte est déposée auprès du procureur de la République de Basse-Terre, le 2 décembre 2020. Le lendemain, 3 décembre, mon père décède. Un juge d''instruction est alors saisi et une information judiciaire ouverte pour homicide involontaire. Les enquêteurs saisissent aussitôt les images de la vidéo surveillance.
Quelles actions avez-vous menées ?
Nous sommes représentés par un collectif d''avocats guadeloupéens composé de Maître Bernier, Maître Aristide, Maître Calvaire, Maître Chevry, et Maître Rhodes. Nous demandons dès le départ, la suspension des deux gendarmes mis en cause. Nous demandons la saisine de l''Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN).
Nos avocats demandent l''accès et le visionnage de la vidéosurveillance, le compte rendu de l''autopsie. Nous avons saisi la défenseure des droits, Mme Claire Hédon. Nous avons écrit au ministre de la Justice, M. Éric Dupond-Moretti, ainsi qu''à plusieurs député(e)s, sénateurs-trices.
Toutes ces démarches nous ont aidé, tant bien que mal, et malgré les obstacles à avoir accès aux éléments du dossier et donc aux terribles images de la vidéosurveillance, qui ne laissent guère place aux doutes.
Deux ans après, où en est la
procédure quelle est la situation
des gendarmes ?
Aucune mesure conservatoire n’a été prise à l’encontre des gendarmes, Ils ne sont pas inquiétés et continuent à exercer. Ils ne sont pas mis en examen et bénéficient du statut de témoin assisté. Le juge estimant avoir tous les éléments requis l’instruction est arrivée à son terme, le dossier est entre les mains du procureur.
Pourquoi le traitement de cette affaire est-il aussi long ? Est-ce le cas dans d’autres affaires ?
C''est un mystère de plus pour nous, une véritable incompréhension, il faudrait poser la question à la justice en Guadeloupe. Nous trouvons cela inadmissible, nous ne comprenons pas pourquoi malgré les indices graves et concordants présents dans le dossier, aucune décision ne soit prise. Souvent, dans ces situations, la réponse qui est faite aux familles de victimes est que le temps de la justice n''est pas le temps des familles. En côtoyant d’autres familles de victimes nous arrivons tous au même constat, le délai de traitement des affaires impliquant les représentants et forces de l’ordre est volontairement long, laissant les familles avec douleurs, chagrin et désarroi comme compagnie. La machine judiciaire est bien rodée. Nous pensons que le but est de nous décourager.
Comment faire votre deuil dans une telle situation ?
La pression est quotidienne, on fait en sorte que Claude ne tombe pas dans l''oubli, donc pour nous c''est impossible de faire le deuil. On a une colère et un sentiment d’injustice en nous, et c’est grâce aux nombreux soutiens qui nous entourent et nous épaulent qu''on arrive à faire de notre mieux et aller de l''avant.
Justement parlez- nous de vos soutiens, on a pu découvrir sur vos réseaux sociaux que cette affaire a provoqué beaucoup d''émoi, de témoignages ?
A quelque chose malheur est bon… Faire face à l''atrocité et à l''effroi du traitement infligé à mon père n’est pas simple, tout le monde a pu le constater. Nous avons de la chance dans notre malheur et nous en sommes très reconnaissant pour tous les soutiens d’ici et d’ailleurs.
Dès le début en Guadeloupe la population nous a cru, le «Kolektif Kont Vyolans a gendam» composé de plusieurs organisations et associations politiques culturelles et syndicales, est né de tout cela. Des artistes, des journalistes, des militants, des organisations en lutte sont à nos côtés. Nous avons découvert, et le meurtre de George Floyd en est le parfait exemple, que dans ce type d''affaire, il est essentiel d''avoir un soutien populaire et une pression médiatique constante.
On vous a également vu au Mexique, comment vous êtes vous retrouvé au Forum Social Mondial ?
Effectivement nous avons eu l''honneur d''être invités par une ONG le CRID qui nous soutient également dans ce combat. Le forum social mondial nous a permis d’internationaliser notre quête de justice. Nous avons établi des liens avec des militants d''Afrique, des Etats-Unis, du Mexique, du Canada entre autres…. On peut réellement dire que le combat pour Claude Jean-Pierre a traversé nos frontières et s’est internationalisé. Merci justement à vous de nous donner l’occasion d’en parler car, on en a également profité pour alerter sur les nombreuses problématiques et injustices que nous rencontrons en Guadeloupe (chlordécone, eau, etc..). Nous sommes persuadés que la solidarité est indispensable si on veut faire évoluer les choses.
Un dernier mot ?
Cela va faire deux ans qu’un retraité est décédé après ce qui aurait dû n''être qu’un banal contrôle de gendarmerie. Il s''appelait Claude Jean-Pierre, ses amis le surnommaient «Klodo», c’était un père, un frère, un oncle, un parrain, un homme sans histoires, jeune retraité qui aspirait à profiter de la vie. On a tous pu voir ce qui est arrivé le 21 novembre 2020, la vidéo parle d''elle-même. Sa famille demande à ce que les responsables soient punis, deux années d''attente c’est long éprouvant, fatiguant. Nous sommes reconnaissants et remercions toutes les personnes qui nous aident depuis le début. C’est un combat noble, nous nous battrons afin que justice soit rendue et nous ne lâcherons rien jusqu''à la victoire !