Pour un sursaut populaire
L'historiographie défie le temps et demeure indissociablement liée au fonctionnement des sociétés humaines. Lorsqu'il adviendra aux futurs auteurs guadeloupéens d'écrire l'histoire de leur pays,nous inclinons à penser qu'ils ne s'embarrasseront pas de scrupules pour relater les faits politiques,économiques et sociaux,avec l'objectivité requise. Cela dit,il apparaît qu'à la lumière des faits,le peuple guadeloupéen pour ce qui est du présent,est pris dans une impasse dans laquelle il ne pourra sortir qu'au prix d'un sursaut populaire.
C ette réflexion s'articule autour de trois axes : d'a - bord la mauvaise foi ou malhonnêteté des élus de tous bords, ensuite l'absence de dis - cernement de la part de l'électorat guadeloupéen, enfin la nécessité impérieuse d'une opposition résolue, généralisée. Au fait on s'entend fréquem- ment dire de la bouche des politiciens imperméables à tout changement : “zo ka palé chanj- man, pèp la poko paré pou sa, pèp la pa vlé sa !”. Et une fraction de la population renchérit sur le même ton ; parce que manipulée. En réalité les partisans du statu quo se disent dans leur for inté - rieur qu'une autre politique est possible. Ils en sont parfaitement conscients. Mais l'émer - gence d'un nouveau type de gouvernance axé sur une émancipation véritable de notre pays ne les arrange pas du tout. Etrange façon de se singulariser et d'évoluer à contre cou - rant de l'histoire ! Certes c'est un préjudice immense qu'ils causent au développement de la collecti - vité tout entière. Dans ces conditions ce n'est pas le pouvoir dont ils sont les alliés indéfectibles qui fait perdurer le marasme ; ce sont nos compa - triotes eux mêmes faisant partie des assemblées délibérantes, qui concourent à la perpétuation d'une situation qui leur enlève toute crédibilité aux yeux de nos concitoyens honnêtes. Dans l'hypothèse d'un changement radical, ils ne pourraient plus miser sur le carriérisme, la possibilité d'occuper pendant longtemps la scène politique, phénomène générateur d'enrichissement personnel, leur train de vie s'en trouverait affecté, les honneurs qu'ils tirent de la détention d'un poste électif disparus, de même que le népo - tisme, ainsi que les avantages af férents aux présidents des col - lectivités majeures, ni les passe- droits, ni les prérogatives attachées à la fonction de parlemen - taire en résultant… Ils ne peuvent évidemment confesser tout cela aux électeurs. C'est pourquoi ils s'interdisent de leur dire la vérité, de les guider dans le sens d'un changement institutionnel ou statutaire. Ce serait mettre en péril leur longévité politique même. En conséquence, ils sont condamnés à biaiser, mentir aux électeurs, user de sophis - mes lorsqu'ils sont dénoncés, pour se donner bonne conscience, rendant ainsi durable leur passage aux affaires. C'est ainsi qu'à l'approche des moments forts : campagne élec - torale, tenue de congrès, ils s'ingénient à utiliser toutes les ressources de leur esprit cri - tique, la plénitude de leur talent oratoire, pour coullonner la population. Et puis la conception de notre accession à la chose publique au demeurant, devrait être repen- sée. Tout le monde aspire à « faire un carré » ou à faire carrière sous le prétexte fallacieux d'un développement du pays, sans tenir compte de la respon - sabilité qui lui incombe. Pas l'ombre d'un projet proprement guadeloupéen, mais des visées électoralistes qui n'ont rien de commun avec la question statutaire qui se pose de plus en plus avec acuité. Là où éclate le plus effrontément nous disons par euphé - misme la mauvaise foi de ces messieurs, c'est qu'ils savent pertinemment que toute évolution institutionnelle ne saurait chan - ger fondamentalement l'ordre juridico-politique établi, mais ils excellent à bluf fer, abuser de la crédulité des compatriotes mal informés, recourir à tous les sub - terfuges possibles et imagina - bles pouvant leur favoriser la conquête de l'électorat. C'est en celà que réside l'hy - pocrisie de nos politiques pour qui la morale politique n'a plus de sens actuellement. (L'heure à juste titre est à la moralisation de la vie publique. Les communistes ayant dénoncé il y a deux décennies par la publication d'un code moral, la nocivité du comportement indi- gne de certains élus, en préconisant la nécessité d'une éthique de la responsabilité politique.) Leurforce de conviction en effet se réduit à la falsification des faits. Ils prétendent qu'une évolution statutaire est aujourd'hui dépassée ; alors que le statut assimilationniste sclérosé, vieux de soixante sept années, nous interdit les perspectives que pourrait nous ouvrir une autonomie véritable. Prodige de la déloyauté, du mensonge, du manque de probité de certains élus, à quelque place qu'ils se situent dans la hiérarchie politique! On assiste chez eux à une démarche consensuelle dans la mystification. Et maintenant on en arrive aux implications qu'entraine cette mystification. C'est le deuxième volet de notre réflexion. Il s'agit essentielle - ment de l'électorat. Il existe un lien de causalité entre cette seconde phase de notre analyse et la première : on ne saurait déplorer un manque de lucidité, de réalisme de la part du votant, sans la duperie du candidat ou de l'élu pour lequel il vote. Si le choix qu'il a fait n'est pas le reflet de sa condition sociale, c'est qu'il a été indubitablement manipulé par celui qui a sollicité sessuf frages. En effet les classes modestes dans leur immense majorité, selon une tradition électorale bien établie, adhèrent sans vérification au discours de leurs représentants, par suite de leur crédulité, leur bonho - mie. L'élu étant à leurs yeux à l'abri de toute imposture, paré des oripeaux du bon sens, de la vérité, et elles y trouvent tout naturellement un attachement incondition- nel, voire un amour idolâtrique ; car ne l'oublions pas, le vote chez nous est d'ordre sentimental. Dans les motivations du citoyen la notion de « conscience de classe » est mal appréhendée ; sans excepter l'emprise des moyens modernes de communication, véhicule d'une information parfois orientée que celui-ci subit dans ses choix, et qui n'en est pas moins un épiphénomène. Là où le bât blesse, c'est que les électeurs se plaignent de l'indul- gence affectée, de la corruption, la trahison de certains élus, mais les reconduisent toutefois dans leurs fonctions à chaque échéance électorale. Et pourtant ce sont eux les votants qui détiennent le pouvoir. C'est un cercle vicieux dans lequel nous tournons en rond. Ce qui motive en définitive la perplexité de l'électeur et entrave la libre expression démocratique, c'est surtout l'absence de débats télévisés, exclusifs de tout esprit parti- san, incluant indifféremment tous les courants d'opinion, de l'extrême droite à l'extrê- me gauche, comme cela se faisait dans le passé. Sans doute une telle initiative eût-elle provoqué l'éclaircissement du débat politique, et atténué la manipulation dont le corps élec - toral est l'objet en permanence. Enfin le troisième volet de notre réflexion constitue l'élé - ment propulseur de notre sor - tie du labyrinthe. Effectivement une autre politique est possible à plus ou moins long terme ; si nous ne voulons pas sombrer dans un sempiternel immobilisme. Comment envisager concrètement cette éventualité ? Fort de la consolidation des struc - tures coloniales, le pouvoir qui nous régit indique que l'alternance démocratique est dans les urnes ; dans la mesure bien entendu où cette option jusqu'ici les arrange. En la période historique actuelle l'opposition au maintien du statu quo est au contraire dans la rue, dans les coteries, hors de l'hémicycle des collectivités majeures, mais pas dans les urnes ; puisque nous avons vu qu'en l'espace de dix ans, c'est-à-dire de 2003 à 2013 quatorze congrès des élus ont eu lieu et n'ont abouti à aucun résul- tat, confortés en cela par l'adhésion d'une proportion non négli - geable de l'électorat à leurs manœuvres politiciennes. Par conséquent pour contour - ner la situation qui n'est pas irréversible, il s'agit de mettre en branle une thérapeutique de la mystification qui passe nécessairement par une mobilisation des masses populaires devant trouver son aboutisse- ment dans un travail d'explication civique ; à savoir la tenue de bik à pawol, tâche normalement dévolue aux organisations anti-colonialis - tes, organisations syndicales, mais aussi en fonction des cir- constances du moment, également étendue à tous les démocrates, fussent-ils affiliés ou non à un parti, tous les éléments conscients de notre peuple imprégnés d'un sentiment de dignité, doivent y trouver leur part dans cette action salvatrice. Nous devons innover pour bâtir une Guadeloupe nouvelle ; c'està-dire faire comprendre à la population par quelque moyen que ce soit, que les plaisirs que fait miroiter la société de consommation ne vont pas durer indéfiniment. C'est un leurre. Ce sont des plaisirs factices liés au maintien de la tutelle, des plaisirs artificiels destinés à nous détourner de notre propre réalité. Il faut donc sortir du rêve, du rêve assi - milationniste : à savoir sur le plan écono mique, essayer de rédui- re notre dépendance par la mutualisation de capitaux proprement guadeloupéens lorsque cette opportunité se présente. Encourager et utiliser la production locale, en essayant autant que faire se peut de donner la priorité à ce que nous produisons. Réduireno tre train de vie par une utilisa - tion rationnelle du pouvoir d'a - chat. Ce qui implique un changement de mentalité, une révolu - tion mentale en quelque sorte. Tenons le pour définitif : une mutation de nos institutions ne peut avoir aucune incidence sur les acquis sociaux. Encore faut-il que nous cessions de faire confiance aux mêmes élus, dès lors qu'ils ne font pas état d'une argumen - tation différente de celle à laquelle ils nous ont habitués. C'est sur la base de ces consi - dérations, et après instaura- tion d'une dynamique de changement, en substituant des hommes nouveaux, enclins à l'honnêteté peu ou prou, aux hommes en place, qu'il sera pra - tiquement possible deconstruire une Guadeloupe nouvelle.T ant que le corps électoral ne sera pas affranchi des mœurs électorales malsaines, de la mainmise de politiciens irrespon - sables, sous réserve d'un sursaut populaire, le paysage politique guadeloupéen restera pendant longtemps encombré de nuages qui entravent son embellissement, sa clarté.