La représentation de la citoyenneté dans la société guadeloupéenne

N otre rédaction a reçu pour publication cette contribution de Mme Migerel, anthropologue et psychanalyste, très connue puisque assez médiatisée. Nous la publions car , nous nous réjouissons du fait que cette compatriote semble sor- tir de sa neutralité habituelle pour s'engager en tant qu'intellectuelle dans le débat politique. C'est précisément parce que nous ne superposons pas le concept de citoyenneté celui de nationalité que nous avons posé, il y a 54 ans, la question de la décolonisation et de l'é - mancipation nationale de notre peuple par la revendication de l'Autonomie. A l'époque, pour des raisons découlant même du dveloppement socio-historique de notre peuple, celui-ci était réellement attaché à la citoyenneté française. Il l'est encore aujourd'hui pour une grande partie, croyons-nous. Mais cela, de notre point de vue, ne constitue pas un obstacle insurmontable pour que notre peuple accède, à terme, à sa souveraineté, à sa véritable responsabilité politique.

Claudy Chipotel

Par Hélène Migerel,Docteur en Sciences Humaines, Psychanalyste

La représentation de la citoyenneté est à envisager sous trois aspects : • Un aspect affectif qui correspond aux liens entretenus par la France avec la population des DOM • Un aspect organique qui inclut la connaissance des institutions et des hommes • Un aspect fonctionnel qui concerne leurs tâches et leursrôles.

A quoi s'ajoutent des paramèt - res tels l'âge, la catégorie socia- le, le sexe. Les modes de réaction en effet diffèrent d'une strate socioculturelle à l'autre, influencés par des marqueurs comme la trans - mission transgénérationnelle, donc familiale. Cela ne signifie en rien que la représentationidée que le plus grand nombre se fait d'une situation ou d'une chose- ne puisse évoluée. Mais elle ne change pas fondamentalement. Je ne veux que pour exemple la représentation de l'étranger pauvre ici et ailleurs.

Afin de mieux comprendre ce qui se joue au niveau de l'imaginaire, de la citoyenneté, un suc - cinct historique est nécessaire. Au commencement, la France était parée d'un certain nombre de vertus, d'abord dans ce rôle de protection socioéconomique, puis de formation des universi- taires et des autres, et de pourvoyeur d'emplois. Depuis les années BUMIDOM (1962 vision idyllique de la nation s'est modifiée de cette rencontre avec l'autre sur son sol qui a été une rencontre d'avec soi-même, doublée d'une prise de conscience de réelles difficultés liées à la dif- férence de phénotype. Ce sentiment de discrimination a implanté la perception de deux catégories de Français : celle des Français à part entière et celle des Français entièrement à part, favorisant l'émergence de revendications identitaires. La loi de la départementalisation du 19 mars 1946 avait fait des antillais des personnes de nationalité française : la nationalité étant un lien juridique qui relie un individu à un Etat. Elle comporte une obligation de droits et de devoirs réciproques. Il n'est pas loin ce temps où les décrets n'étaient pas systématiquement appliqués aux DOM, tour à tour ultrapériphériques, ultramarins (au gré des succession de minist - res\ lésés par un gouvernement de la République qui n'avait pas cons - cience de courir le risque de manifestation d'hostilité, tant il était assuré d'une population présentant des gages de docilité politique.

Les années ont passé. Différents évènements douloureux ont été dissimulés et refoulés opérant un clivage chez ceux des générations suivantes, tout en exacerbant leur imaginaire. La troisième île vivant sous une autre latitude, après la posture orgueil-leuse et mensongère d'une réussite généralisée, commençait à envoyer des signaux alarmistes de désillu- sion. L'ère de l'aveuglement volontaire était dépassée. Ce réel toujours impossible à dire, laissait filtrer une ralit partageable.

Un récent sondage d'avril 2012 affirme que seuls 10% des Guadeloupéens ne sont jamais allés en France hexago- nale, cela signifie que le contact est d'importance. Rien de mieux que de se rendre compte par soi-même d'une situation qui crée un nouveau modèle de référence, effrite la confiance accordée à la gouvernance oublieuse des promesses électorales. Le doute sert d'aliment à la rancœur . Ainsi le concept de nationalité dans un enchaînement des logiques sociales et mentales mal arrimé, légitime des points de vue divers, si bien que les horizons philosophiques les plus élaborés se mêlent aux rancunes les plus archaïques et aux envies les plus élémentaires. Car en même temps l'édification de la carte d'identité guadeloupéenne sug- gérée par le KLNG, n'a suscité aucun débat passionné.

Quelques uns s'interrogent sur la nécessité pour une nation providence de répondre aux contradictions apportées par la colonisation et l'esclavage par la construction d'un pacte social suspect : assez conséquent pour éviter le retour à l'inhumanité, mais insuffisant à édifier un projet d'intégration réel dans une société égalitaire, et ne manquant jamais de rappeler son exemple d'une humanité frater - nelle et vertueuse. «En matière sociale, revendiquer ici d'appliquer la loi rien que la loi (la loi des autres), c'est demander une corde pour se pendre. Se pendre pour les autres, c'est se nier», affirme Louis Théodore, un des fondateurs du syndicalisme révolutionnaire dans les années 1970, dans une interview accordée au journal «Caraïbe Créole News» d'avril 2012 : des avis contrastés mais instructifs sur le plan du jugement des compétences de l'appareil politique. Se nier après constat des inégalités ?

Accepter que le je sois un autre ? Des réactions surgissent sous forme visible avec le sceau Gwada populiste, sem- blable une démonstration de nasyon a nèg mawon, marquant la différence dans la manière d'être au monde, notifiant les racines et l'appartenance, pen- dant que les biens pensants jettent des regards craintifs sur une identité revendiquée et trop prononcée. «Etre Gwada mais pas trop, sans exagération tout de même !».

Les controverses ne manquent pas au gré des besoins, de cher- cher les coupables d'une situa- tion invraisemblable de consommation où la dépendance du ventre ficèle la pensée, pour essayer d'analyser l'ambiguïté des questions à ne pas poser. Comment être Français ici et ailleurs ? D'abord qu'est-ce qu'un Français ? Mais mieux, qu'est-ce qu'un Guadeloupéen ?

En arriver à ce face à face du Qui suis-je, là où gît la question de l'i- dentité, taraude un certain nom- bre. Ont circulé sur le net des réponses de personnes jeunes qui évoquaient leur appartenan- ce en fonction de trois éléments culturels : le magico-religieux, la nourriture et la musique, par ordre décroissant. L'importance accordée à l'imaginaire créole souligne la portée de l'âme et du ressenti des affects dans la prise en compte de l'humain.

A suivre…