Agriculture et alimentation entre enjeux et urgences

Quelles sont les conditions pour assurer une sécurité alimentaire mondiale dans le cadre de la transition environnementale ? Voici la question autour de laquelle ont gravité des experts du secteur agro alimentaire dans le cadre d’un forum public organisé à Paris par la revue La Terre. Patrick Lehyaric, journaliste, homme politique et membre du Parti Communiste Français, évoque pour nous les grandes lignes.

Quel était le but de
cette conférence ?
Patrick Lehyaric : Il s’agissait de réfléchir aux enjeux de la sécurité alimentaire nationale qui sont implicitement liés aux enjeux de souveraineté alimentaire.
Aujourd’hui, nous sommes noyés dans un flot de désinformations qui ne nous permettent pas de voir les choses avec clairvoyance. De plus, la guerre en Ukraine nous a plongés dans de nouvelles préoccupations et inquiétudes. Pourra-t-on continuer à maintenir le couloir céréalier et nourrir tout le monde ? De nouveaux pays (hors pays d’Afrique de l’Est) vont-ils connaître la malnutrition ou la famine ? Il y a aussi ces questions liées à l’écologie et à cette transition environnementale de-mandée aux agriculteurs. Sera-t-il possible de nourrir la planète tout en préservant le climat et la biodiversité ? Nous avons essayé de brosser un large panel d’interrogations tout en proposant des issues intéressantes et intelligibles.
Aujourd’hui, quel est, selon vous,
le plus grand enjeu ?
Les politiques publiques devraient consacrer leurs efforts aux enjeux de la nourriture et à la production agricole

. La nourriture nous con-cerne tous et, selon moi, le droit à l’alimentation devrait être inscrit dans la constitution. J’ai été paysan, je me suis occupé de ces questions au Parti Communiste et au Parle-ment, et je suis agréablement surpris par la volonté des intervenants présents d’enclencher avec ardeur une mutation vers l’agro-écologie. Il y a une maturité croissante chez les paysans qui prennent conscience de la nécessité de changer leur modèle d’agriculture. Car le bouleversement climatique agit sur le travail du paysan, notamment via la sécheresse. Il faut donc s’adapter pour produire différemment tout en préservant la santé de nos terres et de nos animaux. Il naît également une révolution chez la jeunesse, ces futurs agronomes et ingénieurs, qui réfléchissent à des techniques beaucoup moins abusives et abrasives. Moins de pesticides, moins d’antibiotiques, moins d’engrais, plus de captation de carbone, plus de prairies etc… Cette mutation est possible. Mais, pour cela, il faudra changer radicalement la politique agricole commune (PAC).
C’est-à-dire ?
Il faudrait revoir la réglementation, la taxation et la rémunération. Il serait judicieux de mettre en place des rémunérations en fonction des volumes et des régions mais aussi en fonction de la qualité de la production. A l’heure actuelle, il faut bien faire la distinction entre l’agriculture industrialisée et l’agriculture paysanne. Elles ne fournissent pas les mêmes résultats de productivité mais elles n’ont pas les mêmes impacts sur notre terre. Rému-nérer l’unité de travail humain et la qualité de la production serait donc plus intelligent que de rémunérer l’hectare. De plus, depuis la crise sanitaire, des petites fermes en dehors des villes ont vu le jour. Les gens y mêlent le mieux-vivre et le mieux-produire. L’exploita-tion à outrance ne serait-elle pas arrivée à son terme ?
L’agriculture française peut-elle encore se tracer un bel avenir ?
Oui, je le pense. Il y aura des efforts à faire. La France importe encore beaucoup trop. Près de 50% de nos fruits et légumes, quelle tristesse. N’avons-nous pas les moyens de produire cela ? Certes, il y a un vieillissement de la population agricole mais nous devons, dès lors, encourager les jeunes à s’installer, à développer leur vision de l’agro-écologie et à établir une sécurité alimentaire solide et stable pour notre pays. Il faut interdire cette spéculation sur les matières premières effectuée par les centrales d’achats qui augmentent sans cesse leurs prix pour rémunérer les actionnaires. Il faut pondérer et surveiller le numérique dans nos fermes, si ce n’est pas pour simplifier le travail du paysan par la robotique et non pour intensifier la production. L’Union Européenne n’est pas encore prête à écouter ces discours mais nous voyons que des actions sont, tout de même, menées en parallèle. Comme les AMAP (associations pour le maintien d''une agriculture paysanne), les coopératives aux abords des villes, ou encore les jardins familiaux. L’agriculture urbaine peut être une solution pour décloisonner les choses et permettre une rencontre privilégiée avec les consommateurs.
Devrons-nous, un jour, également modifier nos comportements
alimentaires ?
Je pense en effet que le paysan a aussi sa part de responsabilité dans l’avenir de notre alimentation. Nous devrons réduire la consommation de protéine animale, et ainsi son exploitation qui demande beaucoup trop d’eau. Le fait de manger différemment va amener une réorientation des productions. Le paysan prendra part, en son âme et conscience, à la construction de cette nouvelle économie.