La décolonisation improbable Débat autour du livre de Jean-Pierre Sainton

Le vendredi 16 mars 2013, s'est tenue à la médiathèque Paul Mado de Baie-Mahault, une très intéressante rencont- re,à l'initiative du Centre Guadeloupéen d'Histoire Sociale et Contemporaine. L'objet de cette rencontre était d'organiser un débat public autour du livre :«La Décolonisation improbable» de l'historien enseignantchercheur J.P . Sainton.

C e fut un débat réussi par le nombre et la diversité des participants, par la franchise et la sérénité de la discussion, par la qualité et la hauteur de vue des interventions. Notre camarade Mona Cadoce était invitée à participer à la «table ronde» qui a lancé le débat. Nous sommes heureux qu'une telle rencontre ait pu avoir lieu, et surtout dans l'ambiance tran - quille que nous avons connue. Nous adressons donc nos félici - tations aux organisateurs ainsi qu'aux participants, mais plus précisément à l'auteur J.P. Sainton qui a eu l'excellente idée de se pencher sur l'étude de la période 1943-1967 aux Antilles. C'est en effet une tranche de l'histoire de notre pays dont la connaissance nous sem - ble capitale pour dénouer la situation d'aujourd'hui et surtout pour rouvrir le champ des possibles. Cet ouvrage est riche de références documentaires, son titreest tres accrocheur et sans nul doute, ses nombreux lecteurs y trouveront matière à réflexion et interrogations. Pour notre part, nous av ons interprété le problème de fond qui était soulevé, comme une interrogation :

La décolonisa - tion de la Guadeloupe était-elle une r evendication utopique, ou n'avait-elle aucune possibilité d'aboutir ?

LA DEPARTEMENTALISATION DE 1946 : ASPIRATION A L'EGALITE DES DROITS AVEC LES FRANCAIS

Le débat qui s'est instauré a montré que cette notion de décolonisation qui n'existait pas dans le pays en 1946, y a pris corps à partir des années 50, sur l'impulsion du Mouvement communiste et a été nourrie par les tergiversations dans l'application de la loi deDépartementalisation. En effet, au lendemain de la guerre 1939-1945, le pays Guadeloupe était économique- ment délabré, car, le blocus et les exactions du régime de V ichy avaient exacerbé la pauvreté et l'indigence. Les travailleurs n'arrivaient pas à se soigner à envoyer leurs enfants à l'école, à se loger décemment. Le «T emps Sorin» avait accru la férocité de l'exploitation des capitalistes usiniers et servis de fumier aux abus et à la domination outrageante des «marins de la Jeanne». A cette époque, l'aspiration pro - fonde du peuple guadeloupéen, tant les masses que les élites, c'é - tait d'accéder à l'égalité des droits avec les Français de l'hexa- gone. Cette inégalité de traitement devenait pour eux insup - portable, eux qui avaient mis tant de courage et d'ardeur pour délivrer la France de l'envahisseur allemand. Les Guadeloupéens, en 1946, aspiraient à être des Français à part entière, à obtenir la juste part qui leur revenait dans les efforts de reconstruction entrepris par le gouvernement de la France. En Guadeloupe, la loi du 19 mars n'a pas fait l'objet de débats avant le vote. La Guadeloupe était représentée à l'Assemblée Constituante par Paul Valentino et Mme Eboué. Ceux-ci ont été pris de court par la discussion, et ils ont voté la loi. Paul V alentino a ef fectivement émis quelques réserves concernant les seules prérogatives du Conseil général de l'époque, prérogatives qui consistaient à répartir les dota- tions globales de l'Etat. Il récla- mait que ces prérogatives soient maintenues. Mais ses préoccu - pations n'avaient aucun relent de nationalisme, elles étaient plutôt tournées vers les pratiques de «copinage» qui avaient cours entre les usiniers et les élus qu'ils plaçaient à la tête des institutions pour mieux les instrumentaliser à leur profit. Dans le processus de Dépar- tementalisation, les fruits n'ont pas tenu la promesse des fleurs : les dispositions contenues dans la loi n'étaient pas appliquées normalement, il fallait les arracher au forceps. C'est le Mouvement Communiste né en 1944 qui a ferraillé dure- ment pour réclamer, avec un soutien populaire massif, que les lois sociales soient effecti- vement appliquées à la Guadeloupe. On peut se rappeler notam- ment, les combats menés pour l'installation de la Sécurité Sociale avec les Amédée Fengarol, Paulette Thilby, Sainte-Luce, etc. Cependant, les communistes guadeloupéens n'ont pas mis beaucoup de temps pour com - prendre que la Départementalisation était un leurre, que la loi de 1946 était vidée de tout ce qu'elle pouvait conte - nir de positif pour le pays et qu'il fallait rompre avec toute aspiration assimilationniste, faire prendre conscience que la Guadeloupe est un pays dif fé - rent de la France et que les Guadeloupéens doivent se batt- re pour avoir la capacité juridique de décider de ce qui est bon pour eux.

LE TOURNANT DE L'AUTONOMIE EN 1958

Les 13 et 14 août 1955, la 8e Conférence fédérale à Ste-Anne avait pour thème dominant : «la Guadeloupe, pays différent de la France». Les 29 et 30 mars 1958, se tenait à Capesterre le congrès constitutif du Parti Communiste Guadeloupéen, avec Hegesipe Ibéné comme Secrétaire général. Ce tournant décisif a été précé - dé d'une déclaration historique du bureau politique de la fédé - ration du Parti Communiste, le 18 juillet 1957, définissant une stratégie de libération politique de la Guadeloupe. Dans la résolution politique de ce congrès il est dit : «le Congrès réclame un statut qui donne à la Guadeloupe une assemblée locale élue, disposant d'un cer- tain pouvoir législatif, un exécutif guadeloupéen responsable devant cette assemblée» ….. «Le nouveau statut sera facilité parla constitution du Front Guadeloupéen Anticolonialiste depuis longtemps préconisé par notre Parti». Nous pouvons donc dire à juste titre,

qu'une voie de décolonisation a été ouverte par les communistes à partir des années 50. La ques- tion est de savoir pourquoi elle n'a pas abouti jusqu'à ce jour. Il est indéniable que le fait politique majeur avant la fin de la guerre en Guadeloupe est la création du Mouvement com- muniste, ce qui allait bouleverser tout le rapport aux ques - tions du pouvoir et des relations des guadeloupéens à la poli - tique. Désormais les positions communistes déterminaient les politiques de l'Etat, de la bourgeoisie locale, et des autres forces politiques. Nous affirmons que

l'autono- mie était une forme de décolonisation. Des exemples exis- taient dans la Caraïbe. Il est juste de se demander pour - quoi cette revendication n'a pas avancé. On peut sans être exhaustif avancer quelques causes au nombre desquelles : les contre-attaques incessan - tes de l'Etat colonial, l'échec du Front Anticolonialiste, l'ap- proche nationaliste déconnec- tée du réel guadeloupéen, l'anticommunisme forcené et bien entendu, le repli électo- raliste du P.C.G. Le débat a permis d'éclairer cette question toujours ouverte. Jacky Dahomay a déclaré : « le mouve - ment indépendantiste auquel j'appartenais a saboté le mouvement autonomiste naissant». J.P . Sainton a confirmé cette déclaration. C'est tout à l'honneur de ces membres du mouvement nationaliste de la période étudiée, de faire preuve de cette honnêteté intellectuelle et de ce courage politique. Cette reconnaissance, venant quatre ans après celle du regretté camara- de Numa, ancien dirigeant du GONG, emprisonné en 1967, faite devant une assemblée de communistes et sympathisants signifie qu'une page est en train de se tourner. Le mouvement anticolonialiste guadeloupéen peut trouver là une source de sarégénération. Le mouvement anticolonialiste, morcelé et enfermé dans ses chapelles n'a pas pu avoir le suc- cès mérité. Il est bon de le recon- naitre même après un demi-siè- cle. Toutefois l'avenir appartient encore à tous ceux qui aiment vraiment leur pays et veulent sincèrement contribuer à son développement équilibré, à l'é- mancipation et à l'épanouisse- ment du peuple guadeloupéen. Nous pensons que ce livre «La Décolonisation improbable» sera beaucoup lu, y compris par les Guadeloupéens qui n'ont pas connu cette époque de 1943 à 1967. C'est pourquoi, et nous avons amicalement adressé ce reproche à l'auteur , il eut été judicieux et conforme à l'histoire, qu'il fasse une plus grande place à deux évènements politiques qui ont marqué cette période : La naissance du Mouvement communiste à la Guadeloupe en 1944, et en 1958, son érection en Parti Communiste Guadeloupéen indépendant qui devait initier la lutte de décolonisation de la Guadeloupe selon une stratégie de «Front anticolonialiste». Le jeune lecteur serait tenté de croire qu'il y avait un vide poli - tique énorme dans le pays au lendemain de la guerre. Qu'il se rassure, il y avait de valeureux défenseurs de la classe ouvrière tels les Ibéné, Girard, Ducadosse, Henri, Fengarol, Lacavé, Sainte- Luce, Gouno, Thilby , Pioche, Songeons, Daninthe… pour ne citer que ceux-là. Il y avait aussi Gerty Archimède, première Guadeloupéenne député, première femme avocat, première femme bâtonnier qui s'est consacrée à l'organisation des femmes de son pays, en créant la première organisation de femmes en 1946, qui devait se transformer en 1958 en UNION DES FEMMES GUADELOUPEN - NES.Le débat doit se poursuivre dans tout le pays.