CRISE SOCIALE ET POLITIQUE, 49.3: Macron ou bien légitimité démocratique ?

Dans une chronique du 26 mars dernier sur France Info, le journaliste politologue Clément Viktorovitch a développé un raisonnement qui mérite d’être reproduit. (Le titre et les commentaires de fin sont de la rédaction)

Dans la crise sociale et politique actuelle, une question s’impose parmi tant d’autres : le président de la République est-il encore légitime pour imposer sa réforme des retraites ?
À cette question, Emmanuel Macron a une réponse méprisante, dans son style habituel : «… la foule, quelle qu’elle soit, n’a pas de légitimité face au peuple qui s’exprime, souverain, à travers ses élus». Autrement dit, il prétend que sa réforme est pleinement légitime.
Pour commencer, il convient de rappeler que les députés n’ont jamais voté cette réforme, imposée en force avec le 49.3. Ensuite, Emma-nuel Macron essaie d’établir une différence entre «la foule» et «le peuple». C’est apparemment une référence à un passage de «l’année terrible», oeuvre de Victor Hugo dans laquelle la force confuse de la foule est effectivement opposée à la grandeur du peuple. Mais en réalité, Victor Hugo ne disait pas que cela.
En effet, un passage essentiel précise «Voici le peuple, il meurt, combattant magnifique pour le progrès. Voici le peuple, il prend la Bastille, il déplace dans l’ombre en marchant. Voici le peuple, il se fait République, il règne et délibère». En clair, un mouvement de con-testation populaire inscrit dans la durée, adossé à un débat public, comme ce que nous traversons aujourd’hui, c’est le peuple.
Cela n’a rien à voir avec la phrase méprisante de Macron qui prétend ainsi que les mouvements sociaux sont par nature disqualifiés dans le processus démocratique et qu’ils n’auraient aucune légitimité. Macron reprend ici un refrain classique, selon lequel le seul moyen légitime de s’exprimer pour le peuple, serait l’élection.
Certes, l’élection est un des principes fondamentaux de la démocratie, telle qu’elle est conçue aujour-d’hui en France. Mais, pour commencer, il faut se rappeler que la démocratie est un concept qui varie et s’adapte selon les époques et les pays : la démocratie française n’a pas les mêmes règles que celle d’autres pays, comme la Suède, la Grande-Bretagne ou encore les États-Unis, pour ne citer que des pays occidentaux.
Alors, parler de LA démocratie comme si c’était une construction unique avec des règles absolues, uniques et invariables est évidemment un mensonge, un leurre, destiné à justifier une méthode de gouvernement (et masquer les objectifs réels de la politique menée).
L’historien Pierre Rosanvallon au Collège de France explique dans son livre «La légitimité démocratique» (2008) : «L’élection ne garantit pas qu’un gouvernement soit au service de l’intérêt général, ni qu’il y reste. Le verdict des urnes ne peut être le seul étalon de la légitimité». Car, selon l’historien, l’élection est en réalité une double fiction :
- d’une part, on fait comme si le consentement le jour de l’élection valait consentement pour tout le reste du mandat.
- d’autre part, on fait comme si le consentement d’une fraction du peuple valait consentement de tous les citoyens.
Et il faut se rappeler que cette fraction du peuple (celle qui a voté pour le vainqueur de l’élection) est de plus en plus minoritaire, puisqu’il y a de plus en plus d’abstention.
Alors, on admet que ces fictions sont nécessaires dans une démocratie représentative, mais elles deviennent insupportables quand elles ne sont pas complétées par d’autres sources de légitimité démocratique, comme l’opinion publique, la société civile, les syndicats ou encore la rue. «Sans autre source de légitimité que l’élection, la démocratie devient bien peu démocratique, elle n’est plus que le régime dans lequel le peuple est libre un jour et esclave les cinq années qui suivent».
Or, dans la crise de la réforme des retraites, l’opposition des syndicats est définitive, l’opinion publique est actée et mesurée (deux tiers des Français sont contre cette réforme et ce, dans la durée et avec des chiffres stables), la contestation de la rue est massive avec des millions de personnes qui défilent jour après jour. Même le consentement des parlementaires n’a jamais été acquis, puisque l’Assemblée nationale n’a pas pu voter le texte.
Alors, Macron et ses ministres font mine de se réjouir du rejet de la motion de censure. Dans la réalité, les députés, à une courte majorité, n’ont pas voulu faire tomber le gouvernement, mais ils étaient prêts à rejeter la réforme des retraites, comme le reconnait Élisabeth Borne elle-même qui a admis qu’elle n’avait pas de majorité.
La conclusion fondamentale est que, peu importe les verbiages de la Première ministre et du président de la République, ce texte ne saurait pas être légitime, puisqu’il n’a pas reçu l’approbation des élus du peuple. Macron s’est enfermé dans une vision défaillante de la légitimité démocratique.
A ce propos, Patrick Bouchon, lui aussi historien au Collège de France cite Machiavel : «Ce qui se joue en ce moment, ce n’est pas du tout la foule qui tente de s’imposer au peuple, c’est davantage le prince qui se croit plus sage et mieux éclairé que la multitude».
Il faudra s’en souvenir lors des prochaines élections, qu’elles soient présidentielles, législatives ou locales : même si Macron ne se représente pas, le peuple qu’il méprise tant devra chasser tous ceux qui l’ont soutenu.