Assemblée constituante : Pas d’accord, Monsieur le Professeur

F red Deshayes, le leader du groupe Soft est un artiste que nous appré- cions pour la qualité de sa musique et l'importance des messages véhiculés par ses chansons. Il est aussi un Professeur de l'Université Antilles Guyane qui est, nous disent ceux qui fréquentent ce haut lieu du savoir, estimé par les étudiants qui reçoivent ses cours de droit et respecté par ses collègues. La séquence «Point de droit», qu'il présente dans l'émission 3077 actu310 sur Guadeloupe 1ère télévision est intéres- sante et peut aider les téléspectateurs à mieux suivre différentes questions en débat dans le pays. Ainsi, dans une des dernières émissions, il a parlé de l'Assemblée consti - tuante, en donnant sa définition et son objet que nous pouvons résumer en ces termes : «Assemblée de représentants qui a pour mission de rédiger une constitution, texte fondamental d'un Etat». Il n'est pas question de contester cette définition qui reste un classique. Mais Fred Deshayes, par le truchement de cet exercice de vulgarisation juri - dique a pris position dans un débat ouvert dans le pays, sur la convocation d'une Assemblée constituante. Il a en quelque sorte invalidée cette revendica- tion en précisant que la constituante ne peut s'exercer que dans le cadre d'un Etat. Ce qui laisse entendre que la Guadeloupe n'ayant pas un statut d'Etat, la revendication d'une Assemblée constituante serait utopique. Nous ne sommes pas d'accord avec cette approche. Nous ne savons pas si elle a un fondement juridique, mais le Professeur sait mieux que quiconque, que dans le domaine juridique plus qu'ailleurs, rien n'est figé, rien n'est définitif, c'est le mouvement des sociétés qui déter- mine l'évolution des lois. Si son raisonnement devait s'avérer juste aujourd'hui, cela ne voudrait pas dire pour autant, que la cause est définitivement entendue. Mais de notre point de vue, l'Assemblée constituante est, d'ailleurs depuis sa formulation par le tiers état en 1789, une question politique avant d'ê - tre juridique. A l'origine est la consti - tuante qui définit le cadre dans lequel va s'exercer le pouvoir de l'Etat. L'Assemblée constituante tire sa légiti-mité non pas de l'Etat, mais de l'exis- tence d'un pays et d'une nation. Les représentants de ce pays et de cette nation peuvent à leur propre initiative, à celle de la représentation nationale élue ou après un coup d'Etat, décider de se réunir en Assemblée constituante pour donner des institutions à leur pays ou à leur territoire, dans le cadre d'un texte fondamental appelé Constitution. C'est ce texte qui organise le fonctionnement de l'Etat ou de la collectivité. Il y a des exemples dans d'autres pays, comme en Suisse par exemple, où des Assemblées constituantes se réunissent au niveau des cantons. Lorsque nous revendiquons la convo - cation d'une Assemblée constituante en Guadeloupe pour élaborer un projet de statut, nous sommes dans la même démarche. Nous nous plaçons du point de vue d'un pays et d'une nation ayant le droit naturel de se doter d'une administration de son choix. Enfin, il ne peut échapper à personne que le statut politique est un texte fon- damental pour organiser l'administration du pays, de la collectivité. D'ailleurs, il nous faut rappeler que l'Assemblée nationale française a ouvert la voie avec l'instauration du congrès qui n'existe que dans les trois «départements» dits des Outre- mer, ou se pose la question d'un changement statutaire.Qu'est-ce le Congrès des élus ? Tout simplement une Assemblée constituante bâtarde composée de représentants élus dans d'autres institutions donc, juge et par - tie, et totalement dépendant de la repré- sentation nationale française. Si donc la France a instauré par une loi, le Congrès des élus, il ne devrait pas avoir d'obstacle pour abroger ou modifier cette loi et la remplacer par une nouvelle loi qui permettra d'installer par la voie démocratique une véritable Assemblée constituante. La revendication d'une Assemblée constituante que nous formulons repose sur les fondements politiques et historiques de la constituante telle qu'elle s'exprime sur tous les conti- nents depuis 1789 et sur l'expérience du Congrès des élus qui s'enlise depuis 2001 en Guadeloupe. Notre éminent Professeur devrait nous aider à approfondir cette piste du point de vue juridique.