Chili : Le renversement d'Allende raconté par Washington (suite)

L'h istoire, les multiples preuves apportées depuis, les aveux des dirigeants et exécutants américains eux-mêmes, ont largement confirmé l'entière responsabilité des Etats-Unis dans la prépara- tion, le financement, l'organisation sur le terrain du coup d'Etat du 11 septembre 1973 au Chili, ainsi que l'assassinat de Savador Allende, président de ce pays. Personne en Occident ne deman - de la traduction devant le Tribunal Pénal International desdirigea nts américains respon- sables d'innombrables “crimes contre l'humanité” - crimes qui sont imprescriptibles - au Chili, au Viet-Nam, au Japon, à la Grenade, en Indonésie, au Panama, au Guatemala, en Irak, en Afghanistan... Au nom de la fameuse “infaillibi- lité démocratique” occidentale et de la théorie des “deux poids, deux mesures”, ils sont automatiquement couverts, absous de leurs crimes. Cette jurisprudence ne les concerne pas. Par la volonté de l'Occident tout- puissant, juge et parti, le Tribunal Pénal International est réservé exclusivement aux Africains, aux ex-dirigeants des pays de l'Europe de l'Est et dont les exactions commises n'ont aucune commune mesure ni en gravité, ni en nombre avec celles commises par les Américains. Pourtant Ramsey Clark, ministre de la Justice des USA sous la présidence de L yndon Johnson reconnaît : “Le plus grand crime depuis la dernière guerre mondiale a été la politique étrangè - re des Etats-unis.” Noam Chomsky , l'écrivain et intellectuel américain, connu pour son courage, son engagement et sa lucidité déclare : “Je crois, juridiquement parlant qu'il y aurait des motifs sérieux pour inculper chaque président des Etats-unis, depuis la dernière guerre mondiale. Ils ont tous été soit de véritables criminels de guerre, soit impliqués dans de graves crimes de guerre.” John Perkins (1) “assassin éco- nomique” américain repenti, à travers ses écrits nous a fait pénétrer dans un univers décadent, un système monstrueux, sans scrupules, sans aucun respect pour la vie, mis en place par les féodalités financières américaines. Comme le disait le fabuliste : “La raison du plus fort est tou - jours la meilleure.”

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Mais le 4 septembre 1970, Salvador Allende remporta les élections. Colby rapporte que “Nixon entra dans une grande fureur. Il était convaincu que la victoire d'Allende faisait passer le Chili dans le camp de la révolution castriste et anti-américaine, et que le reste de l'Amérique lati - ne ne tarderait pas à suivre.” L'ancien patron de la CIA se rap- pelle que le président convoque Helms, “et il lui ordonna très clai - rement d'empêcher Allende de prendre ses fonctions.” Nixon chargea Kissinger de lui commu - niquer un suivi précis du complot.

Il restait une possibilité qu'Allende prenne le pouvoir. Le Congrès chilien devait se réunir le 24 octobre pour choisir entre Allende et Jorge Alessandri, du Parti conservateur, arrivé en deuxième position, car Allende n'avait pas obtenu la majorité absolue. C'est qu'une partie de la gauche s'était divisée, non seulement à cause de la campagne médiatique, mais aussi du fait de l'argent que la CIA avait réussi à injecter dans quelques groupes.

Exécutant l'ordre, Helms envoya “un groupe de travail” qui se livra “à une activité frénétique” pendant six semaines, relata Colby. Atlee Phillips et Sanchez Morales étaient toujours hauts responsables du nouveau com- plot. Les dollars affluèrent mas- sivement, mais dans une nouvelle direction maintenant. On essaya d'acheter le vote de cer- tains congressistes pour qu'ils se prononcent contre sa victoire. Mais cela ne donna aucun résul- tat : Allende fut nommé président du Chili.

Les efforts prirent donc une nouvelle orientation, sans tou - tefois laisser de côté la campa- gne de propagande contre Allende. Colby dit que les agents prirent contact avec des responsables politiques et militaires pour sélectionner ceux qui pourraient être prêts à contrer Allende, “et déterminer avec eux l'aide financiè - re, les armes et le matériel qui pourraient s'avérer nécessaires pour lui barrer la route de la présidence.”

Campagne de diffamation internationale

Washington plaça donc son plus grand espoir dans les Forces armées, mais tout dépendait de leur Commandant en chef, le général René Schneider. Là, la CIA rencontra un problème, car ce militaire avait clairement indiqué que son institution respecterait la Constitution. Et Colby reconnaît avec un naturel affrayant : “C'était l'homme à abattre. En désespoir de cause, on organisa donc contre lui une tentative d'enlèvement qui tourna mal : il fut blessé en tentant de résister à ses agresseurs.” Selon la Commission Church, ce jour même, le 22 octobre, très tôt dans la matinée, la CIA avait remis à des conspirateurs chiliens, des mitraillettes et des munitions “stérilisées”, dénommées ainsicar , en cas d'enquête, leur origine serait impossible à déterminer. Trois jours après, René Schneider succomba à ses blessures. Immédiatement, Nixon envoya un message cynique à son homologue chilien : “Je voudrais vous faire part de ma douleur devant cet acte répugnant.” Le 3 novembre 1970, Allende prit ses fonctions de président. Une stratégie de déstabilisation du nouveau gouvernement fut alors à l'étude, et la Direction de l'Hémisphère Occidental de la CIA était chargée de la mettre en œuvre. En 1972, Ted Shackley, officier très expérimenté en opérations clandestines en devint le directeur. Il nomma son homme lige Tom Clines chargé des opéra- tions de la CIA au Chili, pour travailler spécifiquement sur le “cas Allende.” Celui-ci avait sous sa responsabilité ses vieux collègues Sanchez Morales et Atlee Phillips.

En mars de l'année suivante, Bill Colby nommé sous-directeur des Opérations Spéciales de l'Agence redevint leur supérieur . Colby et Schacley, qui avaient été à la tête de la guerre sale en Indochine, se trouvaient de nouveau réunis pour en mener une autre.

Depuis 1972, cette équipe de la CIA menait l'opération de désin- formation et de sabotage économique le plus perfectionné que l'on ait connue jusqu'alors au monde. Colby reconnaîtra dans la presse de son pays que ce fut une “expérience de laboratoire sur l'efficacité de l'investissement financier lourd pour discréditer et renverser un gouvernement.

Et ce ne fut pas tout. Selon la Commission du Sénat étasu- nien, la CIA à Santiago, se consacra à recueillir toute l'information nécessaire en vue d'un éventuel coup d'Etat : “Listes de personnes à arrêter, infrastructures et personnel civil à protéger en priorité, installations gouvernementa - les à occuper, plans d'urgence prévus par le gouvernement en cas de soulèvement militai - re.” Information sensible, comme la dernière mentionnée, obtenue, selon l'ancien fonctionnaire du département d'Etat, William Blum, grâce à “l'achat” de hauts fonction - naires et de dirigeants poli- tiques de l'Unité Populaire, la coalition de partis qui appuyaient Allende. A Washington, les employés de l'ambassade se plaignirent de la disparition de documents, non seulement au siège diplomatique, mais aussi à leurs propres domiciles. Leurs communications furent mises sur écoute. Un tra- vail réalisé par la même équipe qui allait monter le cambriolage du Watergate.

L'action contre Allende nécessi- tait une campagne internationa- le de diffamation et d'intrigues. Une bonne partie de celle-ci fut confiée à un novice en politique étrangère, presque un inconnu en politique, mais il s'agissait d'une vieille connaissance du président Nixon et des hommes de l'équipe de choc qui menaient l'opération : George H.W.Bush. Il réalisa une tâche en tant qu'ambassadeur à l'ONU, fonction qu'il occupa à partir de février 1971. Lorsqu'il fut nommé à ce poste, personne ne voulut se rappeler que quelques mois plus tôt, en tant que représentant à la Chambre du Texas, il avait réussi à faire rétablir dans cet état la peine de mort pour les “homo - sexuels récidivistes.” Le 11 sep- tembre 1973, eut lieu le sanglant coup d'Etat mené par le générale Augusto Pinochet contre le gouvernement du président Allende, et qui déchaîna une terrible répression. Même s'il avait quitté ses fonctions quelques jours avant, T ed Schackley fut l'homme clé du renversement. Son biogra- phe affirme : “Salvador Allende mourut pendant le coup d'état. Quand la fumée se dissipa, le Général Augusto Pinochet, dirigeant de la Junte Militaire était installé au pouvoir comme dicta- teur, en partie grâce au travail ardu de Shackley.

Quelques semaines plus tard, Henry Kissinger reçut le Prix Nobel de la Paix... Un an après ce fatidique 11 septembre, alors que la dictature continuait à plonger la nation dans un bain de sang, le président Gerald Ford déclarait que les Etasuniens avaient agi “dans le meilleur intérêt des Chiliens, et certainement dans celui des Etats-Unis.”

Quant à l'ancien président Nixon, voilà ce qu'il écrivait en 1980 : “Les détracteurs se braquent uni- quement sur la répression politique au Chili, en ignorant les libertés qui sont le fruit d'une économie libre. Plutôt que de réclamer la perfection immédiate au Chili, nous devrions encourager les progrès qu'il fait.”

(1) Voir Nouvelles Etincelles : n°404, du 30/12/10 ; n°405, du 06/01/11 ; n°408, du 27/01/11