COLLOQUE DU PARTI COMMUNISTE FRANÇAIS Intervention du Secrétaire général du PCG, Félix Flemin

Invité au colloque des Outre-Mer du Parti Communiste Français, le Parti Communiste Guadeloupéen en la personne de Félix Flemin, son Secrétaire général, a prononcé un discours

J’adresse mes remerciements aux camarades du Parti Com-muniste Français pour leur invitation, à la camarade Viviane Assensi, présidente du groupe CRCE au Sénat, à André Chassaigne, président du groupe GDR à l’Assemblée nationale et à Fabien Roussel, Secrétaire national du PCF.
J’adresse ici les salutations de solidarité anticolonialiste du PCG aux représentants des peuples des dernières colonies françaises. Nous sommes ces peuples, habitant nos pays, là où ils sont situés, dans différents océans et régions du monde, qui du fait de notre appartenance coloniale à la France lui donne le rang de deuxième puissance maritime mondiale, sans aucune retombée et qu’on affuble du vocable infériorisant d’ultra-marin.
Nous avons accepté votre invitation à prendre part à ce colloque pour porter aux élus de la représentation nationale française ici présent, notre éclairage et un autre éclairage quant à la réalité de notre pays et aux intérêts fondamentaux de la Guade-loupe et du peuple guadeloupéen. Nous vous remercions de l’opportunité que vous nous offrez.
Nous ne saurions commencer notre intervention sans solliciter la solidarité du Parti Communiste Français et plus globalement de tous les progressistes et de tous ceux partageant les idéaux de justice et de respect des droits humains.
Pour que justice soit rendue aux peuples guadeloupéens et martiniquais pour l’empoisonnement en toute connaissance de cause des hommes et des terres de leur pays par le chlordécone.
Pour que justice soit rendue aux travailleurs et aux soignants suspendus sans avoir commis de faute, par leur réintégration et leur indemnisation.
Pour que justice soit rendue à Claude Jean-Pierre, mort suite à un contrôle routier opéré par deux gendarmes et qui s’est soldé par deux vertèbres cervicales brisées.
«LA DÉPARTEMENTALISA-TION, 77 ANS PLUS TARD :
LES SYMPTÔMES DU MAL-DÉVELOPPEMENT».
La Guadeloupe de 2023 n’est évidemment pas celle de 1946. De nombreuses évolutions sont intervenues au cours de ces trois quart de siècle et il n’est pas contestable que la départementalisation ait eu des effets positifs et bénéfiques, en améliorant les conditions de vie matérielle, notamment au niveau des infrastructures, de la santé, de l’éducation, des droits sociaux. Mais, il convient à la vérité de dire qu’il ne s’agit pas, loin s’en faut, d’un bienfait du colonialisme, mais souvent le résultat d’âpres luttes sociales et politiques qui ont permis d’arracher aux différents gouvernements la prise en compte des besoins de la population.
Après 77 ans de départementalisation, de départementalisation adaptée, de départementalisation économique, de décentralisation acte 1, acte 2, acte 3, loi 3DS, la situation globale de la Guadeloupe n’a pas changé. La liste est longue des lois programme et ou d’orientation qui ont été adoptées ces deux dernières décennies, on peut citer :
- La Loom (Loi d’Orientation pour l’Outre-Mer en 2000)
- La Lopom (Loi de Programmation pour l’Outre-Mer en 2003)
- La Lodéom (Loi pour le Dévelop-pement économique de l’Outre-Mer en 2009)
- La Loréom (Loi Lurel de régulation économique Outre-Mer en 2012)
- La Loi Egalité réelle en 2016.
La vérité c’est, qu’aucune de ces lois, sensées assurer notre développement, n’a empêché la catastrophe économique, sociale et sociétale qui défigure et désintègre le pays. La vérité c’est, que la Guadeloupe demeure une colonie qui a fait pour fonction de servir les intérêts économiques, géopolitiques, stratégiques et les ambitions de puissance de la France.
Il serait fastidieux de dresser ici un énième constat de notre réalité, nous en connaissons les principales caractéristiques :
-Un taux de croissance élevé sans développement
-Une balance commerciale durablement déficitaire
-Une tertiarisation de l’économie déconnectée de l’appareil de production
-Un marché guadeloupéen assujetti aux intérêts des capitalistes français et européens
-Une absence de mobilisation des capitaux guadeloupéens
Contrairement à la pensée officielle, les causes du non-développement de la Guadeloupe ne sont pas l’insalubrité, l’étroitesse du marché, la démographie, l’éloignement, les luttes sociales, mais la persistance des mécanismes d’une économie de comptoir dans un modèle économique hérité de la colonisation et dans l’existence d’un statut politique d’assimilation et d’intégration à la France et à l’Union européenne.
L’économie de la Guadeloupe est en crise structurelle. C’est une économie de dépendance, alimentée par les transferts publics de l’Etat et les subventions de l’Union européenne et basée sur la consommation des produits importés au détriment de la production endogène. La Guadeloupe est une colonie de consommation, dont la principale fonction est de garantir aux entreprises capitalistes françaises et européennes la rente coloniale qui assure leurs profits.
Cette économie de dépendance et de consommation se mesure par un taux de couverture de moins de 10% des importations par les exportations, c’est une économie de services qui se caractérise par la destruction de la production agricole et l’insignifiance du secteur secondaire.
Quelques chiffres suffisent à illustrer le désastre social généré par cette faillite économique :
Pour une population totale de 375 845 habitants avec 160 000 actifs, la Guadeloupe compte 60 000 chômeurs, 45 000 allocataires du Rsa soit 93 000 bénéficiaires, 34% de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté, 25% des Guadeloupéens ayant été scolarisés sont en situation d’illetrisme, ce qui représente 20% des 16-65 ans.
Le chômage de masse est un terrible fléau qui déstructure le pays :
- 36% des familles ne comptent aucun adulte en emploi
- +50% des jeunes sont au chômage
L’ampleur du chômage pousse à l’exil une grande partie de notre jeunesse, plus de 40% des jeunes guadeloupéens entre 25-29 ans vivent en France, à l’incitation de Ladom qui a succédé au Bumidom.
Cette émigration contrainte et organisée à de graves conséquences sur notre structure démographique, caractérisé par le vieillissement de la population. Dans dix ans les plus de 60 ans seront plus nombreux que les moins de vingt ans.
Cette précarité et cette exclusion sociale qui frappent en majorité les jeunes et les femmes, ont de graves conséquences sociétales. Elles sont la cause des phénomènes de déviances de toute sorte qui désagrègent notre société.
Notre pays est menacé de dissolution, par la dépossession des Guadeloupéens de leurs terres, l’empoisonnement de nos sols, l’élimination de la production et des producteurs guadeloupéens, la précarisation des travailleurs et de milliers de familles, la marginalisation, l’exclusion et l’exil de la jeunesse, le développement de la violence et des déviances de tous ordres, la perte des repères et des valeurs qui ont forgé l’identité et la cohésion de notre peuple.
Cette situation empire avec la politique libérale décomplexée, le mépris, la morgue, l’arrogance et la violence du macronisme.
La vérité qui ne peut plus être dissimulée, c’est que la Guadeloupe est en proie à une crise politique majeure qui a pour cause le système de l’assimilation coloniale, qui depuis la départementalisation régit nos relations avec la France.
A UNE QUESTION POLITIQUE , IL FAUT PORTER UNE UNE RÉPONSE POLITIQUE
La question qui est posée est la suivante : Existe-t-il un peuple guadeloupéen différent du peuple français ? A cette question, les communistes que nous sommes, avons déjà répondu en affirmant : L’existence d’un pays Guade-loupe, différent de la France et l’existence du peuple guadeloupéen, différent du peuple français, et de son droit à l’autodétermination, en revendiquant «la gestion démocratique des affaires guadeloupéennes par les Guadelou-péens eux-mêmes, sur la base de rapports nouveaux avec la France». C’était il y aura 65 ans demain, le 30 mars 1958, au Congrès constitutif du Parti Communiste Guadeloupéen où pour la première fois une organisation politique a posé la question de la décolonisation de la Guadeloupe et en revendiquant un statut d’autonomie.
C’est une revendication d’un statut d’autonomie qui structure depuis 65 ans la vie politique de la Guadeloupe. Aujourd’hui encore plus qu’hier le vrai combat c’est la décolonisation :
- C’est celui de la rupture avec le système de l’assimilation colonial par la conquête d’un statut de large autonomie sur le fondement du droit à l’autodétermination des peuples.
- C’est un statut de souveraineté partagée avec l’Etat français qui doit doter la Guadeloupe d’un pouvoir politique avec des compétences législatives et réglementaires dans sa sphère de souveraineté, pour décider des choix stratégiques qui vont conditionner l’avenir du pays.
-C’est celui de l’émancipation politique, pour le développement économique durable porteur de progrès et de justices sociales.
C’est un cadre pour de nouvelles relations au sein de la République sur la base d’une coopération mutuellement avantageuse et respectant les droits politiques, économiques, patrimoniaux, sociaux et culturels du peuple et des citoyens guadeloupéens.
Notre stratégie est claire : un statut de collectivité autonome dans le cadre de la République française et un statut d’association avec l’Union européenne. Ce statut d’autonomie est possible dans le cadre de la constitution française, il faut la volonté et le courage politique de renoncer à une impossible assimilation qui porte en elle souffrances, frustrations et violences, pour que la Guadeloupe et la France établissent de nouvelles relations conforme aux exigences de notre temps et faisant place à une coopération respectant les droits politiques, économiques, sociaux et culturels du peuple guadeloupéen.
LE TEMPS EST VENU
DE ROMPRE AVEC LE SYSTÈME DE L''ASSIMILATION
COLONISATION
C’est le sens de l’histoire il n’est au pouvoir d’aucun législateur ni d’aucun gouvernement de dissoudre le peuple guadeloupéen en le réduisant à une simple population dans le peuple français pour le priver de son droit à disposer de lui-même. C’est pourquoi, nous voudrions pouvoir compter sur les parlementaires ici présents pour :
-En premier lieu supprimer la Guadeloupe de l’article 72 alinéa 3 de la Constitution qui y est cité comme population du peuple français.
-Utiliser le cadre de la Constitution pour mettre en place le statut d’autonomie.
-Modifier dans la Loom le Congrès des élus afin de le transformer en un Congrès instituant, élu au scrutin proportionnel et ayant pour seule compétence l’élaboration d’un projet de statut et sa négociation avec le gouvernement.
Il ne peut y avoir de développement humain, de développement économique, de justice et de progrès social, de droits de l’homme dans la tutelle et la soumission coloniales. Le moment est plus que venu de renoncer à une impossible assimilation qui porte en elle souffrances, frustrations et violences.
Nous sollicitons le soutien, la solidarité et l’engagement des communistes français, des progressistes, des anti-impérialistes qui partagent l’idéal et le combat pour une humanité différente et nouvelle, débarrassée de toute forme de domination et d’exploitation, sur le fondement de la coopération, l’amitié et la solidarité, le progrès et la justice sociale au bénéfice de tous les peuples et de tous les hommes.