Entretien avec Ammar Bagdash, secrétaire du Parti communiste syrien
Lors d'une rencontre publique à Rome avec le secrétaire du Parti communiste syrien,Ammar Bagdash et une interview collective pour connaître les causes,le déroulement et les conséquences de la guerre civile en Syrie.Ou autrement dit de la tentative de déstabilisation d'un pays qui ne correspond pas aux plans pour le contrôle impéria- liste du Mo y en-orient.
Pourquoi cette attaque contre la Syrie ?
La Syrie constitue une digue contre l'expansionnisme nordaméricain au Moyen-Orient, sur - tout après l'occupation de l'Irak. Mais le véritable protagoniste de ce projet se trouve être en réalité le président israélien Peres, qui poursuit cet objectif depuis les années 1980. Les communistes syriens ont donné un nom à ce projet : la grande Sion. La Syrie a refusé tous les diktats des Etats- Unis et d'Israël au Moyen-Orient, a soutenu la résistance irakienne, celle libanaise et le droit national du peuple palestinien.
Mais comment est née la révolte, la crise et la guerr e civile en Syrie ?
Dans l'analyse des communistes syriens, les conditions ont été posées également par les mesures libérales adoptées en 2005. Cette politique a eu trois effets négatifs : une augmentation des inégalités sociales ; l'exclusion sociale de plus en plus diffuse dans les banlieues de Damas ; la dégradation des conditions de vie de la population. Cela a favo - risé les forces réactionnaires, comme les Frères musulmans, qui se sont appuyées sur le sous-prolétariat, surtout rural. Quand nous avons dénoncé tout cela jusqu'au Parlement, on nous a accusé d'adopter une posture idéologique et d'être des idiots.
En Syrie, ils veulent refaire ce qui s'est passé en Égypte et enT unisie. Mais là il s'agissait de deux pays philo-impérialistes. Dans le cas de la Syrie, c'était différent. Ils ont commencé par des manifestations populaires dans les régions rurales de Daraa et d'Idleb. Mais dans les villes, il y eut immédiatement de grandes manifestations populaires de soutien à Assad. Par ailleurs, au début, la police ne tirait pas, ce sont certains éléments parmi les manifestants qui ont commencé les actions violentes. Dans les sept premiers mois, il y eut plus de morts du côté de la police et de l'armée que dans l'autre camp. Quand la méthode des manifestations ne marchait plus, ils sont passés au terrorisme avec des assassinats ciblés de personnes en vue (dirigeants, hauts fonctionnaires, journalistes), attentats et sabotages d'infrastructures civi - les. Le gouvernement a réagi en adoptant certaines réformes comme celle sur le multi-partisme et sur la liberté de la presse, réformes que nous avons soutenu. Mais les forces réactionnaires ont rejeté ces réformes. Communistes, nous avons réalisé cette équation : les discours et les actes doivent être confrontés aux discours et aux actes. Mais le ter - rorisme doit être confronté par la souveraineté de la loi, en rétablissant l'ordre.
Ensuite, on est passé à la troisiè - me phase. La véritable révolte armée. Attentats et assassinats ciblés étaient le signal pour com - mencer l'attaque contre Damas. Puis les attaques se sont concen- trées contre Alep, qui par sa posi- tion géographique rend plus facile le trafic et le ravitaillement depuis l'étranger . Le gouverne - ment a réagi en imposant l'hégé - monie de la loi. Il convient de dire que l'intervention de l'armée et les bombardements aériens se sont produits dans une zone où l'essentiel des civils avaient déjà fui. A la contre-offensive de l'armée syrienne, les rebelles ont réagi de façon barbare, y compris dans les zones où il n'y avait pas de combattants. Et puis ils ont assiégé Alep.
Pourquoi la Syrie résiste, que cela signifie-t-il ? Ces dix dernières années au Moyen-Orient, l'Irak a été occupé, la Libye a dû capituler , la Syrie au contraire non. Par sa plus grande cohésion interne, ses for ces armées plus puissan - tes, des alliances internationales plus solides ou parce qu'il n'y a pas encore eu d'intervention militaire directe des puissances impérialistes ?
En Syrie, à la différence de l'Irak et de la Libye, il y a toujours eu une forte alliance nationale. Les communistes travaillent avec le gouvernement depuis 1966, sans interruption. La Syrie n'aurait pas pu résister en comptant seule- ment sur l'armée. Elle a résisté parce qu'elle a pu compter sur une base populaire. En outre, elle a pu compter sur l'alliance avec l'Iran, la Chine, la Russie. Et si la Syrie reste debout, des trônes vont tomber parce qu'il devien- dra clair qu'il existe d'autres voies. Notre lutte est internationaliste. Un expert russe m'a dit : «Le rôle de la Syrie ressemble à celui de l'Espagne contre le fascisme».
Quels effets peuvent avoir les événements en Égypte sur la situation actuelle en Syrie ?
Il y a un rapport dialectique entre ce qui s'est passé en Égypte et ce qui se passe en Syrie. La base commune, c'est le mécontentement populaire, mais la résistan - ce syrienne a accéléré la chute du régime des Frères musulmans en Égypte et cela aidera beau- coup la Syrie car cela montre que les Frères musulmans ont été rejetés par le peuple.
Dans un entretien récent, la pré- sident syrien Assad a af firmé : «En Syrie, nous avons mis en échec l'offensive de l'islamisme politique». Qu'en pensez-vous ?
Nous, communistes syriens, n'uti- lisons pas la catégorie d'Islam politique. L'Islam connaît une certaine diversité en son sein. Il y a des réactionnaires pro-impérialis- tes comme les Frères musulmans et des progressistes comme le Hezbollah et même l'Iran. Je ne suis pas un admirateur du modè - le iranien mais ce sont nos alliés dans la lutte contre l'impérialis- me. Depuis notre Vème Congrès, nous avons jugé l'Iran sur la base de sa position sur l'impérialisme. Notre mot d'ordre est : pour un Front inter - national contre l'impérialisme.
En Italie, une grande partie de la gauche pense que les rebelles combattent un régime fasciste, celui d'Assad. Que pouvez-vous répondre à cette position ?
Si nous partons de la définition du fascisme -un mouvement réac- tionnaire qui use de moyens vio- lents dans les intérêts du capitalisme monopoliste- en Syrie, ce n'est pas le capitalisme monopoliste qui domine. Ce sont plutôt les rebelles qui représentent les intérêts du grand capital. Les révoltes, comme nous l'enseigne l'histoire, ne sont pas toujours des révolutions. Pensons aux Contra au Nicaragua, aux franquistes en Espagne et il y en a d'autres.
Mais l'opposition à Assad est-elle toute réactionnaire ? Ou, comme le démontrent les affrontements internes entre Armée libre syrienne et militants djihadistes, ou ces derniers jours entre kur- des et djihadistes, existent-ils des éléments progressistes avec qui on peut entamer un dialogue ?
Parmi les opposants, certains ont passé plusieurs années dans les prisons syriennes et nous avons réclamé et nous sommes battus pour leur libération. Ces oppo- sants à Assad sont toutefois cont- re toute ingérence, intervention étrangère. Certains vivent à Damas et nous travaillons ensem- ble pour le dialogue national. Même Haytham Menaa de la Coordination démocratique condamne l'usage de la vio- lence de la part de l'opposi- tion armée ainsi que les ingérences extérieures. D'autresc omme Michel Kilo viennent de la gauche, mais ont trahi ces idées mais ils ne peuvent de toute façon pas changer la nature réac - tionnaire de la rébellion.
Comment expliquez-vous l'in- tensification des divergences entre Arabie saoudite etQatar , et qui se réper cute éga- lement dans les divisions au sein des milices rebelles ?
C'est vrai, l'influence et le rôle du Qatar diminuent, ceux de l'Arabie saoudite augmentent. L'af faire des affrontements avec les kurdes, c'est une autre histoi- re. Il y a eu des affrontements entre kurdes de l'Union démocratique kurde et les militants djiha - distes d'Al Nusra, mais il y a eu également des affrontements entre divers groupes kurdes.
Que se passe-t-il pour les Palestiniens qui vivent dans les camps de réfugiés en Syrie ?
J'ai rencontre récemment le responsable de l'OLP et il m'a dit : « Si la Syrie tombe, adieu la Palestine ». Le Hamas a agi parfois dans la précipitation, il a fait beaucoup d'erreurs et a causé des problèmes. Nous pouvons dire que l'organisation, qui appartient au monde des Frères musulmans, est revenue à ses ori - gines et elle est désormais sous l'aile du Qatar. Mais c'est dange- reux également pour eux. Maintenant, après ce qui s'est passé en Egypte, que se passera-t- il à Gaza ? La majorité des mili- tants qui sont entrés dans les camps de réfugiés palestiniens en Syrie n'étaient pas palestiniens. La majorité des Palestiniens est tota- lement contre toute ingérence dans les affaires syriennes.
A Yarmouk, 70% des habitants sont syriens car les camps de réfu- giés en Syrie ne sont pas des ghet- tos comme dans les autres pays. Il y a encore des combats à Yarmouk mais la population syrienne est partie. Le Comité exécutif de l'OLP s'est rendu deux fois en Syrie pour poser la question de la protection des camps de réfugiés. Yarmouk a été assiégé par Al Nusra avec l'aide du Hamas qui a cherché à provoquer l'ar- mée, laquelle a reçu l'ordre de ne pas réagir.
On en parle peu, mais quel rôle joue la Jordanie dans la crise et la guerre civile en Syrie ?
La monarchie jordanienne a tou- jours collaboré avec l'impérialis- me et il y a une intense activité des Frères musulmans. La Jordanie a accepté la présence de militaires états-uniens sur son territoire et la quatrième attaque contre Damas est partie juste - ment du territoire jordanien.
Et quel jeu joue Israel en Syrie ?
Israel soutient les rebelles armés, mais quand ils n'arrivent pas à toucher leurs objectifs, ce sont les avions de combat israéliens qui prennent le relais. Cela s'est passé à Damas mais aussi il y a quelques jours à Latakia.
Comment sortir de la tragédie ?
On ne peut réaliser aucun pro - grès social, ou la démocratie, si on est soumis à des forces extérieu- res. Le mot d'ordre est de défendre la souveraineté nationale et les conditions de vie de notre peuple. Comme je l'ai déclaré à l'ANSA, le principal moyen de sor - tir du massacre syrien passe d'a- bord par un arrêt des aides à l'op - position armée de la part des pays réactionnaires et impérialistes. Une fois que les aides extérieures seront arrêtées, on pourra mettre un terme à tou- tes les opérations militaires, y compris de la part du gouver - nement syrien. Et relancer un processus démocratique avec des élections législatives et des réformes politiques, ce qui n'est évidemment pas possible dans cette phase de la lutte armée. L'avenir politique de la Syrie se décidera par les élec - tions, notamment celles prési - dentielles de 2014.
Source : solidarite-internationale-pcf.over-blog.net