Paul-Emile Richard : Une grande figure du Parti Communiste Guadeloupéen

Dans notre édition du jeudi 11 octobre 2012, dans la rubri-que «Parlons vrai», nous avons rendu hommage à tous les Communistes qui, jusqu'ici, ont témoigné une fidélité sans faille à la pensée Marxiste. La liste ne saurait être exhaus- tive dans un document destiné aux lecteurs de Nouvelles- Etincelles. Cependant, ils res- teront tous gravés dans l'histoire du Parti CommunisteGuadeloupéen. C'est le cas du docteur Paul- Emile Richard, né le 02 juillet1927. Acquis très jeune aux idées communistes alors qu'il poursui- vait ses études en France, ayant côtoyé, dès son retour, les principaux dirigeants du Parti Communiste Guadeloupéen, il signe son adhésion en 1963. Il a assuré le secrétariat de la Section Communiste de Petit-Bourg avec le Secrétaire de Section Camille Dezac et a été membre du Comité Central du Parti. Il nous confie aujourd'hui son parcours qui s'avère une contribution à la formation des Communistes et un appel à la jeunesse guadeloupéenne à s'engager dans la voie d'une Guadeloupe maîtresse de son destin

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MON CHEMIN, MA DESTINÉE (P aul-Emile Richard) La vie est un long fleuve tranquille,pas toujours, pas pour tout le monde»

Cette traversée, il fallait la faire, malgré les dif ficultés qu'on ne manquait pas de rencontrer . Ai-je réussi dans cette entreprise ? La question ne se pose pas ainsi, à l'échelle de l'individu. L'humanité est un tout, chacun a sa part de responsabilité pour assurer sa survie et doit pouvoir dire, étant un simple maillon de la chaîne : "J'ai fait de mon mieux malgré ma modestecontribution"

Des atouts, je n'en avais pas au départ, pas du tout. Jeté dans un monde complexe, en plein bou - leversement, plein de confusion, il fallait bien que je m'en sorte.

Ma mère, m'a t-on dit, tenait un petit restaurant où quelques clients venaient prendre leurs repas. Elle avait trois fils dont j'é - tais le benjamin. Comme dans beaucoup de familles antillaises, elle était le poteau mitan sur lequel reposait toute la cellule. Elle mourut très tôt, à l'âge de quarante ans environ, laissant ainsi trois orphelins. Nous avons eu de la chance car nous fûmes recueillis par sa sœur , veuve sans enfant, qui souhaitait en avoir . Ce fut une chance pour nous, peut-être un bonheur . Elle nous reçut comme un don du ciel. Je peux dire que notre vie commençait à ce moment là. Du passé, je ne gardais que le souvenir de ma mère dans son cercueil qu'on transportait vers le cimetière de Bananier où était enterré son père. Notre mère adoptive travaillait à la Préfecture où elle occupait un poste d'auxiliaire, recrutée à titre précaire et révo- cable. Cette formule résonne toujours à mes oreilles ; autrement dit, elle pouvait être congédiée à n'importe quel moment. Quel désastre cela eût été pour nous ! Notre scolarisation, notre soif d'étudier pour obtenir des diplômes afin de nous intég - rer dans la société, tout cela ne serait qu'un rêve. Heureusement pour nous, le sort voulut que ma tante gardât son poste jusqu'à l'âge de sa retraite.

J'étais au L ycée Gerville-Réache, le cadet Roland était interne au lycée technique de Pointe-à-Pitre. Elève particulièrement brillant, il eut une bourse pour poursuivre ses études à Cachin, non loin de Paris. Pour des raisons de santé, l'aîné ne put continuer sa scolarisation. Au lycée de Basse-Terre, je fus reçu sans avoir à payer le droit d'en- trée, car j'avais été reçu au certificat d'études à l'âge de douze ans. à cette époque le lycée étant payant. N'y allaient que ceux de la bourgeoisie ou de la classe moyenne. Je fréquentais ce bâtiment situé, à l'époque, derrière la Préfecture. On était en pleine guerre : 1939-1944. Le gouvernement de Vichy, avec le maréchal Pétain à sa tête, dirigeait la France. Chaque matin, il fallait assister au lever du drapeau et chanter :

«Maréchal nous voilà, devant toi le sauveur de la France, nous jurons, nous tes gars, de servir et de suivre tes pas [….]».

Malheur à ceux qui ne pre- naient pas cette tâche au sérieux. Un de nous fut ren- voyé car, il avait osé siffler l'air de l'international sous la galerie. Dans notre archipel, nous subissions inexorablement les conséquences d'un blocus, le fait qu'aucun bâtiment ne pouvait entrer pour nous ravi- tailler : il courait le risque d'être torpillé par des sousmarins qui rôdaient dans les parages. Il faut bien se rappeler que des navires de guerre français, étaient ancrés dans les ports antillais sous l'autorité de l'amiral Robert.

Nous sommes toujours à Basse- Terre en 1944, en pleine guerre. C'était l'époque des privations, aussi bien alimentaires que vestimentaires. Le Gouverneur Sorin dirigeait l'île comme un véritable dictateur. Le Jeanne-d'Arc, un bâtiment-école, était fixé dans le port de Pointe-à-Pitre. Ses marins organisaient régulièrement des patrouilles dans les rues de Pointe- à-Pitre et de Basse-Terre, car le mécontentement grandissait de plus en plus. Les jeunes et les moins jeunes, femmes et hom- mes, partaient la nuit dans l'île voi- sine de la Dominique pour rejoindre les forces françaises ralliées au Général de Gaulle, installées aux Etats-Unis. Une chasse aux présu- més déserteurs était effectuée de jour comme de nuit. Une certaine résistance s'organisait. «V49otre agonie est longue, mais la mort est certaine», telle est l'inscription qu'on pouvait lire sur les murs du Palais de Justice. Le 22 mai 1944, un dimanche, une manifestation, d'une grande ampleur, rassemblant plus d'un millier de personnes, commença à défiler dans les rues de la ville au cri de : «Vive De Gaulle, à bas Sorin !». Ces manifestants n'étaient pas armés. C'était une manière d'exprimer leurs exaspérations. Je me suis joint à eux du côté du Cours Nolivos, pensant participer à une manifestation festive. Le Gouverneur Sorin en prit peur et donna l'ordre à la gendarmerie d'arrêterce dfil par tous les moyens.

Les gendarmes tirèrent sur nous, sans sommations. Il y eut un mort : Serges Balguy 17 ans, tué au champ d'Arbaud, la poitrine transpercée par une rafale de balles, plusieurs blessés dont M. Saint- Charles qui allait au cinéma. Il fut amputé d'une jambe. La police, les marins du Jeanne d'Arc, tout ce monde en civil comme en tenue se mit à la recherche des participants au défilé. En fait, tout le monde était suspecté. Un jeune policier blanc, alors que j'étais devant le cinéma d'Arbaud, me donna un coup de pied. J'eus le réflexe de tenir sa jambe. Il perdit équilibre et tomba. Aussitôt, des amis vinrent me trouver pour me conseiller d'aller me cacher. Ce que je fis.

Dans cette ville de 8 000 habitants environ à cette époque, tout le monde se connaissait bien, sans pour autant fraterniser. Les préju- gés persistent, qu'ils soient de classe, de race, voire du degré de métissage. On tient compte de la dose de mélanine de chacun, de la texture de ses cheveux plus ou moins frisés. Nous sommes dans une colonie. Bon nombre d'esprits ne parviennent pas à s'adapter à cette complexité raciale : ils sont perturbés. Les psychiatres, les psychanalystes, les sociologues, les écrivains en ont parlée. Nous citerons Frantz Fanon, dans son ouvrage remarquable : «Les dam- nés de la terre». Il analyse les trau- matismes causés par le colonialis- me sur le mental du colonisé. Plus près de nous, la romancière Gisèle Pineau qui a exercé la profession d'infirmière dans un hôpital de psychiatrie, décrit les troubles de cette nature que présentaient souvent ses patients.

Il est bien certain que la longue période de l'esclavage a marqué les esprits d'une façon indélébile. Il faudra encore bien des années pour que l'Antillais s'affirme dans toute sa dignité, sans complexes, sans esprit de revanche.

La phrase d'Aimé Césaire : «Je suis fier d'être un nègre» n'a pas été entendue et comprise de tous. La négritude qu'il prône a été interprétée comme une forme de racisme alors qu'il s'agit essentiellement de la réaction de l'homme noir qui a été bafoué, méprisé, pendant des siècles et qui veut qu'on le reconnaisse dans sa dignité.

J'étais en classe de 3e. J'allais sou- vent à la mer, un peu pour m'a- muser, mais surtout pour apporter à la maison les produits de la pêche que je pratiquais. En ce temps de disette, ils étaient bien reçus. Malheureusement, ma sco- larisation fut quelque peu négligée. Ma tante me confia à une voisine, institutrice retraitée, qui m'aida bénévolement à me rattraper : «Aide toi le ciel t'aidera», je veux dire, le hasard.

Au lycée, je côtoyais journelle- ment des fils de famille aisée : certains arrivaient parfois dans leur voiture conduite par un chauffeur en livrée. J'apprenais aussi que certains de nos professeurs donnaient des cours à des jeunes à leur domicile, soit à St-Claude, soit à Gourbeyre. C'était des fils de grands propriétaires de banane, de grands négociants à Basse- Terre. Je comprenais ainsi mieux ce qu'est une classe sociale.

Muni de mon diplôme de bache- lier, je dus rester au pays où je pus exercer pendant quelques mois la fonction d'instituteur à Marigot Vieux-Habitants. J'avais une classe de plus de 100 élèves du cours préparatoire avec 3 subdivisions. J'ai pu avoir un poste de maître d'internat au Lycée de Basse-Terre et être affecté à l'économat. Le Proviseur était M. Elie Chauffrein. Il y avait bien un Intendant qui avait la charge du lycée de Pointe- à-Pitre et de Basse-Terre. Mais, une fois qu'il m'eût donné les dos- siers du personnel de Basse -Terre, je le voyais une fois par semaine, très rapidement, juste pour super- viser. Le Proviseur s'était bien rendu compte de cette supercherie. Il me posa la question de savoir ce que j'envisageais de faire pour l'avenir. Je rêvais d'aller faire des études en France. Je le lui dis et, environ six mois après, je reçus du Rectorat de Bordeaux, une affectation dans un collège de Cadillac, à trente kilomètres de Bordeaux. Je m'inscrivis à la facul- té de médecine. Désormais, il fallait, d'une part, suivre les cours à la faculté, assurer les heures de pré- sence à l'hôpital le matin, et, d'autre part, se rendre le soir à Cadillac pour surveiller les élèves du collège. Le vrai défi était lancé, il fallait l'affronter pour se réaliser.

La Guadeloupe, colonie françai- se dont l'économie a été sacrifiée au profit des intérêts de la métropole et, maintenant, de l'Europe, est dans la tourmente. J'avais 19 ans en 1946.

J'écoutais assidument des person- nalités politiques qui venaient nous entretenir sur la situation du pays et du monde. Il s'agissait pour eux de démontrer que la crise que nous connaissons était prévisible. C'est la conséquence inévitable du système capitaliste, qui n'a en vue que l'enrichisse- ment d'un petit nombre de privilégiés au détriment des intérêts des populations de la planète.

Je rends hommage à ces hommes et femmes qui éveillèrent ma conscience politique. Leurs noms me reviennent en mémoire : Rosan Girard, Hégésippe Ibéné, Gerty Archimède, Paul Lacavé et bien d'autres encore...

J'appris ce qu'est le Marxisme. Dans le système capitaliste, la société, objectivement, est divi - sée en classes : celle de ceux qui détiennent les biens de produc - tion et celle de ceux qui n'ont que leur force de travail. Leurs intérêts sont antagonistes. La lutte des classes est réelle : ceux qui détiennent la fortune feront tout pour se renforcer, aidés par la législation qu'ils ont créée, par les religions, pour se donner bonne conscience. Ce ne sont pas les réformes proposées depuis des siècles et aujourd'hui encore qui pourront changer ce rapport de force. A l'échelle planétaire, le mécontentement grandit de plus en plus.

La marmite finira par exploser. L'Humanité pourra alors connaître une société sans classes, dans laquelle l'homme sera payé selon sa capacité et la contribution qu'il apporte. Les conditions ayant été créées pour développer et proté - ger son environnement.

Pour terminer , je voudrais dire, selon les mots de Gerty Archimède, que ceux qui ont eu la chance de passer à tra - vers les mailles du filet, doi - vent se joindre à tous ceux qui veulent changer ce système odieux du capitalisme.