Hugo Chávez : Une vie au service du peuple

Pour le Vénézuélien pauvre,il était un libérateur ;pour l'élite des riches,ni plus ni moins qu'un dictateur.Mais qui était vraiment Hugo Chávez ?

LE JEUNE CHÁVEZ

Né en 1954 à Sabaneta, au sud du Venezuela, Hugo Chávez est le deuxième d'une fratrie de six enfants. Ses parents sont des enseignants d'origine indienne- indigène. La famille vit chichement, et il n'est pas rare qu'il n'y ait rien à manger. Comme beaucoup d'enfants, Hugo devient enfant de chœur. Dès son enfance, il est fou de base-ball, une passion qu'il gardera toute sa vie. Adolescent, il s'intéresse for - tement à l'histoire. Il découvre une personnalité qui le séduit et l'inspire : Ezequiel Zamora, général vénézuélien du 19e siècle très engagé socialement. Après l'école secondaire, il entre à l'Académie militaire. Il obtient une licence en sciences militaires et une maîtrise en sciences politiques à l'Université Simon Bolívar. Dans l'armée, il attein- dra le grade de lieutenant-colo- nel. Chávez s'est marié deux fois. Avec sa première épouse, il a eu trois enfants. Avec la seconde, une journaliste, dont il s'est séparé en 2003, il a eu une fille.

CARRIÈRE MILITAIRE

Si Chávez a opté pour une car- rière militaire, son horizon s'étend bien plus loin que celui de la caserne. Il rêve d'un changement en profondeur de la socié - té vénézuélienne et de l'émancipation des peuples d'Amérique latine. Son grand modèle, c'est Simon Bolívar, «El Libertador», le combattant de la libération du colonisateur espagnol au début du 19e siècle. Durant sa formation militaire, Chávez est également marqué par les prési - dents militaires de gauche Juan V elasco Alvarado, du Pérou, et Omar T orrijos, du Panama, cons - tatant la possibilité d'une prise de pouvoir par les militaires lorsque les autorités civiles ne servent que les seuls intérêts d'une minorité de riches.

AMBITIONS POLITIQUES ET COUP D'ÉT A T

En 1977, avec des camarades de l'armée qui partagent ses opinions, il met sur pied une cellule clandestine. Durant cette période, il se penche sur la littérature marxiste et des écrits progressistes : le journal de Che Guevara, les œuvres de Marx, Lénine et Mao Tsé-Toung. En 1983, deux cents ans après la naissance de Bolívar, Chávez fonde avec quelques autres militaires le Mouvement de la révolution bolivarienne 200, dont l'objectif est de réformer l'armée et de construire une nouvelle République. Il a alors 28 ans. Dans les années 1980, la crise de la dette frappe le V enezuela de plein fouet. Comme la plupart des pays du Sud, le pays est placé de facto sous la tutelle du FMI et de la Banque mondiale. Le Programme d'ajustement structurel cause un massacre social. En 1989 ont lieu les manifestations et émeutes du «Caracazo» où environ trois mille Vénézuéliens sont tués par la répression de l'armée, d'une vio - lenceinouïe. L'événement conforte Chávez dans sa conviction qu'il est temps d'agir pour créer une nouvelle République. Avec d'autresof ficiers, il organise un coup d'Etat qui a lieu le 4 février 1992. C'est un échec, et lesauteur s du putsch sont empri- sonnés. Ceux-ci bénéficient cependant de beaucoup de sym - pathie dans la population, et Chávez est autorisé à faire une courte allocution télévisée.

CHÁVEZ PRÉSIDENT

Chávez est devenu d'un coup extrêmement populaire dans les couches les plus pauvres de la population. Les auteurs du coup d'Etat sont libérés après deux ans. Pour trouver du soutien à son projet bolivarien, Chávez entreprend une tournée en Amérique latine et, surtout, à Cuba, où il discute de manière intensive avec Fidel Castro. Ce sera le début d'une solide amitié. En 1997, Chávez fonde son parti, le Mouvement de la Cinquième République. Il se révèle vite un leader charismatique. Sa promesse de réformes est soutenue par une large part de la population. En 1998, il remporte l'élection présidentielle avec 56% des voix. L'élite conservatrice a de longue date une forte mainmise sur le pou- voir de l'Etat. Avec une nouvelle Constitution, Chávez veut l'af- faiblir et construire une nouvel Etat, basé sur un nouveau modèle de démocratie partici- pative et une économie inté- grant les coopératives et l'autogestion. Chávez veut être le pré - sident du peuple et au service du peuple. La limousine présidentielle est supprimée, son salaire reversé à un fonds de bourses d'études. Il lance un programme de radio et télévision. Dans ses émissions populaires, il parcourt l'actualité politique, il blague, chante des chansons… Dans son émission en direct Alo, Presidente?, les gens peuvent directement lui poser des questions par téléphone. Durant son premier mandat (1999-2001), Chávez ne touche pratiquement pas à la structure économique du pays, suit les directives du FMI et encourage les investissements étrangers. Au plan social, il lance le Plan Bolívar 2000 qui comporte la rénovation des hôpitaux, l'attribution de soins de santé et vaccins gratuits et la vente d'ali - mentation à prix bas.

DEUXIÈME MANDA T

En 2000, Chávez est réélu avec 60% des voix. Il resserre encore les liens avec Cuba : en échange de médecins et d'enseignants cubains, le V enezuela fournit à Cuba du pétrole bon marché. Les relations avec les États-Unis se détériorent. Le nouveau gou- vernement entame une trentaine de programmes sociaux. Ceux-ci comportent entre autres la mise sur pied de soins médi- caux de première ligne gratuits dans les quartiers populaires. Viennent ensuite une grande campagne d'alphabétisation et une révision de l'enseignement. Pour garantir la sécurité alimentaire et supprimer la faim et la sous-alimentation, une chaîne de magasins populaires est créée afin de proposer des produits alimentaires à des prix très réduits. Les plus pauvres y reçoivent des repas gratuits. Pour organiser la population et davantage l'impliquer dans le processus révolutionnaire, les «cercles bolivariens» sont créés. Il s'agit de comités de quartier qui s'occupent d'alphabétisation, de l'organisation des pos - tes de santé, de la formation de coopératives, mais aussi de conscientisation politique et de l'en - registrement des électeurs. En 2001, une nouvelle loi est approuvée qui donne à l'État plus de pouvoir dans la société nationale pétrolière PVDSA. Auparavant, les profits du pétro - le disparaissaient pratiquement entièrement dans les poches d'une petite minorité vénézuélienne et étrangère. Dorénavant, les bénéfices serviront en grande partie à financer des projets sociaux.

CONFRONTATION

L'élite des riches est furieuse. L'épreuve de force est inévitable. Les plus anciens dirigeants de la compagnie nationale pétrolière PDVSA sont très puissants, et ils peuvent compter sur le soutien de la plus grande partie de l'appareil d'État : juges, gouverneurs et bourgmestres, parlementaires, officiers de poli- ce, médias, le syndicat corporatiste CTV , l'organisation patrona- le, certains généraux de l'armée et les chefs de l'Eglise catho- lique. Avec, en sus, le soutien et l'assistance des États-Unis. En avril 2002, tout est prêt. Saisissant l'occasion d'une mani- festation et diffusant des images de télévision manipulées, l'oligarchie lance un coup d'État avec une partie de l'armée. Par une mobilisation de masse de la population de Caracas, le sou- tien d'une grande partie de l'ar- mée au président et des interventions téléphoniques de Fidel Castro, le putsch est un échec. A la fin de cette même année, les patrons essaient de paralyser le pays par une grève générale (en réalité un lock-out), principale- ment dans le secteur pétrolier. Des actes de sabotage sont com- mis. Cette tentative de chasser Chávez reste elle aussi sans lendemain. En 2004, l'opposi - tion tente de destit uer le prési - dent via un référendum révoca- toire. Elle doit à nouveau déchanter : Chávez récolte 60% des voix en sa faveur.

INTÉGRATION DE L'AMÉRIQUE LATINE ET REJET DES ÉTATS-UNIS

Tout comme Bolívar, Chávez est convaincu qu'un continent uni politiquement et économique - ment est la seule manière de se libérer durablement et définitivement de la tutelle des États- Unis. En 2004, le V enezuela, avec Cuba, fonde l'ALBA, l'Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique. Celle-ci doit constituer le pendant de l'ALCA, l'accord de libre-échange que les Etats-Unis veulent imposer à l'Amérique latine. L'ALBA est un accord de coopération au plan économique, social, médical, cul - turel et militaire, basé sur la soli- darité. La Bolivie, le Nicaragua et l'Equateur la rejoignent. En 2005, Petrocaribe voit le jour : une coopération où leV enezuela fournit du pétrole à des tarifs préférentiels à douze pays des Caraïbes. En 2005 est lancée Telesur, la «variante latino-américaine de Al Jazeera». En 2006 le V enezuela devient membre de Mercosur, une union douanière avec l'Argentine, le Brésil, l'Uruguay et le Paraguay. En 2007 suivent l'Unasur, l'Union des Nations sud-américaines, et la Banco del Sur. En 2011, c'est le tour de la CELAC, la Communauté des États d'Amérique latine et desCaraïbes.

RADICALISATION DU PROJET BOLIVARIEN

Les tentatives ratées de chasser Chávez ont affaibli l'opposition, et la «révolution bolivarienne» se radicalise. D'importants secteurs-clés de l'économie sont nationalisés. Depuis 1999, plus de 400 entreprises sont passées aux mains de l'Etat et plus de 100.000 coopératives ont été créées. En 2005, Chávez annonce le «socialisme du 21e siècle», qui met un fort accent sur la démocratie participative. Pour lui donner forme, des conseils communautaires sont fondés en 2006 et dotés d'importantes compétences au niveau local. En 2006, afin d'unir toutes les forces de gauche, Chávez fonde le Parti socialiste unifié du Venezuela (PSUV). Quelques partis de gauche, comme le Parti communiste, le PCV, se tiennent à leur propre organisation, tout en continuant cependant à sou - tenir Chávez. En décembre 2007, la proposition de Chávez d'inscrire dans la Constitution l'octroi de davantage de pouvoir au président est rejetée d'un che - veu (0,7%). En 2009, le gouver- nement organise un nouveau référendum. La Constitution limite en effet toutes les fonctions publiques, gouverneurs, juges… président inclus, à deux mandats, ce que Chávez veut supprimer. Cette fois-ci, il obtient la majorité. Lors des élections parlementaires de 2010, le PSUV obtient 48% des voix. Le 7 octobre 2012, Chávez remporte pour la quatrième foisd'af filée l'élection présidentielle et, lors des élections régionales en décembre, les «chavistas» remportent 20 des 23 États intérieurs. Fin 2012, Hugo Rafael Chávez Frías qui souffre depuis un an et demi d'un cancer est en traitement à Cuba. Il reviendra dans sa patrie, pour y décéder le 5 mars 2013.