Chili : Le renversement d'Allende, raconté par Washington

Le 11 septembre 1973, Salvador Allende,président démocratiquement élu du Chili,mourait pendant un coup d'Etat militaire ourdi et financé depuis les Etats-Unis. La répression fit 3 800 morts ou disparus (évaluation minimale) et plus de 37 000 torturés.Des centaines de milliers de Chiliens furent contraints à l'exil.Une aube noire se leva sur le Chili de Pinochet. L e 11 septembr e 2001, l'at - tentat contre le World Trade Center à New-York fit 2992mor ts (en comptant les 19 pirates de l'air) selon les chiffres officiels du rapport de la Commission nationale sur les attaques terroristes contr e les Etats-Unis.Il s'ensuivit une aube noir e pour l'Afghanistan et l'Ir ak où périrent des centaines de milliers de citoyens, hommes,femmes,enfants. Socialiste,Salvador Allende était un des fondateurs du PS chilien.C'est la raison pour laquelle le par ti solférinien (Parti socialiste français) pleure à chaudes larmes tous les 11 septembre,à chaque anniversaire de l'écroulement des tours jumelles. Le Grand Soir

En 1961, dès qu'il prit possession du pouvoir , le président Kennedy nomma un comité chargé des élections qui se dérouleraient au Chili trois ans plus tard. Selon l'enquête d'une Commission du Sénat, il était composé de hauts responsables du Département d'Etat, de la Maison Blanche et de la CIA. Ce Comité fut reproduit à l'ambas - sade étasuniènne de Santiago.

Empêcher que le candidat socia- liste Salvador Allende ne gagne les élections en était l'objectif.

Allende était un marxiste, convaincu qu'on pouvait arriver au gouvernement par la voie pacifique et à partir de là, ren - verser les structures de l'Etat au bénéfice des majorités pauvres(1). Il disait que pour arriver à un tel but, on devait nationaliser les grandes industries, celles qui étaient aux mains des Etats- Unis, en priorité, car c'était elles qui exploitaient les ressources stratégiques. Ces idées, et d'autres idéaux sociaux, le rendirent indésira- bles aux yeux des Washington : il pouvait devenir un exemple pour les peuples d'autres nations latino-américaines.

Afin de lui barrer la route, des millions de dollars furent distribués aux partis politiques du centre et de droite afin qu'ils fassent leur propagande. Au moment d'élire le candidat à la présidence, Washington se déci- da à appuyer Eduardo Frei du parti démocrate chrétien, et imposa aux autres partis qu'il avait financés, de s'aligner sur cet homme politique. Au total, l'opération coûta quelque vingt millions de dollars, une somme si importante pour l'époque qu'on peut seulement la comparer avec ce qui avait été dépensé dans les élections étasuniennes. En effet, Washington n'investit pas seulement sur le candidat Frei, mais aussi sur toute une campagne stratégique de propagande anticommuniste à long terme.

OPÉRATION “DEUXIÈME VOIE”

La Commission du Sénat dit : ”De nombreux supports furent exploités : presse, radio, films, tract, dépliants, envois postaux, banderoles, peintures murales.” La Commission reconnaît que par l'intermédiaire de ses partis et de diverses organisations sociales, la CIA réalisa “une cam - pagne alarmiste”, dans laquelle la principale cible furent les fem- mes, à qui l'on affirmait que les soviétiques et les cubains viendraient enlever leurs enfants. Des af fiches distribuées massive- ment montraient des enfants portant la marque de la faucille et du marteau estampillée sur le front. La tradition religieuse aussi fut exploitée au maximum afin d'inspirer la crainte du “communisme athée et impie.”

L'opération psychologique fonc- tionna au-delà de toutes les espérances : Frei obtint 56 % du vote populaire, Allende 39 %. Selon la Commission du Sénat, la CIA affirmait que “la campagne d'effroi anticommuniste avait été la plus ef ficace de toutes les activités entreprises.”

Ce fut une opération psycholo - gique, avec les caractéristiques d'une guerre, dont la base était les plans appliqués au Guatemala et ayant amené au renversement du président Arbenz, en juin 1954. Une opération qui, au Chili, ne fut pas démantelée avec le triomphe de Frei car , malgré tout, le nombre de voix remporté par Allende fut élevé. Et le vaincu avait tou - tes les chances de se représenter aux futures élections.

Dans ses mémoires, William “Bill” Colby , chef de la CIA de 1973 à 1976, raconte que lors de l'élection présidentielle de 1970 au Chili “la CIA se vit enjoindre de diriger tous ses efforts contre le marxiste Allende, contre la candidature duquel elle fut chargée d'organiser une vaste campagne de propagande.” Selon cet ancien patron de la CIA, l'opération s'appelait “Deuxième V oie.”

Henry Kissinger, alors conseiller à la Sécurité Nationale du président Richard Nixon, déclara pen - dant une réunion du Conseil national de sécurité sur le Chili, le 27 janvier 1970 : “Je ne vois pas pourquoi nous devrions rester sans rien faire pendant qu'un pays sombre dans le com- munisme à cause de l'irresponsabilité de son peuple”.Ce qui signifie que la décision souverai - ne d'un peuple ne serait pas valable si elle n'était pas en concordance avec les intérêtsétasuniens(2) . Lors de cette même réunion, on décida de rajouter 300 000 dollars à l'opération de propagande qui était déjà menée.

Selon la Commission Church, Richard Helms, promu patron de la CIA en 1966, envoya deux officiers qu'il connaissait depuis lespremie rs préparatifs d'invasion de Cuba. Ceux-ci, spécialistes de la guerre psychologique et de la désinformation avaient fait par - tie des plus hauts responsables des opérations au Guatemala : David Atlee Phillips, et David Sanchez Morales, de retour d'Indochine. La désinformation continuait de faire partie des activités principales contre le candi - dat Allende. La Commission du Sénat dit qu'un des mots d'ordre de la campagne était : “La victoi- re d'Allende signifie la viole nce et la répression stalinienne.”

(à suivre) (1) Marxiste convaincu, les USA savaient que Salvador Allende allait appliquer ce que Lénine appelait “la révolution au sens étroit”, à savoir la répétition historique de certains traits. Nationalisation de l'industrie, du transport, des communications, des banques, démantèlement de la machine d'Etat. En un mot, enlever au capi - talisme tout ce qui constituait sa puissance de feu, sa capacité de domination et de destruction. La trahison de Pinochet ne lui en a pas laissé le temps. (Souligné par la rédaction des N.E)

(2) Eugenio Balari, le dirigeant cubain écrivait à juste raison : “Tant qu'il y aura l'impérialisme, nous ne pouvons nous permettre le luxe du plu- ralisme. Nous ne pourrions jamais concurrencer l'argent et la propagande que les Etats-Unis déverseraient ici. Nous perdrions non seulement le socialisme, mais notre souveraineté nationale aussi. (Souligné par la rédaction des N.E.)