Embauche locale, enfin la fin d'un tabou

A ppelons cela comme on veut : embauche locale ou préférence régiona- le, le principe en tout cas n'est plus tabou et fait moins débat. Il conserve néanmoins ses détracteurs, mais rassemble aujourd'hui la quasi-totalité de classe politique. Comment peut-il en être autrement dans une île qui doit composer avec 150 000 demandeurs d'emploi et un chômage frappant près de 60% des jeunes de moins de 25 ans ? Il n'y a rien de cho- quant en période de crise d'être tenté par le régionalisme social. On le fait bien en matière économique, encouragé notamment par Arnaud Montebourg. Le ministre du Redressement productif, défenseur du "Made in France", plaide à tout va pour un "patriotisme économique".

Le postulat posé, le plus diffi- cile reste son mode d'application. Et c'est tout le défi qui attend Patrick Lebreton dans la mission que vient de lui confier Jean-Marc Ayrault. Le député-maire de Saint-Joseph a jusqu'au 2 septembre pour produire un rapport sur "les moyens de mieux faire profi - ter les Ultramarins des emplois créés dans leur territoire". Le sujet concerne aussi bien la fonction publique ou l'État et les collectivités so nt les employeurs que le secteur privé ou la liberté d'entreprendre et de recruter est la règle.

S'il bénéficie du soutien global du gouvernement, de l'appui précis de plusieurs ministères comme l'a rappelé hier soir encore V ictorin Lurel en visite dans l'île et surtout d'un consensus politique sur la question sans parler de l'encouragement du monde syndi - cal, Patrick Lebreton devra surmonter deux obstacles. L'un relève de la sémantique : c'est quoi être Réunionnais. L'autre est d'ordre constitu- tionnel. Parler de préférence régionale bouscule à coup sûr le fondement républicain basé sur un principe d'égalité.

Pour autant, faut-il oublier qu'en dépit d'une départementalisa- tion à marche forcée, notre territoire est resté des années à l'écart du développement, en matière d'éducation, de formation professionnelle notamment ?

S'il est certain qu'à cette époque l'île avait un besoin crucial de faire appel à une main d'œuvre extérieure qua - lifiée, il est légitime aujourd'hui de rétablir un certain équilibre dans l'attribution des postes. Des Réunionnais diplômés voire super -diplô - més, il en sort tous les ans de l'université de la Réunion et des grandes écoles métropolitaines. Est-il normal que nom - breux soient encor e obligés de s'expatrier, voire de s'exiler pour pouvoir travailler ?

Ailleurs, en Corse où aux Antilles par exemple, cette situation est depuis longtemps jugée inacceptable. L'exercice a toutefois ses limites. Le principe de l'embauche locale ne doit pas se poser avec animosité mais se dessiner avec l'ensemble des intervenants politiques et économiques. Il n'est pas question non plus de refermer l'îlesur elle-même et faire que la préférence régionale devienne un frein à une mobi - lité volontaire. Car inutile derêver . Utiliser l'embauche l oca- le comme vecteur de création d'emplois est illusoire. Chacun sait que l'économie locale ne pourra jamais absorber le flot de jeunes qui débarque chaque année sur le marché du travail. Il n'y a que l'activité pour relancer l'embauche. Et sur ce plan, l'île est en panne.