«France océanique !» périphrase métaphorique…

Max Etna est un géographe guadeloupéen retraité. Il effectua ses études au Centre d’études supérieures littéraires à Pointe-à-Pitre (CESL), puis aux universités de Rouen et de Bordeaux. Ancien élève au lycée Gerville Réache, puis professeur d’histoire-géographie dans cet établissement, il est détaché au Conseil régional de Guadeloupe où il occupa durant les mandatures Félix Proto, Lucette Michaux-Chevry et Victorin Lurel des fonctions de cadre actif. Il convient de mentionner que ce spécialiste des espaces et territoires est par ailleurs un familier des chroniques de presse, et en cette qualité donc un homme d’engagement.

En aval du discours ultramarin élyséen de la «différenciation» institutionnelle, voici venu le temps de l’inflexion sémantique vers la «France océanique». Le 21 novembre dernier au Congrès des maires, notre actuel ministre semble avoir remis Okeanos (dieu grec de la mer) à la mode dans le lexique géographique par la formulation symbolique suivante : la «France océanique».
Cette dernière ne fut-elle pas reconnue jusqu’ici comme une France à part soumise à un destin pas toujours partagé avec la «mère patrie», ne serait-ce qu’à travers le traitement statistique des comptes économiques de la nation : Hexagone bien seul et oublieux des poussières d’Empire !
LE VENT DE L’HISTOIRE
S’INCURVE
Monsieur le ministre a-t-il voulu signifier l’obsolescence définitive des vestiges linguistiques connotés de notre histoire : «France de la marine», «France équinoxiale», «France des colonies», «France d’Outre-mer, des Départements et Territoires d’Outre-mer», «France des Départements et des Régions d’Outre-mer (DROM)», «France des Outre-me», sans oublier les appellations «France des lointains» (qualificatif quelque peu ironique utilisé par le rapporteur, Max Etna, de l’atelier sur les îles de Guadeloupe aux Assises des Libertés locales organisées par la préfecture, janvier 2003), ou même «France des marges et de l’ultrapériphérie» explicité en mars 2017 dans l’ouvrage d’un autre géographe, Samuel Depraz ? Cet ensemble normatif fut généré en droite ligne de l’Antique Méditerranée sous la déclinaison déjà à tonalité centralisatrice d’une métropole et de cités adjacentes ou colonies (d’où les «lointains» susmentionnés, au-delà de la Navarre et de la Corse !).
Le titulaire de la rue Oudinot pensait bien que toutes ces dénominations officialisaient peu ou prou la volonté de puissance et d’occupation territoriale dépassant le désir de découverte et d’échanges réciproques…
Démonstration est ainsi faite de toute l’ambiguïté née du lien entre la Métropole ou, plus euphémique, la France hexagonale et ces espaces secondaires pour ne pas dire colonies françaises, pourvoyeurs d’une part, de richesses par la création de compagnies commerciales coloniales dont celles des Indes jusqu’à la société Le Nickel (SLN) en Nouvelle-Calédonie et d’autre part, peuplés majoritairement d’habitants en souffrance de reconnaissance et de liberté. Après la Seconde guerre mondiale, la IVe et surtout la Ve République ont promu un égalitarisme institutionnalisé sous la bannière de l’Union française et ensuite la Départementalisation, puis plus récemment les pays et Collectivités d’Outre-mer.
Mais le vent de l’Histoire, au motif de décentralisations, de revendications identitaires, a tourné, et le nouveau politiquement correct français de France est en recherche de qualificatifs à jour comme vraisemblablement le suggère l’ancien préfet de Guade-loupe puis «préfet de l’énergie», Jean-François Carenco lesté de sa légitimité à la fois d’homme d’expérience administrative, de terrain et de dossiers, et de son parler dru, en mode abrasif.
OCÉANITÉ, CORSET MARIN
ET ESSENCE GÉOGRAPHIQUE
Cette autre France donc celle d’un passé au passif encore perçu comme non soldé en référence à ses engagés, ses esclaves, ses lépreux, ses forçats et ses aventuriers décatis, ses maîtres d’habitations et ses gouverneurs -véhicule encore l’image souvent péjorative d’archipels contemporains aux écosystèmes certes flamboyants mais marqués par les tensions sociales et par l’échec de leur développement.
La cause en est la longue indifférence franco-centrée et la méconnaissance de ce qui fait leur essence géographique même : des microcosmes spatiaux mâtinés de maritimité mais cependant dotés d’un potentiel d’animation économique et professionnelle extraordinaire.
«Terres de crises et de violence» disait le tropicaliste Jean Gallais estomaqué par le déficit d’exploitation de leur Zone Economique Exclusive au regard du poids de leurs ressources halieutiques et industrialo-énergétiques (France bleue) ! Allusion à mon ancien maître de fac’ qui permet de revenir au concept «océanique» et, précisons, pas «Océanie», 5e continent des cartographes du XIXe siècle.
Si l’on s’en tient à l’actuelle désignation sémantique des espaces maritimes du globe, force est de constater que la République française est présente dans 4 des 5 grandes étendues marines (excepté l’océan Arctique). Cela lui confère une «océanité» consubstantielle indéniable. Cela procure aux surfaces des Outre-mer insulaires totalisant 17,9% du territoire terrestre français des velléités d’estime politique consistant à défaire le corset institutionnel ou à opter pour un mode de gestion statutaire responsabilisé, autonomisé de par leur propre positionnement dans le système géodésique et donc géostratégique sur la planète.
Que la France dans ses dirigeants nationaux, régionaux ou en aspiration séparatiste et tous ses peuples citoyens prennent garde si elle tient réellement à ses possessions en eau salée en mal de continuité territoriale et de mobilité décarbonée, à ne pas les voir grignoter comme ce fut le cas pour le récif de l’archipel des Avès avalé par le Venezuela ou quereller en matière de coopération transfrontalière et de délimitation de zones de pêche.
Alors pourquoi ne pas considérer que cette inflexion océanique du vocabulaire ministériel en forme de paraphrase priorise l’évidence, la volonté «objective» de se caler sur la réalité structurale des sciences géographiques pour mieux éviter les pièges surannés et scoriacés liés à l’ancienne Clio européocentrée… A ce titre, peut-être eu-t-il mieux valu tâter des oxymores «Terres océaniques françaises» ou encore «France des océans !».