Pharmacopée française :Grande victoire pour tout l’Outremer
46 PLANTES MÉDICINALES DE GUADELOUPE, MARTINIQUE ET RÉUNION ENTRENT DANS LA PHARMACOPÉE FRANÇAISE.
Pour l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) : • La santé, qui est un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en l'absence de maladie ou d'infirmité, est un droit fondamental de l'être humain, …. (Déclaration d'Alma Ata en1978). • La médecine traditionnelle est la somme des connaissances, compétences et pratiques qui reposent sur les théories, croyan - ces et expériences propres à une culture et qui sont utilisées pour maintenir les êtres humains en bonne santé ainsi que pour pré - venir, diagnostiquer, traiter et guérir des maladies physiques etmentales.
Ainsi l'OMS a mis en place un programme (stratégie de l'OMS pour la médecine traditionnelle pour 2002-2005) devant permettre une meilleure intégration des médecines traditionnelles et parallèles dans les systèmes de santé afin de promouvoir un accès aux soins pour tous et notamment pour les pays du sud
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TREIZE ANNÉES DE BATAILLE ADMINISTRATIVE ET POLITIQUE
Le 1er août 2013, un mail éma- nant du Docteur Henry Joseph nous informait d'une, je cite, «grande victoire pour tout l'Outre-Mer». De quoi s'agissait-il? De l'entrée dans la pharmacopée française de 46 plantes «ultramarines», après près de treize années de bataille administrative et politique, pour faire reconnai - tre le droit de nos populations à développer leurs médecines tra - ditionnelles, avec, en arrière plan, des intérêts économiques colos - saux à préserver, (voir encart n°1).
PETIT RAPPEL DES FAITS ET RETOUR SUR L'HISTOIRE !
En 1799, l'esclavage est aboli en Guadeloupe depuis 5 ans, mais pas en Martinique. L'arrêté n ° 892 du Conseil souverain du 8 mars 1799 prévoit (Archives départementales de la Martinique) : «Que défense soit pareillement faite à tous nègres et gens de couleur libres ou esclaves, d'exercer la médecine ou la chirurgie, de préparer aucun remède, ni de traiter aucun malade à la ville ou à la campagne, sous quelque pré - texte que ce soit, quand même ils en seraient requis, une peine de 500 frs d'amende pour la premiè - re fois contre les gens libres, et de punition corporelle en cas de réci - dive contre les esclaves, et les maî- tres qui auront toléré cette pratique, seront déchus et privés de tous droits sur les dits esclaves…». Cet arrêté est en vigueur lors de l'établissement du premier codex mettant en place la première pharmacopée française qui parait en 1818, et bien sûr , les plantes de nos pays n'y sont pasintégrées. Or, en droit français, un profes- sionnel de santé doit utiliser des substances inscrites à la pharma - copée sinon il engage sa respon- sabilité. Et seules 19 plantes «ultramarines» y sont inscrites en qualité d'épices et d'aromates. Ainsi, lorsqu'en 1989, le Docteur Henry Joseph revient en Guadeloupe, il se rend compte qu'il ne peut pas vendre dans sonof ficine des plantes locales aux vertus médicinales - qu'il connait pourtant et auxquelles la pratique populaire a donné depuis fort longtemps leurs lettres de noblesse - puisqu'elles ne sont pas inscrites à la pharmacopéefrançaise. Il doit vendre des plantes de pays tempérés telles que verveine, tilleul, camomille, boldo, fume- terre etc… certaines étant com- plètement inconnues pour nous ! C'est de là que naît la prise de conscience du Docteur Joseph et que démarre son combat, soute- nu par d'autres scientifiques gua- deloupéens renommés, le professeur Paul Bourgeois, spécialiste de phytochimie (chimie des plantes), et le Professeur Jacques Portecop, spécialiste de botanique. Ces trois là, ne ménagent pas leurs efforts pour créer tout l'environnement nécessaire à l'as- sise de leur combat : 1) Participation aux travaux de TRAMIL (Traditional Medecine of Island), qui est le premier réseau caribéen sur la médecine traditionnelle dans les îles qui a été créé en 1983 et qui milite pour l'accès aux soins de santé primai- re aux populations défavorisées de ces régions. 2) Création en 2000 de l'APLAMEDAROM : Association pour la Promotion des Plantes Médicinales et Aromatiques de la Guadeloupe - dont la présidente actuelle est Marie GUSTAVE 3) Organisation du deuxième colloque international des plantes médicinales de l'outre-mer en 2001 au Gosier . 4) Mise en place en 2003 du pre - mier diplôme universitaire de phytothérapie tropicale à l'UAG pour former les professionnels de santé à l'utilisation des plantes médicinales locales. En ef fet, parallèlement aux actions juridiques, des démarches scientifiques doivent être faites auprès de l'AFSSAPS (Agence française de Sécurité Sanitaire et des Produits de Santé, remplacée en 2011 par l'ANSM : Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des Produits de Santé). Les monographies (étu - des détaillées) des plantes doi- vent être rédigées et y être présentées pour acceptation. Cette étape n'est pas non plus de tout repos, car l'équipe doit égale - ment supporter la condescendance, voire le mépris, de certains membres (experts scientifiques) de l'Agence.
UN COMBAT JURIDIQUE DE LONGUE HALEINE
En 2001, commence alors le bras de fer avec les Institutions françaises. Il est à souligner l'implica - tion forte d'Isabelle Robard, avo- cate au Barreau de Paris, qui a lit- téralement épousé cette cause. En effet, il faudra quatre projets de loi et autant de désillusions, mais aucun renoncement pour qu'enfin les plantes médicinales de Guadeloupe, Martinique et Réunion commencent à entrer dans la pharmacopée française en août 2013.Il s'agit de : • la loi Guigou sur les droits du malade (2002) - réforme nonvotée • la loi programme pour l'Outre Mer (2003) - réforme votée mais ordonnance non prise dans les délais (???) • la loi des Grenelles de l'environnement (2008) - Réforme enlevée de la loi • la Lodéom (2009) qui amène une modification du code de la santé publique
Pour les trois premières, la succes - sion des mauvais coups empêche la reconnaissance des plantes. La Lodéom et le CIOM (Conseil Interministériel des DOM) arrivent en 2009, après la grève générale et amènent enfin la reconnaissance officielle des plantes médicinales. Faut-il y voir un coup de pouce final dû au LKP et aux soulèvements populaires ?
LA SANTÉ, UN BIEN SI PRÉCIEUX, SI PRÉCIEUX ET SI…COÛTEUX
La santé, ce bien si précieux, si précieux et si…coûteux dans les sociétés occidentales où le lobby des firmes pharmaceutiques est faiseur de lois ! C'est un secteur dont le poids économique est important, dont les stratégies de développement relèvent parfois de méthodes colonialistes et impérialistes. Il n'y a qu'à voir les difficultés qu'ont eues les pays africains pour obte- nir des antiviraux pour lutter contre l'épidémie de sida. Les scandales financiers touchant certains laboratoires sont légion. Voilà pourquoi, au-delà de l'aspect symbolique, cette victoire est importante pour nous. Il n'est pas question, de nous enorgueillir de ce qu'enfin la France reconnaisse la valeur de nos plantes, comme une assimilation supplémentaire qui, après avoir tenté en vain (enfin, pas pour tous, c'est vrai), de conqué - rir nos corps et nos esprits, s'atta - querait maintenant à notre flore et nos richesses naturelles. Non, nou sé moun, é nou sé nou ! Nou ja sav sa, é nou pa bizwen pon lonksyon a pon moun ki té ké plis moun ki nou ! Il s'agit tout simplement, mainte - nant, de façon froide et déterminée de nous dire qu'il n'y a pas d'obstacles juridiques -même s'il y en aura bien d'autres - au déve- loppement de nos activités éco - nomiques comme par exemple, la mise au point de produits de santé spécifiques. Ainsi, nos jeunes étudiants pourront investir ces secteurs porteurs sur le plan du marché intérieur mais égale- ment extérieur.
UN NOUVEAU PILIER AGRICOLE DE NOTRE PAYS
Je me souviens d'une réunion au Ministère de l'Outre-Mer, en 2004, en présence de fonctionnaires du Ministère de la santé. Je faisais partie, à l'époque, d'un groupe qui souhaitait produire des infusions en Guadeloupe. J'avais entendu, avec étonnement, les fonctionnaires de la santé nous expliquer que cela n'était pas possible, car les plantes choisies n'étaient pas dans la phar - macopée, bien que couramment utilisées sans danger par la population locale. Quand nous avions objecté que certaines d'entre elles se retrouvaient pourtant dans des préparations existant sur le marché en France, il nous avait été répondu qu'il s'agissait de produits d'importation pour lesquels les grossistes ne couraient pas les mêmes risques. Il leur suffisait, en effet, d'arrêter l'importation de la référence en question. Pour nous qui souhaitions monter une activité industrielle, le risque était évidemment beaucoup plus grand (se voir interdire de produire), et nous avions compris qu'il nous était donc également fortement déconseillé de poursuivre dans cette voie. Aujourd'hui, nous avons donc l'opportunité de faire de ce secteur des plantes médicina- les et aromatiques, un nouveau pilier agricole de notre pays, en utilisant des tech - niques culturales protectrices de l'environnement et de la biodiversité, afin de poursuiv - re la tran sition et de proposer une alternative au tout canne/ tout banane/tout chimique !!! En ef fet, grâce aux ef forts continus de ce groupe de tra- vail, une mesure a été prise dans le POSEI (Programme d'Aide aux Productions Agricoles), pour que soient éligibles les plantes médicina- les et aromatiques (cf encart n°2 circulaire DGPAAT/- SDG/SDPM/C2011-3062). Les agriculteurs qui se lanceront dans ces productions pourront émarger à des aides à la production comme c'est déjà le cas pour d'autres filières.
Une façon aussi de prendre pied et d'occuper l'espace dans ce pays, qui est le nôtre.
Qu'Henry Joseph, Paul Bourgeois, Jacques Portecop, Isabelle Robard, l'APLAMEDAROM et toute leur équipe et réseau soient ici remerciés pour cette victoire, mais aussi et surtout, pour l'engagement et l'exemplarité du combat mené, qui pourra ser - vir de modèle à bien d'autres.
ENCART N°1
LISTES DES PLANTES DE GUADELOUPE ENTRÉES À LA PHARMACOPÉE FRANÇAISE À COMPTER DU 1erAOÛT 2013
Liste A en usage cutané
Pimenta racemosa (feuille) : bwa denn
Senna bicapsularis (feuille) : soumaké
Anredera leptostachys (feuille) : glisérin
Cordia martinicensis (feuille) : maho nwè
Hyptis suaveolens (feuille) : Gwo bôm
Liste A
Alpinia zerumbet (feuille, fleur, racine et graine) : atoumo
Cajanus cajan (feuille) : pwa di bwa
Capraria biflora (partie aérienne) : tépéyi
Eryngium foetidum ( feuille) : zèb a fè
Peperomia pellucida (partie aérienne) : kolaya
Phyllantus amarus (partie aérienne) : grenn an ba fèy
Psidium guajava (feuille) : gouyav
Thespesia populnea (feuille, fruit) : katalpa
Sambucus canadensis (fleur, fruit) : surio
Stachytarpheta jamaicensis (feuille) vèwvèn ké rat
ENCART N°2
CIRCULAIRE DGPAAT/SDG/SDPM/C2011-3062
Objet : POSEI : Mesures en faveur de la diversification des pro- ductions végétales, filièr es plantes ar omatiques, à parfum et médicinales Liste des produits éligibles en Guadeloupe pour l'aide à la fabrication de produits élaborés à partir de plantes médicinales et ar omatiques
Plantes cultivées aromatiques et médicinales indigènes dont endé- miques telles que :
Acacia odoriférant, Acajou rouge, Agoman, Aiguilette, Aloès, Ambrette, A tousmaux,
Benjoin, Bleuet, Bois bandé, Bois carré, Bois de campêche, Bois d'orme, Bois chandelle , Bois chique, Bois flambeau, Bois rada, Bouton d'or,
Cachibou, Caimitier , Calebassier, Canne d'eau, Cedrat, Chiendent, Cola, Courbaril, Cousin, Crécré blanc, Curage,
Dartrier, Dictame, Diapana, Divi divi, Eucalyptus, Fonbazen,
Galba, Génipa, Géranium rosat, Glycérine, Gommier rouge, Grand guimauve, Graines en bas feuilles, Graines job, Grand fonbazen, Gros baume,
Herbe à femme, Herbe à fer, Herbe a l'encre, Herbe à miel, Herbe à pic, Herbe à tension, Herbe charpentier, Herbe mal tèt, Herbe puante,
Icaquier, Indigo, Jasmin, Karapat, kochlaria,
Lavande, Lansan, L'envers rouge, Lépini, Liane molle, Liane panier, Liane serpent,
Mabi, Mahot pimenté, Malnomé, Mangle médaille, Mangue, Marguerite blanche, Maribouja, Marie perine, Mauricif, Mèdsinyé béni, Merise, Merisier, Mirobolan, Moulinkilè,
Noni, Olivier bord de mer , Oranger amer , Orthosiphon,
Raisin bord de mer , Raquette, Ramie, Torchon,
Savonette, Semen contra, Sensitive, Sonde, Soumaké, Surio,
T abac à jacquot, T agetes, Thé pays, Ti baume, Ti négé, Ti poulbwa, Ti venson, Toloman, Twa tass,
Vèpèlè, Véronique (petite et grande), V erveine queue de rat, Vétiver, Yucca, Zoliv.