L’école : Une fabrique à creuser les inégalités ?

Les attentes à l’égard de l’école n’ont jamais étéaussi for tes.Ecole dont on attend tout et qu’on critique tant.Elle est devenue le couteau suisse de nos impuissances sinon nos insuffisances.L ’école est r a v alée au rang de samu de notre veulerie,de notre faiblesse. Or , dans le même temps,ses capacités à les satisf air e et sa légitimité même se voient plus que jamais contestées.

Nous avons voulu considé rer le système éducatif moins comme un instru ment de sélection que commeune source d’émancipation.Nous serions-nous dangereuse ment trompés? En effet, l’école est marquée par de fortes inégalités et d’origine multiple : sociale, territoriale, de genre, d’of fre scolaire, de financement, de conditions d’enseignement. C’est bien au-delà d’une hiérar chie scolaire. C’est une pyramidesociale qui s’installe, durable etintangible. L ’école de Jules Ferry est une équation des impossibles qui ne profitant plus qu’auxmeilleurs élèves. Car l’école nesait pas faire réussir les autres. Elle offre un enseignementélitiste adapté aux plusbrillants. Ainsi, la France estl’un des pays développés oùl’écart de résultat est le plusimportant entre les élèves destatuts sociaux favorisés etdéfavorisés(programme inter national pour le suivi des acquis des élèves – enquêtesPISA basée sur la mesure descompétences des élèves. En 2009, près de 450000 élèves – dont 4500 français 1%passé plus de 2h30 de tests dans65 pays de l’OCDE). Le facteur socio-économique reste encore aujourd’hui centraldans la réussite des élèves. Le déterminisme social s’est défini tivement installé dans le quoti dien du système éducatif français et a fini par se confondreavec lui. Au final, la politique éducative ne corrige donc pas les inégalités de départ de la situation des élèves. Elle tend plutôt àrenforcer les inégalités scolaires. La méritocratie reste une barrière infranchissable. Le service civique est un pallia tif social pour ceux que l’écolene tire plus hors de leur condi tion. Une ultime tentative pour fluidifier le jeu français,puisque les institutions nor males sont bloquées. T oute une série de données qui semblaient aller de soi et qui ser vaient de socle à l’institution scolaire ont été ébranlées, voiresont en passe de disparaître. La famille et l’école ne tirent plusdans la même direction. Le sensdes savoirs s’est brouillé. L’autorité dont l’institution scolaire a besoin pour fonctionnerne lui est plus reconnue. La fonc tion sociale de l’éducation et laplace de l’enfant dans la sociétésont devenues problématiques. La notation perçue comme une sanction, est diabolisée au nom des libertés. La dictée est décon seillée quand le niveau de l’or thographe s’effondre. La suppression sinon la limitation duredoublement et du travail à lamaison est suggérée à demi mot. La culture générale est supprimée des examens et concoursd’entrée des grandes écoles. Tout cela au prétexte que cesinstruments d’évaluation sontdes facteurs d’inégalité. En outre, un système éducatif parfois accusé de laxisme à l’égardde l’indiscipline des élèves, la maladie honteuse selon l’ex pression du philosophe Emile Chartier alias Alain, qui abandonne ses enseignants à leur fra gilité et à leur solitude. Dans ce contexte, l’avertisse ment de Platon \(IV siècle avant JC) dans «La République» garde tout son sens : «Lorsque les pères s’habituent à laisser faire leurs enfants. Lorsque les maît res tremblent devant leurs élè ves et préfèrent les flatter.Lorsque les jeunes méprisent leslois parce qu’ils ne reconnaissentplus rien au-dessus d’eux, alors c’est le début de la tyrannie»?De surcroît, la question scolaire se pose dans le contexte de lavaste mutation engendrée parles nouvelles technologies. Ellessemblent sonner le glas du savoir. En effet, la politique desgénérations n’est plus portée ni par les curés, ni par les instituteurs, mais par les spécialistes dumarketing. La socialisation del’innovation s’opère désormais à travers un marketing de la jeunesse, devenue un pouvoir d’a chat. La société est segmentée en fonction de marchés, sur leciblage des générations. Comment donc communiquer aux élèves les valeurs républicaines, les enseigner la morale laïque, quand la télévision détricote le soir ce que l’école aurapéniblement tenté d’inculquerpendant la journée. C’est enreprenant en compte tous cesfacteurs, qu’un nouveau contrat intergénérationnel doit être fondé. L’Etat social ne se résume pas à la sécurité sociale. Son avenir est en partie suspendu à cettequestion des générations. Plus que jamais les esprits ont besoin d’une solide formationdu jugement, de méthodes et derepère que seule une écolerefondée peut, à l’échelle d’une société, enseigner. Et pourreprendre la formule de Charles Péguy, «il faut faire entrer la République dans les écoles». Il est donc important de réaf fir mer une haute ambition pour l’école afin d’enrayer le sacrificeéhonté de la jeunesse guadelou péenne et favoriser sa forma tion. En ef fet, la part de la popu lation de plus de 15 ans non sco larisée et sans diplôme est deux fois supérieure à la moyennenationale. Cette situation n’estpas sans lien avec le fort tauxd’illettrisme qui touche 20% desguadeloupéens. A cet égard,69% des personnes illettréessont sans diplôme et sont à 80%issues d’un milieu social défavori sé. Par ailleurs, 30% des jeunesqui participent à la Journéedéfense et citoyenneté sont endif ficulté de lecture. Cette insuffisance de forma tion est source de pauvreté.Car la formation est un facteur fondamental du développement économique et un pilierdu pacte républicain quiimplique de donner du travailà chacun et des perspectives àla jeunesse. Cette question est redevenue centrale avec l’ag gravation des inégalités sociales et du risque de marginali sation définitive dont souffre une partie des jeunes guadeloupéens. Cette fracture scolaire à la fois la conséquence et la causenon exclusive de la fracture sociale, de la relégation culturelle, des carences cumuléesdes politiques urbaines, du recul de l’Etat et des institu tions, de la crise de la citoyen neté collective. Le capital cul turel en particulier sous sa forme scolaire, continue d’o rienter puissamment les trajectoires sociales. Il est même vraisemblable que la valeur sociale des diplômes n’ait jamais été aussi forte qu’aujour d’hui. Nos pratiques culturelles sont en premier lieu structurées par les clivages économiques (Pierre Bourdieu, La Distinction, 1979. Philippe Coulangeon, Métamorphoses de la distinction, Grasset, 2011) ’école française est en effet trop et trop tôt sélective. Elle est ségrégative et reproductive. En réalité, le simple reflet d’une société ellemême tout aussi élitiste etinégalitaire. La concertation nationale sur la refondation de l’école engagéedurant les mois de juillet à sep tembre 2012 connaîtra son épilogue au travers le projet de loi d’orientation et de programmation pour l’Education nationale.A l’évidence, les orientations affichées en matière d’égalitéde chances et de promotionsociale constituent une avancée. Toutefois, ces nobles ambitions restent fort parcellaires pourendiguer le mal endémique quironge jusqu’à l’os le systèmeéducatif. L ’élitisme républicain de notre école, sa culture duclassement et de l’élimination précoce, sa tolérance aux inégalités et à leur reproduction exi gent des mesures bien plus appropriées et radicales. Unerévolution sociale voire sociétalesemble davantage à la hauteurdes enjeux qu’une simple refon dation scolaire. En définitive, ledouble défi qui nous incombede relever est la lutte contre lesinégalités sociales et par ricochetla réussite de tous les élèves.