SOUVERAINETÉ ALIMENTAIRE, DÉFENSE DE L’ENVIRONNEMENT ET DE LA SANTÉ : QUEL MODÈLE ÉCONOMIQUE ?

La Guadeloupe est toujours une colonie. Par conséquent, toute son économie est tournée non pas vers la production locale des - tinée à la satisfaction de la consommation des Guadeloupéens, mais plutôt vers : - La consommation massive de pro - duits importés (de plus en plus de conserveset de surgelés) Une agriculture locale marginale essentiellement orientée vers l'exportation de quelques espèces et majoritairement carac- térisée par des pratiques culturales passées ou présentes qui ont pour effet de polluer durablement l'environnement et de contaminer la population Une production locale insuffisante en quantité et dépourvue de toute assurance qualité pour le consommateur guadeloupéen.

Notre pays est soumis à la fois aux contraintes du capitalisme et à celles du colonialisme.

En système capitaliste, le but de tout producteur est d'obtenir un plus grand profit quitte à sacrifier la santé des ouvriers et desconsommateurs.

Il n'hésite donc pas à mettre sur le marché des produits non conformes aux normes sanitai- res officielles qui protègent la santé

. Ex en Guadeloupe : dépassement, tolérances pesti - cides, sel, sucre, graisses.. . De même, les pouvoirs publics qui sont objectivement compli - ces n'hésitent pas à nous impo ser des normes (ou des déroga - tions) qui en réalité ne respec - tent pas la santé humaine.

A l'échelle de notre société, une telle situation est impulsée et entretenue par des lobbies écono- miques avec des complicités multi- ples : petits producteurs (notamment agriculteurs et marins- pêcheurs), partis politiques, syndicats, médecins, consommateurs, ... Au nom d'une certaine conception du nationalisme, certains peuvent même promouvoir la consommation de produits locaux contaminés pour sauver la production locale ; D'autres demandent le relèvement des tolérances officielles de contaminants (idem syndrome de Fukushima : décision de relever les seuils de radiations admissibles dans les aliments, pour sauver la production locale).

La crise alimentaire, sanitaire et de production que connaît actuellement la Guadeloupe à cause de cette contamination est terrible.

Les premiers résultats des études sanitaires sont désormais connus.

Un lien a été désormais établi entre l'exposition au chlordécone et la survenance du cancer de la prostate. Désormais, les hommes guadeloupéens et martiniquais sont les «champions du monde» de cette pathologie.

Un lien a été établi entre l'exposi - tion au chlordécone des femmes enceintes et les pathologies du développement psychomoteur des jeunes enfants guadeloupéens de 7 mois : réduction de la préférence pour la nouveauté, réduction de la vitesse de traitement des informations (augmentation du temps nécessaire au traitement des informations et diminution des facultés d'attention), baisse de la mémoire visuelle à court terme, diminution de la motricité fine...

La gestion de la crise par les pou- voirs publics est très contestable :

- L'arrêté ministériel conjoint du 30 juin 2008 qui transpose le règlement européen du 1er mars 2008, stipule que les tolérances chlordécone pour la consommation des végétaux sont deux fois plus élevées aux Antilles françaises que dans l'Union Européenne (20 microgrammes au lieu de 10 qui correspondent au seuil dedétection).

- Par simple décision franco-françai- se, dans le cadre du programme JAFA, les titulaires de jardins familiaux sont autorisés à consommer des végétaux conta- minés jusqu'à 200 microgrammes de chlordécone par kg de matière fraîche. Cette partie de la population antillaise, aux reve - nus souvent plus faibles est donc, dans une situation, encore pire que celle de la population générale.

Depuis 2010, l'ARS a demandé aux maires de prévenir la popu - lation qu'elle ne doit pas consommer les eaux de source non traitées (celles que chacun peut prélever dans la nature) à cause de leur contamination au chlordécone. L'ARS a précisé en outre que ces eaux ne doivent pas être utilisées à des «fins domestiques». Cela signifie notamment que les douches à l'eau contaminée au chlordéco- ne sont à éviter. Idem pour les bains de rivière... L'information n'a été répercu- tée par aucune mairie mais, d'une certaine manière, l'Etat est désormais couvert.

Les producteurs d'eau en bouteille sont contraints de filtrer leurs captages au charbon actif, pour cause de pollution au chlordécone et autres pesticides. Jusqu'en juin 2010, sur leurs étiquettes, ils continuaient à indiquer la mention «eau de source». Début juillet 2013, une nouvelle fois, le tribunal à ordonné à Capès d'ôter cette mention. Capès a obéi mais, a développé une campagne de publicité autour de sa pureté (qui serait revenue grâce à la filtration !) et a conservé la mention bon pour les nourrissons»). A quand le tour de Matouba ? Quelle eau faut-il donner à nos enfants ?

Certains labels «bio» sont accordés même si le sol est contaminé par le chlordécone. Dans le meilleur des cas, l'agriculteur n'utilise plus de pesticides, mais, le sol qui en contient beaucoup, continue de les transmettre aux cultures. Le consommateur achète donc au prix fort du «bio chlordéconé».

Actuellement, peut-être à une exception près, aucun marché de Guadeloupe ne vérifie la qualité d'agriculteur des personnes qui viennent y vendre. Le consomma - teur n'a donc aucune assurance en achetant des produits de pro - venance inconnue. Un marché d'intérêt régional (MIR) of frirait une telle garantie.

Même dans les grandes et moyen - nes Surfaces (GMS), aucun label (du type «ce produit est conforme au règlement européen du 1er mars 2008») n'est proposé auconsommateur . En l'absence de traçabilité, il achète à l'aveuglette.

Les indemnisations proposées aux professionnels sont dérisoires !

T ouchés par la pollution au chlor - décone, de nombreux agriculteurs et marins-pêcheurs sont contraints de se reconvertir ou de prendre carrément leur retraite. T rès peu sont éligibles aux faibles dispositifs d'aides et de dédommagements qui leurs sont proposés -en général de l'ordre de 7 à 10.000 euros. Pouvonsnous tolérer que nos producteurs soient ainsi laissés pour compte ?

Nous devons nécessairement Kaskod, c'est-à-dire, mettre un terme à ce système en menant des actions quantitatives et qualitati - ves intimement imbriquées.

Pour augmenter en quantité l'of fre de produits locaux, les paysans guadeloupéens doivent avoir un plus grand accès au foncier agricole : à cause de l'i - négale répartition des terres, ils sont désormais contraints de mener des actions d'occupation des terres.

Afin d'accompagner le développe- ment de cette offre locale, ils ont impulsé une éducation des consommateurs guadeloupéens (préférence pour la production/ consommation locale).

D'un point de vue qualitatif, notre principale contrainte agricole est liée à la forte pollution au chlordécone.

La logique de Kaskod des produc- teurs, des partis politiques, des syndicalistes et des consommateurs de la rupture devrait normalement apporter des garanties sanitaires à la population.

Elle devrait s'accompagner d'un programme d'actions et/ou de revendications visant à éviter ou limiter autant que possible l'exposition de la population et à supprimer l'utilisation des pesticides chimiques.

PROPOSITIONS

Il est grand temps que le LKP mette en œuvre le programme en 35 revendications (élaboré en 2009 et 2010 par son groupe Environnement) pour lutter contre la pollution/contamina- tion au chlordécone. Ce programme demeure d'une très grande actualité. Le LKP pourrait également s'appuyer sur un document réalisé en août 2012 par un Liyannaj : Les douze axes d'un cahier des charges pour la traçabilité ali- mentaire des pesticides.

La rupture d'avec le colonialis - me est nécessairement une démarche politique de conquê - te de pouvoir . Pourtant, la lutte pour la souverai - neté alimentaire en quantité ne doit pas être menée au détriment de la qualité des produits propo - sés aux Guadeloupéens. Leur santé en dépend ! Les analyses de sols sur terres occupées ne peuvent pas être écartées ou considérées comme politiquement incorrectes. Même remarque pour les analyses des produits proposés par ceux (agriculteurs ou marins-pêcheurs) qui veulent rompre avec le système colonial : leurs produits sont-ils conformes aux normes sanitaires ? Sinon à quelles normes sont-ils conformes ? Des normes de pays développés ou de pays en voie de développement ? Quels effets sur la santé des Guadeloupéens ?

La revendication d'un abaissement du prix de l'eau ne devrait jamais être séparée d'une revendication sur sa qualité. Il est inacceptable de revendiquer pour les Guadeloupéens une eau moins chère, sans s'assurer simultanément qu'elle est de bonne qualité (pesticides, amiante, aluminium, boue, etc).

Philippe Verdol, MCF à l'UAG, Pour le Groupe Environnement et santé LKP - Journée de V ia rd à Petit-Bourg le 25 Août 2013 - Atelier N ° 2