Cinq chantiers et 20 propositions pour changer de modèle économique

A l'heure où le modèle de l'économie capitaliste s'enfonce dans la récession et où les classes dirigeantes ne voient d'autre choix que l'austérité,le chômage et la misère pour les masses laborieuses,l'Etincelle,en cette année internationale des coopératives,poursuit le débat pour une alternative à l'économie des «marchands».Il verse au dossier le document adopté par les dirigeants de l'économie sociale lors de leur rencontre internationale en no v embr e 2011.



DÉMOCRA TISER L'ÉCONOMIE, FAVORISER SA TERRITORIALISA- TION ET RÉGULER LA FINANCE

Les institutions internationales ont longtemps été prisonnières d'une définition trop restrictive du développement trop long - temps associé à la seule croissan- ce. Repenser l'économie, c'est d'abord, à notre avis, miser sur un type d'entreprises qui favorisent les territoires et le cadre de vie des populations : des entreprises à propriété privée et collective. Autrement dit il faut accélérer le renforcement d'une économie non capitaliste. C'est pourquoi nous demandons aux chefs d'Etat et à leurs gouvernements : • De favoriser par tous les moyens le développement d'un vaste secteur non capitaliste d'entreprises d'ESS fonctionnant de façon démocratique autour des enjeux de la crise globale que nous traversons., par l'affirmation universelle de la plurali - té des formes d'entreprendre à travers la reconnaissance législative des statuts coopératifs, mutualistes, associatifs et des fondations par l'adoption de lois-cadres sur l'ESS et par la définition d'un signe de reconnais - sance de l'ESS à travers un label, la définition d'indicateurs et de critères d'appartenance à l'ESS ; (proposition 1)

• De soutenir fortement la prise ou la reprise de contrôle des biens communs à travers des modes de gestion collective (eau, terre, ressources naturelles…) par les communautés et les États à partir, plus particulièrement, du développement de coopéra- tives, de mutuelles et d'associations

. En ef fet, l'économie socia - le, évolutive, a la capacité de créer de nouvelles formes d'entreprises et d'organisations, sous des formes de propriété à la fois collective et privée qui assu - rent mieux une durabilité aux entreprises et organisations (formes coopératives, associatives, mutualistes) et une accessibilité à des biens et services (semences libres, logiciels libres…) ; (proposition 2) • De soutenir avec plus de force la « biodiversité » de l'économie, l'entrepreneuriat collectif et le développement durable et soli- daire des territoires par des politiques et des législations qui leur sont favorables. Nous renforce - rons ensemble, sur la base de nos objectifs communs, les liens entre l'ESS, l'Etat et les collectivi - tés territoriales, en nouant des partenariats étroits, tant à l'é - chelle nationale que locale, en s'appuyant sur l'ancrage territorial des coopératives, mutuelles, associations et fondations, pour favoriser l'accès des jeunes à l'emploi ou encore soutenir le développement de réponses adaptées aux nouveaux besoins; (proposition 3)

• De vous engager résolument dans la régulation forte de la finance, par l'adoption d'une position commune de lois sur la taxation des transactions finan - cières, et en vous appuyant sur notre expérience en la matière. En effet, depuis un bon moment déjà, nous nous af fairons à développer une finance propre à l'ESS ou favorable à celle-ci dans le soutien au développement de nouvelles entreprises collectives (fonds de travailleurs, orientation des placements financiers de l'ESS vers l'ESS grâce à des cri- tères sociaux, environnemen- taux et de gouvernance, pro- grammes publics et internationaux d'accompagnement des entreprises collectives en démarrage, instituts de financement de l'ESS…). (proposition 4)

Pour vous y aider, nous appelons de notre côté et en notre sein, les Banques coopératives et mutualistes et les banques alternatives à soutenir localement les initiatives entrepreneuriales, solidaires, environnementales de l'ESS et à créer des outils communs pour financer les projets continentaux et internationaux de l'ESS. Et les Etats comme les grandes banques internationales à nouer des partenariats avec elles en ce sens.

• De choisir chaque fois que l'in - térêt général le demande, une autre voie, celle de l'ESS, car vos possibilités concernant les sec - teurs stratégiques et/ou sensibles ne se résument pas à un choix bipolaire (privatisations vs. nationalisation). (proposition 5)

DEUXIÈME CHANTIER :

PROMOUVOIR UN MODE DE GOUVERNANCE P AR TAGÉE

Les générations des dernières décennies sont beaucoup mobilisées par l'écologie sociale et la solidarité internationale. Cependant l'équation de base qui a émergé dans l'histoire du mouvement ouvrier

n'a pas perdu de son actualité : il faut recroiser sans cesse justice sociale, ef ficacité économique et démocratie à partir des défis de la période qui s'ouvre. C'est pourquoi nous demandons aux chefs d'Etat et à leurs gou - vernements :

• De contraindre toutes les entreprises (publiques, marchandes, collectives) à rendre compte non seulement de leur création de richesses sur le plan écono - mique mais aussi de leur utilité sociale et de leur empreinte éco - logique afin de diriger toutes les activités vers une économieresponsable. De notre côté, nous serons de la partie, en tant qu'entreprises et organisations de l'ESS, en poursuivant avec d'autres le travail de recherche permettant de mettre en place de nouveaux indicateurs de richesse et voulons généraliser le recours à des outils d'évaluation de la performance, non plus restreinte aux seuls apports économiques mais valorisant également les plusvalues sociales et environnemen - tales (bilans sociétaux). Ceci au sein même de nos structures, mais également en tant que financeurs, dans nos processus de sélection des placements et investissements ; (proposition 6)

• D'agir pour préserver notre modèle de gouvernance spéci - fique, chaque fois qu'il existe, pour assurer son respect à l'échelle internationale. De notre côté, nous favoriserons votre engagement en associant les parties prenantes (salariés, consommateurs, etc.) à la ges- tion de nos entreprises et structures de l'ESS, en le renforçant et le modernisant pour l'adapter aux nouvelles réalités et garantir ainsi le fonctionnement participatif de nos organisations. Notre mode de gouvernance démocra - tique des entreprises d'ESS intégrera des objectifs sociaux, civiques et environnementaux au-delà même des règles de Responsabilité sociale des entreprises (RSE) ; (proposition 7)

• D'encourager systématique- ment le développement du mouvement de la consomma- tion responsable et du commerce équitable par des politiques publiques et des accords internationaux. (proposition 8)

TROISIÈME CHANTIER :

OFFRIR DE NOUVEAUX CHOIX SOCIAUX

L'État social, dans les pays du Nord en général, est partiellement tombé en crise parce qu'il n'est pas parvenu à sortir de la précarité quelques 20 % de sa population active, parce qu'il a exclu la plus grande partie des citoyens et des travailleurs des processus de construction des grands services publics destinés aux communautés et aux régions (éducation, santé, formation de la main d'œuvre…). Simultanément, l'État social, dans nombre de pays du Sud, s'est littéralement effondré sous l'impact des programmes d'ajustement structurel. Aujourd'hui le «fondamentalisme de marché» est un échec car il ne parvient pas à démontrer qu'il peut faire mieux que l'État dans nombre de domaines par la privatisation de la santé, par le ciblage de la protection sociale, par la valorisa - tion de l'assurance privée. C'est pourquoi nous demandons aux chefs d'Etat et à leurs gouvernements :

• De soutenir , au Sud, la refon - dation d'États sociaux, notam- ment par une collaboration avec nos initiatives d'ESS qui contri- buent à solidifier un développe- ment endogène tout particuliè - rement en matière d'agriculture, d'épargne et de crédit, de santé et d'habitat ; (proposition 9)

• De travailler à renouer au Nord avec un Etat social lié à ses terri- toires (régions) et à ses communautés par une participation citoyenne organisée dans la délibération sur les choix des priorités locales et régionales (en matière de santé, d'éducation, d'habitat, de services sociaux…), dans le respect du pluralisme et de la diversité à la base de toute rela- tion humaine ; (proposition 10)

• De soutenir, partout et avec nous : - la vie associative productrice de lien social qui est indispensable, notamment par la création de nouveaux services collectifs telles que des coopératives sociales dans des secteurs comme la santé, l'éducation, l'habitat… et que ceux-ci doivent émerger d'une cohabitation active des États, collectivités locales, territoriales, avec les initiatives citoyennes : délégation de services publics, etc. - le développement de pôles col - lectifs de développement social (coopératives couveuses d'activités, associations, coopératives d'artisanat, structures d'aide à l'insertion par l'activité économique...), afin de systématiser les passerelles entre la sphère économique et la sphère sociale, entre le secteur marchand et le secteur non marchand, - les initiatives pour faire de l'ESS un espace de rencontres et de production d'ententes de partenariat. (proposition 11)

• De renforcer les solidarités intergénérationnelles au sein de vos pays par l'appui apporté aux entreprises et organisations de l'ESS, dont les fonds propres indivisibles assurent la durabilité (non opéables, non délocalisa - bles). (proposition 12)

• De soutenir nos initiatives d'ESS de démultiplication de la formation des futurs acteurs de notre développement, en lien étroit avec le monde universitai- re et de la recherche, notamment par la création de centres internationaux de formation de dirigeants de l'ESS. En effet, l'ESS doit permettre aux nouvelles générations de participer à la gestion du système socioécono - mique, en ce qu'elle peut constituer une voie d'accès aux responsabilités ; (proposition 13)

• D'instaurer la reconnaissance au niveau mondial du principe universel de l'égalité hommes/ femmes et à mettre en place des politiques publiques concrètes en faveur du droit à l'éducation, à la formation, à la santé, au tra -

vail…, à dégager les budgets nécessaires à leur mise en œuvre et assurer leur évaluation. De notre côté, nous nous engageons à ce que les acteurs de l'ESS accentuent leurs efforts et dispositifs en faveur de l'égalité hommes/femmes, dans le partage des responsabilités commedes richesses créées notamment en développant des solidarités entre les organisations de l'ESS. (proposition 14)

QUATRIÈME CHANTIER : MIEUX NOURRIR LA PLANÈTE

La question écologique est en train de s'imposer dans le débat démocratique tant au plan national qu'au plan international. Les réponses à l'urgence éco - logique sont parties prenanted'une proposition centrale de l'ESS pour la sortie de la crise. C'est pourquoi nous demandons aux chefs d'Etat et à leurs gou - vernements :

• De mettre en place, prioritaire- ment, par une éco-fiscalité appropriée, la conversion écologique de votre économie dans l'habitat (efficacité énergétique) et dans le transport (collectif et public) en collaboration avec les organisations et entreprises de l'ESS, en misant en priorité sur les énergies renouvelables (l'éolien, la biomasse, le solaire, le géo - thermique…) et le retrait, sinon le contrôle, de l'exploitation des énergies fossiles (gaz de schiste, pétrole…) en collaboration avec les organisations et entreprises de l'ESS ; (proposition 15)

• De construire et mettre en œuvre des politiques de soutien à une «agriculture écologique- ment intensive» et à un aménagement intégré des forêts qui doivent s'arrimer aux organisa- tions paysannes et aux coopératives agricoles et forestières qui innovent dans ces domaines (biomasse, reforestation…). Nous soutiendrons vos poli- tiques en ce sens en appelant nos coopératives et organisa - tions paysannes à collaborer et à se solidariser afin de placer l'innovation au cœur de leurs activi - tés tout en s'assurant de maintenir leur indépendance vis-à-vis des Etats et des communes ; (Proposition 16)

• D'appuyer résolument, de concert avec les institutions internationales le droit des peuples à la souveraineté alimentaire en sortant l'agriculture et la forêt des règles internationales du «tout au marché» dont elles sont prisonnières ; (proposition 17)

• D'impulser et réaliser une poli - tique très volontariste de protection des écosystèmes : en reconnaissant et en protégeant les diverses formes de gestion des ressources natu- relles, matérielles et immatérielles, que forme l'éventail des biens communs. - en s'appuyant et en promou - vant l'ESS pour passer d'une économie axée sur le maximum de profit à une économie durable. - en menant, avec les citoyens, la nécessaire «révolution bleue», par la promotion d'une «écono- mie bleue» recherchant la préservation des ressources en eau et le principe de précaution dans son utilisation. (proposition 18)

CINQUIÈME CHANTIER :

RÉORIENTER LA MONDIALISA - TION POUR L'HUMANISER

Ces nombreuses pistes n'ont peut-être rien d'une grande transformation à première vue, mais, mises ensemble, elles per - mettent d'ouvrir la voie à une économie au service de la socié- té et donc de sortir dans les faits, même si ce n'est que partiellement, du capitalisme, de ce «tout au marché» tout en nous préservant par les dispositifs de la démocratie participative du «tout à l'État». Il faut prendre acte des alternatives qui sont déjà là dans des dizaines de milliers d'expériences évoluant à différentes échelles (locales, nationales, transnationales). C'est pourquoi nous deman - dons aux chefs d'Etat et à leurs gouvernements

• D'intensifier leur encourage - ment à la solidarité internatio- nale, tout particulièrement la solidarité Nord-Sud et Sud-Sud, celle qui favorise le développement de nouveaux partenariats entre coopératives, mutuelles, fonds de travailleurs, associa- tions, syndicats…. En effet, l'ESS constitue un vecteur d'intégra - tion de l'économie populaire (dite parfois informelle) dans le système économique mondial. Ses principes et ses valeurs per- mettent la mutation de structures informelles en entreprises d'économie sociale (coopératives, mutuelles, associations…). Pour cela, les Etats doivent favo - riser et inciter ce basculement ; (proposition 19)

• D'encourager le développe - ment de stratégies de renforce- ment de pôles continentaux et internationaux d'ESS. C'est à ce niveau que se situe le Forum international des diri - geants de l'économie sociale dans son travail avec des organisations comme l'Alliance coopérative internationale (ACI), l'Association internatio - nale de la mutualité (AIM) et divers réseaux continentaux de l'ESS…, lequel doit consister à croiser et interconnecter les réseaux d'ESS existants, nationaux, régionaux, trans- nationaux, continentaux ; (proposition 20)

Pour mettre en œuvre ces chan - tiers et réaliser ces propositions : nous ferons mouvement par une action politique fédérative

Afin d'aider aux décisions ci-des - sus et à leur mise en pratique, nous croyons nécessaire, aujour- d'hui davantage qu'hier, d'exercer une présence plus forte dans l'espace public et des prises de position sur des questions de société (ce document en témoi - gne, tout comme les Rencontres du Mont-Blanc que nous organisons depuis 2004). Près de 450 personnes venues de 60 pays ont participé aux Rencontres du Mont-Blanc depuis 2004.

C'est pourquoi nous soutien- drons davantage la dimension confédérative internationale des organisations de l'ESS pour lui assurer plus de poids politique (ACI, AIM…), nous favoriserons la confrontation d'expériences à l'échelle mondiale, de manière à donner à ces réseaux, les outils nécessaires au développement de pro - jets transnationaux, car l'inter- nationalisation de ces pratiques doit être multipliée.

Pour ce faire, nous exprimons notre volonté de faire mouvement dans la prochaine décennie avec d'autres organisations (syndicales, écologiques, paysan - nes…) en instaurant un débat permanent autour de cette plateforme de propositions (sociales, économiques et écologiques) dans la mouvance de cette grande rencontre internationale qu'est RIO + 20.