Manuel Valls et l’ordre public
D evançant Marine Le Pen, le Ministre de l'intérieur du gouvernement français, Manuel Valls, imploré par des parlemen- taires et d'autres élus est venu pour chasser la peur et les angoisses des Guadeloupéens. Il aura sans doute déçu tous ceux qui, persuadés à tort, que le remède à la violence passe par plus de policiers et de gendarmes, lorsqu'il a déclaré : «La question n'est pas tant celle de la quantité des effectifs, que de la qualité de leur emploi, des marges de progression existe, il faut les exploiter» et a ajouté: «Travaillons d'abord sur de nouvelles organisations avant de réclamer de nouveaux postes». Après des mots incongrus sur son amour pour la Guadeloupe, Manuel Valls, dans son intervention au commissariat central de Pointe-à-Pitre a dévoilé la stratégie du gouvernement vis-à-vis de notre pays : «J'ai pu constater par exemple que les modalités d'actions de la compagnie d'intervention de Pointe à Pitre ne sont plus adaptées… Je souhaite par conséquent que cette compagnie fasse l'objet d'une restructuration complète qui doit aboutir à la constitution d'équipes dédiées à l'anti-criminalité d'une part, à l'ordre public d'autre part. Il est unanimement reconnu que les fonctionnaires de police de la compagnie d'intervention ont eu un comportement exemplaire, par exemple pendant la crise de 2009… Mais la situation sur le terrain évolue vite… Ce qui était vrai il y a quatre ans et qui a justifié la doctrine d'emplois de la compagnie d'intervention ne l'est plus aujourd'hui… Il faut dorénavant se concentrer sur le maintien de l'or- dre public, l'occupation de terrains et sécurisation dans les lieux les plus criminogènes». On ne peut être plus clair, la priorité du gou- vernement socialiste c'est le maintien de l'or- dre public. Autrement dit, la mission des forces de police et de gendarmerie est d'assurer et de garantir les intérêts économiques de la France en tant que puissance coloniale dans la Caraïbe. Le Ministre ne dit pas autre chose lorsqu'il décla - re : «La Guadeloupe est un sujet de préoccupa - tions pour le gouvernement, mais dans tous les sens du terme. Il y a des problèmes, il y a des défis, mais la Guadeloupe est aussi un atout, pour la France dans la Caraïbe». Les Guadeloupéens doivent faire l'effort d'analyse pour comprendre que la préoccupation du gouvernement, c'est le maintien de l'ordre public colonial et non leur sécurité. A défaut, de pouvoir pour le moment, expulser les Guadeloupéens, le gouvernement socialiste français se prépare à réprimer ceux qui se battent pour que la Guadeloupe soit un atout pour la Guadeloupe et les Guadeloupéens. Il faut mettre un terme à l'irresponsabilité et à la démagogie de ceux des élus qui, pour apaiser les angoisses de la population, réclament à l'Etat l'augmentation de son appareil de surveillance, de contrôle et de répression des Guadeloupéens au lieu d'exiger des moyens, pour l'école, pour la formation, pour la prévention et l'insertion sociale, pour le développement économique. Nous l'avons déjà écrit ici, mais ce n'est pas vain de le rappeler, la violence qui s'est inscrite dura- blement dans le fonctionnement de notre société depuis près d'une trentaine d'années est la conséquence du modèle social, politique, éco nomique et culturel dans lequel nous avons choisi de vivre. Elle est inhérente à cette société qui met les hommes en concurrence, en compétition, une société dans laquelle l'homme n'a de valeur qu'en proportion de son compte en banque, des biens qu'il possède, de sa capa- cité à consommer. La violencefait son lit dans notre pays de Guadeloupe. Un pays, dans lequel le système scolaire en place produit 25% d'illettrés, des milliers d'élèves sans diplôme, sans formation. Un pays, où la majorité de ceux qui sont diplômés sont contraints à l'exil où à des emplois en dessous de leur niveau de compétences. Un pays où l'emploi précaire, la violation des droits élémentaires des travailleurs, le paiement de leurs salaires, leur non déclaration à la sécurité sociale, le non versement des cotisations sociales, sont le lot quotidien de dizaines de milliers de travailleurs qui subissent en permanence l'odieux chantage du licenciement. Un pays, dans lequel une certaine catégoried'entre prises en réseau, s'empif fre des sub - ventions publiques, des exonérations de charges fiscales et sociales tandis qu'une majorité d'artisans de travailleurs indépen - dants, de petits entrepreneurs s ont asphyxiés par un système fiscal social et bancaire inadapté à leurs réalités économiques. La violence ne va pas s'estomper en Guadeloupe, tant que nous accepterons ce sys - tème qui nourrit les violences économiques et sociales (chômage, licenciements, bas salaires, pauvreté, précarité…) dont sont victimes des dizaines de milliers de Guadeloupéens. La violence ne peut que se répandre dans une société qui prive plus de 30% de la population active de la possibilité de vivre par leur travail, une société où près de la moitié de la population vit dans la pauvreté, et qui n'of fre aucune per- spective à sa jeunesse. Dans cette Guadeloupe où le Guadeloupéen est marginalisé, dépossédé de son pays, exclu de l'activité économique, la délinquance est devenue «un secteur d'activité» qui assure des revenus à ses acteurs en leur procurant l'argent nécessaire à la satisfaction de leurs besoins de consommation. La violence va prospérer dans ce système qui blanchit et recycle l'argent de la drogue, du vol et des trafics en tous genres, qui assure l'impunité des délinquants en col blanc, qui protège les puissants. La violence continuera à sévir en Guadeloupe tout autant que, nous Guadeloupéens, conti- nuerons à accepter la violence du système politique, économique, social et sociétal qui exclut des dizaines de milliers de Guadeloupéens de l'emploi, de l'activité économique et nous contraint à survivre d'assistanat, de mendicité et de toutes sortes d'expédients. Il faut cesser de se raconter et de raconter des histoires, de manipuler et tromper les Guadeloupéens, il ne peut y avoir de réponses efficaces à la violence qui mine la société guadeloupéenne, sans une rupture avec le modèle de société et ses valeur avec le système politique et économique qui en est la cause. C'est de notre responsabilité, nous Guadeloupéens !