Un regard sur la Toussaint

Lieux jadis combien sacrés,ces espaces de repos perpétuel, bien ancrés dans la culture guadeloupéenne,continuent d'attendre chaque année,des parents des défunts,un toilettage,sous différentes formes : lavage,peinture,relèvement des fosses,sarclage etc..

D ans six jours, les 1eret 2 novembre, ils seront tous illuminés, comme pour dire à nos chers disparus : «Nous ne vous oublions pas». Alors, au cours de ces deux soirées, se ren - contreront ou se succéderont auprès des tombes, des caveaux familiaux, des stèles mémoriales ou des ossuaires municipaux, des parents, des amis, des simples connaissances, qui répéteront le geste ancestral de se signer, d'allumer une bougie ou de déposer un bouquet, en mémoire de ceux qu'ils n'ont pas oubliés. Ils n'ont pas oublié ! …Pour combien de temps encore ?... Combien seront-ils, lors de ces veillées des 1eret 2 novembre 2012, dans les cimetières de notre archipel de Guadeloupe, pour évoquer les souvenirs qui se rat - tachent à l'existence d'un être, aussi éloigné soit-il dans la généalogie mais qu'ils ont aimé ? Les observations faites depuis une vingtaine d'années mont- rent, en effet, un désintérêt de plus en plus grand pour ces moments forts de notre calen - drier culturel. Personne ne peut contester que nos cimetières sont, chaque année, de moins en moins fréquentés à la Toussaint et le jour des morts, de moins en moins éclairés, et se vident aussi des visiteurs de plus en plus tôt. S'il faut risquer quelques causes, on peut avancer : - le climat d'insécurité qui existe au quotidien. - la multiplication des reli- gions, dont certaines enseignent qu'après la mort il n'y a plus rien, allant à contre-courant de la religion catholique qui détenait pratiquement le monopole de l'éducation reli - gieuse en Guadeloupe, jusqu'à la fin des années 1960. - La dispersion des dépouilles des membres d'une même famille dans différents cime- tières de l'archipel, en raison souvent du lieu de domicile. Les parents des défunts sont alors contraints de passer de cime- tière en cimetière pour les honorer, parfois au cours d'une même soirée. - la pratique encore récente de l'incinération, associée parfois à la dispersion des cendres qui a une portée psychologique certai - ne traduisant qu'après la mort tout est fini. - les préoccupations indivi - duelles qu'engendre la société par le biais des Mass Media et qui obligent à ne pas manquer le programme de la radio ou de la télévision. l'abandon de certains rites funéraires marquant la solidarité après l'inhumation par les familles endeuillées, en collaboration avec les entreprises de Pompes Funèbres, tel cet avertissement : «Pas de condoléances !» ou enco- re «Pas de condoléances au cime- tire!» ou encore «les familles recevront les condoléances à la maison mortuaire». Pourquoi voudrait-on, qu'après un déplacement au cimetière pour accompagner le défunt et les parents, on fasse encor e le pèleri - nage jusqu'à la maison mortuaire pour de telles salutations ? En toute chose, il faut savoir considérer la juste mesure. A moins qu'on soit, décidément, esclave du boire et du manger comme on peut regretter que cela se pratique abusivement depuis quelques années le soir des veillées mortuaires ! - le phénomène de mimétisme par importation et adoption de pratiques étrangères à nos coutumes. Chacun a droit, naturellement, au plus grand respect de sa foi et de ses croyances. La Guadeloupe, communauté multi raciale, multi ethnique et multi obédiences est à cette image. Cependant, on peut se demander si le fait de tourner le dos, consciemment ou inconsciemment à certains lieux de culte, n'est pas à la base de leur profanation par des individus mal inspirés. Pour ou contre, tous ces lieux de culte, qu'ils s'appellent, pour ce qui concerne aujourd'hui notre pays, églises, temples, cimetières, autrefois si sacrés, méritent également le plus grand respect. Ilconvient donc que ceux qui y croient encore, et ils restent nombreux, perpétuent l'ensei - gnement reçu de leurs parents, de leurs grands parents et de leurs ancêtres plus lointains, pour continuer à affirmer, à la face du monde, que la Guadeloupe est bien un Grand Peuple, constitué d'une petite population, d'un peu moins de 500 000 habitants, ayant son histoire et ses caractéristiques culturelles, sur un espa - ce géographique. C'est bien ce peuple, cette nation, qui sera appel le moment venu à exercer ses responsabilités en toute souveraineté. Ne prenons pas le risque d'avoir à faire renaître ou revivre la Toussaint comme nous avons été obligés de faire pour le gwo-ka, le carnaval et le chanté nwel. «Sa ki taw, sé taw !». Alors, cultivons notre patrimoine !