NON, le fait colonial n'est pas une vue de l'esprit. Il est dans notre pays une réalité concrète, objective

Q uand Victorin Lurel affir- me que les camarades (il pense bien entendu aux anticolonialistes, communistes et nationalistes) ont le colonialisme dans la tête, il insinue que le colonialisme n'existe plus. Bien avant lui, on avait entendu de la part de personnalités bien pensantes cette même assertion qui voulait nous convaincre de la vanité de la lutte anticolonialis- te, de son inutilité. Elles voulaient nous faire croire que nous étions des militants dépassés, des hommes et femmes du passé. A leurs yeux, comme par magie le colonialisme avait disparu et qu'en tout cas, on ne pouvait plus parler de colonialisme en Guadeloupe puisque d'a - près eux notre pays ne disposait plus d'aucune ressource à exploiter qui puisse suggérer que celui-ci et notre peuple soient encore l'objet de sujétion et de domination coloniales…

De la même façon, on a procla - mé la mort du communisme avant que ce système ne soit né nulle part dans le monde, dans «sa réalité» de phase supérieure du socialisme. On a, simplement pour intoxiquer l'opinion publique, identifié une victoire provisoire de la contrerévolution comme la fin de l'histoire, la mort du communisme.

Cette déclaration du ministre des colonies françaises nous a ramené à plus de trente ans en arrière quand Bernard Willshere, sociologue Domini-cais, alors membre du DLM de Rosie Douglas, en visite chez nous, nous déclarait : «Camarades, votre lutte pour la décolonisa - tion est mille fois plus difficile que la nôtre. Le colonialisme anglais nous agresse par le vent - re, par la misère matérielle dans laquelle il plonge notre peuple tandis qu'en ce qui vous concer - ne, c'est surtout dans la tête qu'agit le colonialisme français». Et paraphrasant Hégésipppe Ibéné qui avait déclaré lors d'une réunion, alors que nous étions tout jeune militant : «Satineau a empoisonné l'âme et la conscience des Saintannais», nous avions répondu que «Le colonia- lisme français et ses suppôts locaux ont, c'est vrai, empoison- né l'âme et la conscience des Guadeloupéens».

Le colonialisme, comme fils légi- time du capitalisme existe bel et bien et partout dans le monde. Il prend naturellement ici et là des formes dif férentes. On l'ap - pelle le néo- colonialisme quand il est pratiqué par des pays colonisateurs vis-à-vis de leurs anciennes colonies ayant parvenu à une indépendance formelle et vise à l'exploitation à leur profit des ressources en tout genre de ces pays «sousdéveloppés». Elle prend la forme belliciste quand sous des prétextes fallacieux qui cachent des préoccupations d'ordre éco - nomique, (ressources en pétrole, uranium, métaux et pierres précieuses) d'ordre géostratégique aussi liés à la fois à la conquête des marché et au contrôle des espaces maritimes (l'avenir de l'humanité prédisent les savants sont dans les richesses insoupçonnées des océans) les puissances impérialistes agressent militairement des peuples insoumis à leur diktat. Alors ces guerres qui tuent et mutilent des millions d'êtres humains sont tout simplement des guerres coloniales.

Il prend parfois des formes plus insidieuses comme c'est le cas dans notre pays et dans d'autres, pas seulement ceux dépendant de la France. Il n'est plus ce même colonialisme dans sa forme classique qui a engendré l'esclavage et son inhumanité. Il n'est même plus ce colonialisme de la première partie du siècledernier . Il est aujourd'hui princi- palement un colonialisme de captivité de notre marché, un colonialisme de consommation. Oui, le fait colonial chez nous en Guadeloupe n'est pas une vue de l'esprit. Le colonialisme français dans notre pays est une réalité objective, concrète, visi - ble. Il est un fait incontestable. Il est dans l'économie, dans les institutions, dans la justice, dans l'école, dans les administrations, partout.

Par contre, ce qui est dans la tête de Lurel et malheureusement dans celle de trop de nos compatriotes victimes de l'aliénation coloniale, c'est notre incapacité de nous affirmer à la face du monde comme peuple majeur et responsable. C'est la négation de notre peuple qui de peuple en soi est devenu depuis long - temps déjà un peuple pour soi et que l'on persiste à vouloir ser - vir de cheval de T roie de l'impé - rialisme français dans la Caraïbe. On prétend à l'assimilation législative à la France, à l'inté- gration européenne. La politique d'assimilation vieille de plus d'un siècle et demi et codifiée par la loi de la départementalisation de 1946 à laquelle on s'attache comme une panacée est frappée du sceau indélébile de l'échec et cela depuis très longtemps. Un peuple ne peut en assimiler un autre. L'assimilation ne peut donc pas avoir d'avenir et c'est pourquoi, pour le salut de notre peuple, il est urgent d'aller TOUS ENSEMBLE vers le changement qui s'impose.

Pour l'heure, il nous faut conquérir un STATUT DE LARGE AUTONOMIE pour assumer la véritable responsabilité politique des Guadeloupéens et le développement multiforme, indispensables pour le progrès réel et un mieux vivre ensemble dans la solidarité et la dignité de notre communauté.