Histoires de vacances

De la villégiature au tourisme social

Sous l'ancien régime, une infime partie de la population française (aristocrates et bourgeois) partait en cure ou en villégiature. Avec la scolarisation obligatoire, à partir de 1882, apparaissent, pour les enfants, les premières vacances, sous forme de colonies, inspirées du modèle protestant pratiqué en Suisse. Grâce au «sou des écoles», contribution deman- dée aux familles, le mouvement laïque investit le champ des vacances scolaires aux côtés des mouvements confessionnels. L'œuvre des trois semaines, association créée en 1881, s'adresse, dans un but surtout hygiéniste, aux enfants des villes, qui sont pauvres, malades ou de constitu - tion fragile. À la campagne, jus- qu'à la Seconde Guerre mondia - le, le monde paysan accepte la scolarisation des enfants à condition qu'ils soient libérés l'été pour aider aux travaux de récolte. La troisième République, sou - cieuse de scolariser tous les enfants, tolérait cette pratique revendiquée par les écoliers comme un acte les introduisant dans le monde des grands. Au début du XXe siècle, des congés, sans solde ou rémunérés, existaient en France, dans les chemins de fer ou le métro parisien, mais restaient très minoritaires. En Italie et en Allemagne, les loisirs populaires se développeront à l'initiative de deux organisa - tions totalitaires : le Dopolavoro (après le travail) à partir de 1927, et le Kraft durch Freude (la force par la joie) à partir de 1933. Ces initiatives masqueront un temps le caractère de ces régimes. Elles furent même considérées au départ avec intérêt par les partis de gauche en France. À cette époque, les congés n'ap- paraissaient pas comme prioritaires pour le monde syndi - cal davantage préoccupé, dans une période de crise, par l'emploi et les salaires. Les deux semaines de congés, obtenues en 1936, sont certes bien accueillies, sans représenter pour autant la mesure la plus attendue du Front populaire. Cependant, cette conquête fut d'une importance capitale : le travailleur était considéré comme un être à part entière et non plus comme un salarié payé unique- ment pour ce qu'il produit. À partir de là, les pouvoirs publics, le mouvement syndical, les associations populaires issues de la Résistance développeront les colonies, les mouvements de jeunesse, le sport.

LA JOIE DES LOISIRS

Les luttes dans les entreprises et les revendications populaires débouchent sur la troisième semaine de congés payés en 1956. Suivront la quatrième semaine de congés, en 1969 et, en 1981, la cinquième. La fin des années 1950 voit l'essor du tourisme de masse. Les villages-vacan - ces, type Léo Lagrange, les Villages vacances familles (VVF) ou de comités d'entreprise, entraîneront, eux, une véritable révolution au sein des familles. Les femmes, libérées des tâches ménagères, découvrent enfin la joie des loisirs. À partir des années 1990, le tourisme social commence à connaître des difficultés dues à une par- ticipation à la baisse des pou- voirs publics et à la concurrence avec le marché, aux moyens financiers plus conséquents. Les vacances font aujourd'hui partie de la citoyenneté. Il est nécessaire que le monde poli- tique apporte des solutions visant à préserver un acquis d'une importance capitale pour l'ensemble du tissu social.

Par André Rauch,Professeur d'université

Vacances : A la rencontre du temps retrouvé

Propos recueillis par Christian Kazandjian

Jean Epstein, psychosociologue, auteur de nombreux ouvrages*, est membre du comité scienti - fique de la Caisse nationale des allocations familiales

Des mots-clés ont été énoncés, à l'occasion des rencontres que j'aief fectuées avec des enfants et des adultes, aidant, à mon sens, à la compréhension de l'importance des vacances. Ils peuvent paraître de peu d'intérêt, voire dérisoires. Et pourtant. Il en va ainsi du mot «exploit». Qu'un enfant déploie avec d'autres, dans le jeu, dans une pratique sportive, des aptitudes jusqu'alors méconnues de l'entourage, qui, en la circonstance, en devient témoin, revêt une grande importance. Un aspect nouveau de la personnalité de l'enfant se dévoile, qui, par là même, s'af firme aux yeux des autres. Tout le monde -enfants, parents- se découvre. Ainsi, une maman avouait unjour , au bord de la mer , que c'était «la première fois qu'el - le voyait sa fille nager», alors qu'un petit garçon, lui, s'étonnait que «son père connaisse tant d'oiseaux». La notion d'autonomie ressort fortement des impressions de vacanciers. Les enfants peuvent, après consentement parental, s'é - manciper du regard des adultes, qui, de leur côté, laissent en toute confiance les plus petits, libres. Ce double aspect, qui donne loisir à chacun de gérer son temps comme il l'entend, éveille un sentiment de liberté partagée. Un gamin peut ainsi s'émerveiller d'avoir «une chambre (pour lui) tout seul». Les vacances of frent une occasion d'enrichir les rapports au sein des familles, même recomposées ou monoparentales. Cela en renforce la cohésion. Qu'un enfant parte seul, lui sera, certes, profitable, mais ce sera perdre une chance, pour l'ensemble de la famille, de nouer d'autres liens, voire de les renouer. En vacances, on prend son temps, on échappe aux soucis du quotidien, on n'est plus obligé de tout calculer au plus juste. On jouit d'une liberté bridée le reste de l'année. «La sieste, par exemple, dit une mère, répond au seul appel du plaisir», et non plus de la nécessité. De plus, les vacances sont propices au secret. N'évoluant plus dans son environnement habituel, chacun présente aux autres, un visage différent. Loin de son environnement, le vacancier a une nouvelle identité. Il porte un regard neuf sur lui-même.

DES SOUVENIRS POUR TOUTE UNE VIE

Les vacances participent à la construction de l'enfant : il découvre un monde qu'il ne connaissait pas; il développe son goût en mangeant des fruits fraîchement cueillis par exemple. Dans le même temps, il perçoit ses parents sous un jour nouveau : les voir détendus lui permet de savoir que l'insouciance, le plaisir sont possibles. Enfin, à l'école, il est l'égal de ses petits cama - rades et peut conter les histoi - res qu'il a vécues. Cela lui confère le statut de quelqu'un d'important. De plus, il se construit une mémoire, des souvenirs qui l'accompagne - ront toute sa vie. Les vacances provoquent, chez l'adulte comme chez l'enfant, un déclic. On se prend, regardant au-delà de son quotidien, à élaborer des projets, ce que résume ce mot d'un garçon - net : «L'an prochain, je pré- viendrai que j'arrive». Les vacances doivent être un moment, quand bien même il serait court, à passer en famille, quels que soient le milieu social ou la structure familiale. Prendre du temps, manger ensemble, se détend - re, tout cela permet d'établir des complicités, ce qui n'est pas toujours permis le reste de l'année. Perdure cependant l'idée, dans les couches populaires, que les vacances sont «pour les riches», pas pour elles. Un combat qu'il reste encore à mener.

Sources :Revue “Convergence”du Secours Populaire