L'épandage aérien de pesticides : Une expression des politiques publiques néo-coloniales

On se souvient qu'avant la fin de la précédente consultation publique qui se déroulait en Guadeloupe, malgré l'avis défavorable exprimé de manière très argumentée par les professionnels de santé de la Martinique(*), le Ministre de l'Agriculture avait fait savoir que, pour les Antilles, il était favorable à une dérogation à l'interdiction d'épandage aérien de pesticides. Le 10 janvier 2012, après son collègue de la Martinique , le préfet de la région Guadeloupe accordait donc une dérogation soi-disant exceptionnelle de 6 mois -en l'occurrence jusqu'au 30 juin 2012- pour ledit épandage aérien. Aujourd'hui, encore une fois, au prétexte que les technologies alternatives n'existent pas encore et qu'il faut sauver l'emploi dans le secteur bananier, les pouvoirs publics envisagent sérieusement de sacrifier la santé de l'homme antillais et l'intégrité de son environnement sur l'autel des profits capitalistes. Depuis le 18 mai der - nier et jusqu'au 18 juin prochain, en ef fet, une nouvelle consulta - tion publique est ouverte sur l'opportunité de donner suite à une nouvelle demande de déro - gation qui s'étendra cette fois-ci sur un an… Dans cette situation ubuesque, les décisions publiques relèvent de la même logique néocolonia - le qui prévaut encore dans le dos - sier du chlordécone.

LA TOXICITÉ DES PESTICIDES UTILISÉS

Lors des épandages aériens aux Antilles, deux pesticides sont principalement utilisés - le TILT et le SICO- ainsi qu'un adjuvant : le BANOLE. Dans la lutte contre les cercospo- rioses du bananier, tantôt les deux antifongiques sont dissouts dans du BANOLE, tantôt le BANOLE est utilisé seul. Que dit le corps médical de leur toxicité ?

Le traitement de la cercosporiose noire tel qu'exposé lors de la réunion du 27 janvier 2012, suppose une application 9 fois par an tantôt d'antifungiques triazolés dissous dans du BANOLE tantôt de BANOLE seul. Les caractéristiques des produits utilisés, indiquées sur leur fiche technique, font apparaître une dangerosité réelle pour la population humaine à un degré variable selon le produit. Le TIL T et le SICO ont une toxicité aigüe modérée et localisée mais non nulle et une toxicité chronique suspectée qui les a fait inscrire en classe 3 sur le répertoire des produits cancérigènes. Le BANOLE, par contre, utilisé comme huile de dilution est un hydro - craquage de pétrole et à ce titre il présente à la fois une toxicité aigué pulmonaire et neurologique potentiellement mortelle et une toxicité chronique connue de longue date par le corps médical, à savoir un potentiel cancérogène. Le mode d'utilisation de ces produits, l'épandage aérien, n'enlève rien à leur dange - rosité pour la population générale, même si il protège au mieux l'ouvrier agricole. Enef fet les petites particules de ces fongicides pulvérisés par l'aéronef, du fait de leur fines- se, risquent bien de se retrouver à la faveur des vents dominants dans les poumons des riverains et de toute façon, dans la nappe phréatique à terme, lors du lessivage des feuilles par les pluies. L'homologation d'un produit n'est en aucun cas une preuve de non risque, car peu de données existent sur ce mode d'utilisation des produits et encore moins sur les risques spécifiques encou- rus par les personnes sensibles que sont les enfants en bas âge qui paient le plus lourd tribut actuellement aux perturba - tions environnementales. L'examen tant de la réglementation que de l'analyse des données sur les produits invite à beaucoup de circonspection et de prudence. En tout état de cause le principe de précaution doit prévaloir comme c'est le cas actuellement pour les prothèses mammaires dont on ne cesse de répéter que «rien ne prouve qu'elles sont cancérigènes mais que les femmes sont invitées vivement à les retirer au plus vite». Le médecin a un rôle de protection de la santé des individus mais aussi de la santé publique .Il se doit donc quand il est sollicité d'alerter et de tout mettre en œuvre pour éviter que ne soit mis en danger la population. C'est à ce titre que je conclurai par un avis très défavorable sur tout mode de traitement aérien ou terrestre faisant usage des produits présentés.

Le BANOLE a souvent été pré - senté comme une huile miné - rale inof fensive. C'est pour - quoi, les Docteurs Jos-Pelage et Richardson ont réitéré leurs avertissements au Préfet de laMartinique.

INTERDICTION DE PRINCIPE ET CONDITIONS RESTRICTIVES DU RECOURS À L'ÉPANDAGE AÉRIEN DANS L'UNIONEUROPÉENNE

Sur le territoire de l'Union Européenne, l'utilisation des pesticides agricoles est ef fec - tuée dans le cadre d'une Directive du 21 octobre 2009. Son 14e«considérant» donne la position de principe de l'Union Européenne quant à l'épandage aérien

“La pulvérisation aérienne de pesticides est susceptible d'avoir des ef fets néfastes importants sur la santé humaine et l'envi - ronnement, à cause notamment de la dérive des produits pulvéri - sés. Il convient donc d'interdire d'une manière générale la pul - vérisation aérienne, avec possi - bilité de dérogation seulement

lorsque cette méthode présente des avantages manifestes, du point de vue de son incidence limitée sur la santé et sur l'envi- ronnement par rapport aux autres méthodes de pulvérisation, ou lorsqu'il n'existe pas d'autre solution viable, pourvu qu'il soit fait usage de la meilleure technologie dispo- nible pour limiter la dérive”.

L'article 9 nous révèle que l'é- pandage aérien doit être normalement interdit, sauf cas particuliers de dérogations.

Article 9 Pulvérisation aérienne

1. Les États membres veillent à ce que la pulvérisation aérienne soit interdite. 2. Par dérogation au paragra- phe 1, la pulvérisation aérienne ne peut être autorisée que dans des cas particuliers, sous réserve que les conditions ciaprès sont remplies : a) il ne doit pas y avoir d'autre solution viable, ou la pulvérisation aérienne doit présenter des avantages manifestes, du point de vue des incidences sur la santé humaine et l'environnement, par rapport à l'application terrestre des pesticides; b) les pesticides utilisés doivent être expressément approuvés pour la pulvérisation aérienne par l'État membre à la suite d'une évaluation spécifique des risques liés à la pulvérisation aérienne; c) l'o- pérateur qui effectue la pulvérisation aérienne doit être titulai - re d'un certificat visé à l'article 5, paragraphe 2. Au cours de la période transitoire pendant laquelle les systèmes de certifica - tion ne sont pas encore en place, les États membres peuvent accepter une autre preuve d'une connaissance suffisante; d) l'en- treprise responsable de la pulvérisation aérienne est titulaire d'un certificat délivré par une autorité compétente pour déliv- rer des autorisations d'utilisation de matériel et d'aéronefs pour la pulvérisation aérienne de pesticides; e) si la zone à pul- vériser est à proximité immédiate de zones ouvertes au public, l'autorisation comprend des mesures particulières de gestion des risques afin de s'assurer de l'absence d'effets nocifs pour la santé des passants. La zone à pulvériser n'est pas à proximité immédiate de zones résidentiel- les; f) à compter de 2013, l'aéronef est équipé d'accessoires qui constituent la meilleure technologie disponible pour réduire la dérive de la pulvérisation.

Parce que la pulvérisation aérien- ne des substances retenues aux Antilles ne présente -comme l'a si bien démontré le rapport du docteur Jos-Pelage- aucun avantage pour la santé humaine et l'envi- ronnement, la consultation publique qui a déjà eu lieu à ce propos et celle qui est en cours constituent à proprement parler une véritable aberration. Cela étant, les conditions réelles d'application de l'épandage aérien en Guadeloupe consti- tuent par elles-mêmes un autre ensemble d'aberrations.

RETOUR SUR L'APPLICATION EFFECTIVE DE LA DIRECTIVE DE L'UNION EUROPÉENNE EN GUADELOUPE : UNE POLITIQUE PUBLIQUE NÉOCOLONIALE

Pour mémoire, à toutes fins uti- les, nous pouvons quand même évoquer les conditions effectives de cet épandage. Concrètement, nous pouvons nous demander si les diverses obligations prévues par l'arrêté du 31 mai 2011 publié le 8 juin 2011 sont d'ores et déjà respectées - ont-elles tout simplement du sens ? - en ce qui concerne par exemple : La zone de 50 mètres d'interdic- tion de traitement aérien (prescrite par les articles 7 et 8) est-elle effectivement respectée relativement aux :- Habitations et jardins Bâtiments et parcs où des animaux sont présents - Parcs d'élevage de gibier, parcs nationaux, ainsi que les réservesnaturelles - Points d'eau consommables par l'homme et les animaux, périmètres de protection immédiate descaptages Bassins de pisciculture, conchyliculture, aquaculture et maraissalants - Littoral des communes visées à l'article L.321-2 du Code de l'Environnement, cours d'eau, canaux de navigation, d'irrigation et de drainage, lacs et étang d'eau douce ou saumâtre. De même, l'obligation d'informer (prescrite par l'article 10) estelle vérifiée concernant Les mairies et communes, l'affichage public dans les mairies - Le balisage des chantiers, notamment par voie d'affichage sur les voies d'accès à la zone traitée - Les syndicats apicoles ont-ils été informés systématiquement 48 heures avant chaque épandage ?

QUELLES SONT NOS POSSIBILITÉS D'ACTION ?

Nous devons nous mobiliser pour défendre et restaurer une qualité de vie en Guadeloupe pour nous et pour les généra- tions futures. Personne ne le fera à notre place.

A un premier degré,

selon les voies et moyens qui lui semblent mieux appropriés, chacun devrait exprimer son refus de l'épandage aérien : pétition, registre officiel, marche … Personnellement, j'ai signé le registre à Basse-Terre ainsi que la pétition sur internet et j'ai participé à la marche du 12 juin à la sous-préfecture. S'il en était besoin, cette marche a d'ailleurs servi de révélateur à la dimension coloniale de cette consultation. Selon la propagande officielle, la dérogation précédente a été accordée parce que les guadeloupéens ne se sont pas mobilisés pour consigner leur opposition sur les registres préfectoraux. Le mardi 12 juin 2012, chacun a pu constater comment ont été reçus ceux qui se sont rendus en souspréfecture de Pointe-à-Pitre pour effectuer cette «formalité». Des forces de l'ordre sur le pied de guerre nous attendaient, visible- ment pour nous intimider. Malgré la bousculade qu'elles ont déclenchée, malgré la séquestration (grilles cadenassées) dans la cour de cette souspréfecture, malgré une situation tendue qui a duré plus de trois heures, nous avons su faire prévaloir nos droits !

A un deuxième degré,

nous pourrions exiger pour les riverains que s'opère enfin une prise en charge analogue à celle mise en place en Aquitaine : - dans le cadre de l'étude Phytoriv (phyto riverains) a été effectuée pendant 8 semaines de mi-juin à mi-aout 2010 sur les effets de l'exposition de la population de gironde aux épandages agricoles aériens de pesticides. Elle comprend des mesures du souffle, des analyses d'urines et diverses autres mesures de pesticides. En Guadeloupe, nous pouvons exiger la réalisation d'une telle étude. - nous pourrions également exi- ger, qu'à l'instar de l'Agence AIRAQ en région Aquitaine, GWADAIR soit chargée d'une étude sur la pollution de l'air du fait des pesticides épandus par voie aérienne.

A un troisième degré,

avec des avocats spécialisés, pourquoi ne pas lancer des actions en justice à court, moyen et long terme, contre ceux qui exposent la grande masse des Guadeloupéens aux pesticides ?

Décidément, l'épandage aérien de pesticides (TILT ou SICO) ou l'épandage de chlordécone sont l'expression d'une même réalité coloniale !

(*) Maître de Conférences en Economie Université Antilles Guyane. (1) De tels avis ont été notamment exprimés, ès-qualité, par le Dr Jos-Pelage, Présidente de l'Association Médicale pour la Sauvegarde de l'Environnement et de la Santé (AMSES)- Martinique et V ice Présidente du Conseil Départemental de l'Ordre des Médecins de la Martinique.