ENTRETIEN AVEC SALAH ADLI, SECRÉTAIRE-GÉNÉRAL DU PARTI COMMUNISTE EGYPTIEN«On est entré dans la seconde phase de la révolution» (Fin)

Tiré de l'organe du Comité central du Parti communiste d'Iran (Tudeh)

Q6 - Quelle est votre analyse de la position des États-Unis sur les événements en Égypte ? Salah Adly :

Les Etats-unis ont été pris par surprise par la révolution de janvier 2011, mais ils avaient préparé des solutions de rechange en Égypte avant, lors- qu'ils ont senti que le régime de Moubarak commençait à être usé. Ils sont donc interve- nus directement après sa chute pour former une alliance entre l'ancien Conseil mil i - taire et les Frères musulmans pour remettre le pouvoir aux Frères musulmans après avoir promis de servir les intérêts des États-Unis, de garantir la sécurité d'Israël et de poursuivre une politique économique néo-libérale, contraire aux inté- rêts des masses populaires.

Mais les États-Unis ont décou- vert, après un certain temps, toute l'étendue de l'incapacité des Frères musulmans à gérer le pays, leur déficit en personnes compétentes et leur alliance persistante avec les groupes djihadistes plutôt qu'avec les forces libérales et plutôt que d'unir les gros capitalistes dans un système stable basé sur la remise du pouvoir entre les mains de cette clas - se, tout en préservant les inté- rêts américains. Les États-Unis tenaient dans le même temps à préserver les intérêts et les privilèges de l'armée afin de se garantir leur loyauté.

Mais les États-Unis étaient dans le même temps ef frayés de la poursuite de cette situation révolutionnaire en Égypte, de la montée des protestations ainsi que du rejet populaire du pouvoir des Frères musulmans. Ils ont aussi fait pression sur les Frères musulmans pour mener à bien les réformes, et ont aussi fait pression sur les forces de l'opposition libérale, en particu - lier celles représentant les inté - rêts du grand capital dans les partis W afd, le Parti des Égyp - tiens libres et le Parti de la cons- titution pour qu'elles précipitent les élections législatives, mettent fin à leur alliance avec les forces de gauche et rejettent les orien - tations révolutionnaires des mouvements de jeunesse qui croient que les objectifs de la révolution et la chute du régime des Frères musulmans ne peuvent être atteints que par une grande révolution populaire, et boycottent les élections.

Quand «Tamarud» (Rébellion) et son idée géniale d'ôter toute légitimité à Morsi ont réussi, cela a placé tout le monde devant un dilemme, quand de vastes cou - ches de la population ainsi qu'u- ne bonne partie des forces politiques y ont répondu. Cela a mis un terme aux hésitations des for - ces politiques, elles se sont ralliées à l'option populaire de ren - verser Morsi et d'organiser des élections présidentielles anticipées. Cette revendication a fait monter l'appel au renversement du régime des Frères musul - mans, à la modification de la Constitution et à un change - ment de cap dans la révolu- tion, avec unenouvelle légiti- mité révolutionnaire et une nouvelle phase transitoire sur des bases acceptables.

Les Frères musulmans, les Américains, l'armée, et mêmes les forces de l'opposi - tion politique et la jeunesse, n'imaginaient pas que la riposte populaire atteindrait une telle ampleur qu'elle forcerait tout le monde à accomplir la volonté populaire.

Nous savons que les États-Unis ont exercé des pressions de façon flagrante sur les chefs de l'armée et les forces politiques libérales pour qu'on ne renverse pas Morsi et qu'il puisse conti - nuer à mettre en œuvre les gros- ses réformes. Mais c'était trop tard, tout le monde avait com - pris que le peuple avait parlé et que l'alternative serait l'escalade de la guerre civile, du terrorisme et des conflits communautaires, ouvrant la porte à une intervention étrangère.

Arrivés à ce point critique qui a conduit au renversement de Morsi, l'intervention de l'armée s'est déroulée dans des conditions qui servaient les objectifs de la révolution, dans cette phase.

Il est intéressant de noter que c'est la première fois que l'armée égyptienne a désobéi à des ordres américains, ayant réalisé les grands dangers auxquels elle s'exposait, ainsi que toute la nation, si elle refusait de soutenir la révolution.

Les forces démocratiques et nationales réalisent que les lea - ders de l'armée ont des intérêts et des privilèges qu'ils veulent conserver, et qu'ils veulent avoir un rôle dans le système de pouvoir sans ingérence politique directe. Nous croyons qu'il faut le prendre en compte à cette étape, en insistant sur la nécessi - té de corriger graduellement ces choses dans la phase suivante.

Nous nous attendons à ce que les États-Unis, dans la situation actuelle, fomente des complots pour attiser les conflits, l'instabilité et soutiennent ces groupes qui veulent installer le chaos afin de réaliser ces projets de «chaos créateur», de faire de l'Égypte un autre Irak. C'est ce qui s'est passé et qui a été exposé au grand jour lors de la conspiration du 5 juillet. Ce complot a été qualifié par la jeunesse d' «agression tripartite : États-Unis, Israël et Frères musul - mans» contre le peuple d'Égypte. Ce plan visait à faire capoter la révolution, remettre Morsi, semer le chaos et la terreur par des manifestations qui auraient occupé les places de la Libération en utilisant des armes et le terro - risme, en lançant une campagne de rumeurs et une guerre de désinformation sans précédent en Egypte afin de créer des divisions entre le peuple et l'armée, et au sein de l'armée, et de comploter avec des groupes djihadistes au Sinai afin de le déclarer région libérée en collusion avec Israël et les groupes islamiques à Gaza. L'Égypte a vécu des heures cri- tiques après le discours de terrorisme et d'intimidation prononcé par le leader du groupe fasciste, des Frères musulmans, à ses partisans sur la place Rabi'a al- Adawiyya à Nasr City , au Caire. Ce fut le signal de départ d'un grand complot contre la volonté populaire. CNN comme BBC arabe ont joué un rôle dangereux dans ce complot. M ais le peuple et l'ar - mée ont été capables de déjouer cette intrigue et le rôle honteux joué par l'Amérique. La trahison du peuple et de la patrie par les Frères musulmans a encore une fois pu être constaté. Ce fut un coup majeur porté aux desseins de l'impérialisme, sur - tout américain, dans la région, une réaffirmation du triom- phe de la révolution et dela volonté du peuple sur les forces de la contre-révolution.

Q7 - Comment jugez-vous le nouveau président par intérim, Adly Mansour, et que doit-il faire maintenant ? Salah Adly :

C'est un juge recon - nu pour son intégrité et sa com- pétence, il n'a pas exprimé de préférences politiques ni adopté certains parti-pris. Le discours qu'il a fait après avoir prêté serment et pris son poste de prési - dent par intérim pendant la phase de transition était un bon discours, positif. Il a insisté sur le fait que c'était le «peuple seul» qui l'avait autorisé à prendre cette place, et que les pouvoirs qui lui étaient conférés étaient honorifiques, mais que la véritable autorité résidait dans le pre - mier ministre qui sera choisi par consensus parmi les forces natio - nales et la jeunesse, et qui sera chargé de mettre en place les missions convenues par les forces nationales, démocratiques et sociales. La priorité numéro un pour le gouvernement sera d'ar- rêter l'effondrement écono- mique, répondre aux revendications imminentes des travailleurs et garantir la sécurité.

Nous ressentons la nécessité à ce que continue à se manifester une pression populaire dans les rues, ce qu'a confirmé le discours d'Al-Sisi, protégeant le droit à la manifestation pacifique. Cela garantit qu'il n'y aura pas de déviation de ce qui a été conve - nu, que l'armée n'interviendra pas sauf dans les limites convenues pour assurer le succès de cette difficile phase transitoire.

Q8 - Quels sont les principaux défis que rencontre votre parti, en particulier par rapport auxautr es for ces politiques et à la création d'une alliance unifiée ? Salah Adly :

Le principal défi reste d'unir les forces de gauche pour af fronter les grandes tâches qui nous incombent dans la période. Les plus importantes sont :

1 - S'assurer de la réalisation des objectifs et des tâches de la phase transitoire ;

2 - Obtenir un consensus sur un seul candidat des forces nationales et démocratiques pour mener la bataille des élections présidentielles ;

3 - Former un front des forces de gauche, des nassériens, du mou- vement de jeunesse et des organisations syndicales ; préparer des listes communes pour les prochaines élections législatives et locales ; exercer des pressions pour s'assurer qu'il n'y aura pas de retrait de l'objectif de chan - gement de cap de la révolution, dans la phase transitoire ;

4 - Chercher à renforcer et développer la structure de notre parti , renouveler le parti avec du sang frais et développer son programme afin qu'il puisse faire face aux grands défis aux - quels il est confronté.