La Guadeloupe à l’AEC : Les ambiguïtés de l’adhésion

L'information médiatique dominante en Guadeloupe ce 30 avril est la participation de la «Guadeloupe» au VIe Sommet des chefs d'Etats et de gouvernements des Etats de la Caraïbe à Mérida au Mexique.

Ce n'est pas le premier Sommet de cette Association auquel participe la Guadeloupe depuis 1994. Mais jusque-là, elle y allait à l'invitation de la France qui est membre Associé de ce forum au nom des «Départements français d'Amérique» qui la représentait et parlait en son nom. Ce qui a changé, c'est que le 14 avril, la «Guadeloupe» a signé son acte d'adhésion à l'Association des Etats de la Caraïbe, après l'acceptation par le Conseil des Ministres de l'AEC, de sa demande déposée of ficiellement en 2013 au Ve Sommet des chefs d'Etats et de gouvernement à Pétion V ille en Haïti. Les communistes qui militent depuis 60 ans pour la coopération de la Guadeloupe dans notre région naturelle se réjouissent de ce pas même si à leurs yeux il ne reste que symbolique. Il ne peut échapper à aucun observateur politique sérieux que cette adhésion s'accompagne d'ambigüités et de mystification. Pour commencer, qui a adhéré à l'AEC, la Guadeloupe en tant qu'entité géographique et politique, ou la Région en tant qu'institution de la République française ?Car , c'est Madame Borel Lincertin qui a signé l'acte d'adhésion au titre de Président du Conseil Régional. Si dans le méli-mélo institutionnel français, la Région a compétence en matière de coopération internationale, il ne demeure pas vrai que le Conseil Régional n'est pas l'autorité politique de la Guadeloupe. Nous sommes dans un système tricéphale, la bête à trois têtes, au niveau de l'administration du territoire de la Guadeloupe : L'Etat français, le Conseil Régional, le Conseil Général avec bien entendu, la France comme autorité de tutelle. Dans une déclaration à CCN, l'ambassadeur français pour la Caraïbe, Monsieur Fred Constant, a été clair : «La Présidente de la Région a signé par délégation du ministre des Af faires Etrangères. Elle a signé au nom du gouvernement de la République». Mais, quid du Conseil Général qui partage avec les deux autres institutions l'administration du pays Guadeloupe ? A-t-il donné mandat au Conseil Régional d'engager la Guadeloupe dans cette direction ? Ce point montre clairement les ambigüités qui entourent cette adhésion et les limites de la signature de la Région. Il est évident que cette adhésion a abouti parce que c'est la volonté de la France qui développe sa propre stratégie de grande puissance dans la Caraïbe pour ne pas trop heurter les Etats de la Région, surtout ceux qui font de la souveraineté une question centrale. Pour ce faire, le Ministère des Af faires Etrangères a développé un concept de «diplomatie territoriale» ce qui signifie une diplomatie française mise en œuvre par les territoires français dans leur zone géographique. Aujourd'hui, le changement est de pure forme. La Guadeloupe n'arrivera pas à l'AEC, comme les années passées, dans la délégation française. Membre associé, elle sera assise au côté de la France qui continue à siéger comme membre associé au nom de : la Guyane, Saint-Martin, Saint-Barthélemy. La Guadeloupe étant membre associé au titre de territoire nonindépendant, il est évident qu'elle ne peut intervenir et s'engager que sur des questions qui relèvent de ses compétences. Mais là encore apparait une ambiguïté. Quelles sont ces compétences : celles du Conseil Régional et du Conseil Général ? Si c'est le cas, il faudrait que ce soit une délégation mixte Conseil Régional / Conseil Général qui représente la Guadeloupe à l'AEC. Que se passera-t-il si, la Guadeloupe, qui est membre associé par délégation du gouvernement français à une position contr a ire aux intérêts de l'Etat français ? La présence fortement médiatisée de la Ministre des Outre-mer , Madame Pau Langevin au Mexique et les deux messages qu'elle a distillé en disent long sur les ambitions de la France. Elle a d'abord dit, parlant de la Guadeloupe et de la Martinique : «Leur adhésion renforce ce projet d'intégrer tous les territoires et les pays de la Caraïbe au sein de l'AEC. Elle nous oblige à trouver les voies et les moyens d'une coordination accrue pour porter la voix de la France et de ses valeurs dans cette région dumonde». Et pour bien préciser les raisons de la présence française, elle a ajouté : «… A quelques semaines des élections européennes, je tiens à dire plus que jamais aux Antillais que l'Europe a également toute sa place et qu'elle demeurera un partenaire privilégié de la Caraïbe». Lorsque l'on sait que les fameux accords de partenariat économique (APE) sont le plus grand obstacle à notre intégration dans la Caraïbe on mesure vraiment là toutes les ambiguïtés de cette adhésion.