Perversions démocratiques

C es élections municipales de 2014 nous offrent un cadre privilégié pour analyser nos rapports à la démocratie. Les partisans du modèle de société dans laquelle nous vivons, celle qui fonctionne sur la base de relations de dominants à dominés, de pwofitasyon, pour reprendre un concept bien de chez nous, ne pourront jamais, ô grand jamais, enlever son contenu de classe à la démocratie, il faut l'appeler par son nom, bourgeoise. Car, contrairement à la pensée dominante, la démocratie qui n'est pas une invention de la bourgeoisie française, n'a d'universel que le nom. Elle peut revêtir plusieurs formes : Elle peut être directe, représentative, populaire, participative. Elle est toujours intimement liée à la nature de la classe au pouvoir. Partant du principe, que la démocratie signifie : le pouvoir exercé par le peuple, les bourgeois ont fait du suffrage universel, le vote, le critère absolu pour juger du caractère démocratique de la gouvernance d'un Etat, du fonctionnement d'une société. Cela présuppose bien entendu que l'acte de voter serait libre de toutes entraves, échapperait à toutes formes de pression et de manipulation, que les citoyens seraient placés au même niveau d'égalité pour exercer leur choix démocratique. Il faudrait une bonne dose de cynisme pour prétendre que les électeurs ont, à un moment, bénéficié de ces conditions d'expression libre. L'histoire politique récente de notre pays fournit les matériaux de premier choix pour mesurer ce que nous appelons les perversions démocratiques. Chez nous, la classe politique au pouvoir : les capitalistes usiniers, les gros propriétaires terriens ont organisé sous la couverture du pouvoir politique, le détournement du suffrage universel en pratiquant par la violence et la corruption : la fraude électorale. Ils pouvaient briser les urnes, les remplir des bulletins de leurs partisans, falsifier les procès-verbaux, proclamer en toute impunité les candidats de «l'argent» élus, sans tenir aucun compte des suffrages sortis des urnes. Ils pouvaient terroriser les ouvriers et les colons en les privant de travail, de maisons, en les affamant pour les contraindre à voter pour les candidats de l'usine et de la Préfecture. Les Communistes Guadeloupéens ont payé un lourd tribut en vies humaines, enlevées, mutilées, en licenciements, en persécutions, en condamnations judiciaires pour éradiquer la fraude électorale et faire respecter le suffrage universel en Guadeloupe. Pendant un temps on a pensé, à tort, cette période révolue. On en est loin hélas ! Elle n'a fait que changer de forme.

Depuis l'émergence du pouvoir médiatique avec le développement de la radio et de la télévision sous le contrôle de l'Etat et une presse écrite à diffusion massive au service de la pensée capitaliste, le détournement du suffrage universel s'est modernisé est devenu plus subtil, mais toujours aussi violent. Les mercenaires de la plume et du micro ne brisent pas les urnes mais brûlent les cerveaux et pourrissent les consciences. La réforme de la décentralisation appliquée en Guadeloupe depuis 1982 a apporté une coloration particulière à la fraude électorale. Elle est devenue institutionnelle. Cela se traduit par : l'utilisation des pouvoirs exécutifs pour faire disparaître les partis politiques qui, selon la Constitution française «concours à l'expression du suffrage universel» ; L'engagement des ressources des collectivités pour s'aliéner les voix des électeurs (emplois fictifs, distribution de matériaux, de gadgets électroniques ; Organisation de manifestations bidons etc.). Ce qui s'est passé avec ces élections municipales, montre que nous avons dépassé depuis longtemps la côte d'alerte. Les perversions démocratiques gangrènent tout le corps social. La préparation des listes de candidatures a donné lieu à un véritable marché, une sorte de foire commerciale. Tout s'est vendu et acheté : Les places sur les listes. Il paraît que certains candidats ont payé fort cher leur place au conseil municipal ou à la communauté d'agglomération ; Les voix des grandes familles et des électeurs «porteurs de voix » ont déjà coûté cher aux candidats, les associations ont été arrosées, des chantiers ont recouvert nos villes, même des cours et des terrains privés ont été goudronnés. Mais, le sommet de la perversion démocratique s'est trouvé dans les méthodes employées pour composer les listes. Les têtes de liste, pas tous fort heureusement, ont composé leur liste comme des véritables chefs de gang, ne considérant pas leur colistier comme des partenaires, mais comme des sujets, des obligés, des porteurs d'eau. Les candidats à la candidature devaient attendre le dépôt des listes pour savoir qu'elles étaient leur place sur la liste. Comment dans ces conditions, trouver demain des équipes homogènes dans les collectivités locales pour œuvrer dans l'intérêt général ? Il faut se rendre à l'évidence, entendez toutes les affaires de corruption, les dérives judiciaires qui éclatent en France en ce moment. La démocratie bourgeoise, celle du monde dit libre, n'est pas la panacée. A nous d'inventer notre propre modèle démocratique .