Les parents «sur la touche»

Les parents,on le sait,sont les premiers responsables de l’éducation de leurs enfants,de la naissance,jusqu’à la majorité,à 18 ans.Une mission d’autant plus difficile qu’elle ne se fait pas en «vase clos», fort heureusement d’ailleurs. L’enfant subit donc des influences extérieures,de la rue,de la société dans laquelle il évolue,de l’école et des médias.Il s’agit donc de le préparer à être un adulte,en fonction des normes et des valeurs qui ne sont pas toujours universelles mais,en tout cas,qui régissent la communauté à laquelle il appartient et la législation citoyenne de laquelle il dépend.Pourpar venir à de tels résultats, des situations conflictuelles peuvent voir le jour.Même en tenant compte du f ait que l’enfant n’est pas le métal forgé entre le marteau et l’enclume, il peut arriv er que s’installe un rapport de force.

C e rapport de force, au bénéfice de l’éducateur , a d’ailleurs formé des géné- rations d’hommes et de femmes, tant au niveau de la famille qu’au niveau de l’école. En Guadeloupe, plus particulièrement, a fonctionné un centre de redressement appelé «Saint- Jean Bosco», dont la mission était de redresser les adolescents récalcitrants à toute mesure éducative. Ceux qui étaient, comme on disait à l’époque : des «mové sijé», des «mové lawon», des «tiquarante». Il s’agissait de cas singuliers, notoirement connus dans la cité, rebels à tout mais qui n’étaient pas de jeunes délinquants, au sens contemporain du terme, phénomène qu’on ne connaissait d’ailleurs pratiquement pas, jusque dans les années 1960 environ. Beaucoup de Guadeloupéens peuvent encore, aujourd’hui, témoigner de ce qu’ils doivent à Saint-Jean Bosco pour leur réus - site d’hommes responsables. Les techniques éducatives ont beau - coup évolué depuis, et c’est tantmieux. La législation française a interdit les châtiments corporels dans les écoles depuis très longtemps. Au fil des décennies, différentes dispositions législatives ont été prises pour assurer la protection de l’enfant. La Convention Internationale des Droits de l’Enfant, votée par l’Organisation des Nations Unies, le 20 novembre 1989, est venue compléter la Convention Internationale des Droits de l’Homme. Des associations ont vu le jour à travers le monde avec pour but, la protection de l’enfant. En France, singulière - ment, il existe, notamment, la Fondation «Eduquer sans frapper» et l’association «Ni claques ni fessées» qui ont pour objectif de changer les mentalités. Elles considèrent, en effet, que la fessée est un stress et un traumatis - me pour les enfants. De plus, nous savons, depuis une vingtai - ne d’années, que les mots pour réprimander doivent être bien pesés, pour ne pas… traumati- ser. En Guadeloupe également, des personnes se sont mobilisées, avec bonheur , pour créer des associations, pour la préven - tion de la maltraitance des enfants.

Cependant, jusqu’ici, au niveau de la famille, la législation fran - çaise qui régit notre communau- té guadeloupéenne est restée muette sur la correction parentale, tout en condamnant les violences, avec circonstance aggravante, quand elles sont commises sur un enfant. Néanmoins, la jurisprudence a été amenée, souvent, à admettre qu’un père, une mère ou tout autre autorité parentale ou ayant délégation parentale, comme l’instituteur, pouvait, dans des situations avérées difficiles par le comportement de l’enfant, faire usage, de façon raisonnée, d’une sanction qui pouvait aller jusqu’à la gifle ou la fessée «inof fensive».

Ce qui est certain, c’est que la grande majorité des parents guadeloupéens font toujours appel, quand nécessité oblige, et de façon modérée et raisonnable, à une forme de châtiment corporel, de réprimandes ou de sanctions, pour asseoir son autorité, quand celle-ci est mise enpéril.

Ces parents devront bientôt revoir leur position. Le Conseil de l’Europe s’est engagé le 15 juin 2008, en Croatie, sur la voie de l’abolition des «châtiments corporels» dans 27 pays, avec comme slogan : «Les mains doi- vent protéger, pas frapper. Levez la main contre la fessée». Les participants ont été des repré- sentants à haut niveau des gouvernements et des organisations internationales, des parlementaires, des autorités locales, des médiateurs, des jeunes, des familles avec des enfants, des Organisations non gouverne - mentales et des professionnels du réseau enfance.

Dix-huit Etats ont déjà pris de telles mesures d’interdiction. La Grande-Bretagne s’est prononcée en janvier 2000, en laissant aux parents la liberté d’appli - quer la punition de leur choix, à condition que ce soit « dans un cadre aimant et af fectueux ». En Septembre 2000, l’Allemagne a interdit tout châtiment corporel, sans prévoir de sanctions pour les parents contrevenants, pour ne pas, selon le ministre de la famille, Christine Bergmann, «mettre un procureur dans les chambres des enfants, suivant en quelque sorte ce qu’avaient fait l’Autriche et l’Italie, respectivement en 1989 et en 1996.

En France, le député UMP, madame Edwige Antier , pédiat- re, va déposer une proposition de loi pour interdire toute forme de châtiment corporel dans la famille, envers l’enfant. Selon elle, «il ne s'agit pas d'envoyer les parents en prison, ni de les en menacer». Elle ne propose pas, semble-t-il, d'inscrire l'interdiction de la fessée dans le Code pénal mais, dans le Code civil, «comme en Allemagne».

Tout en réclamant fortement que tous les cas de maltraitance d’enfants soient sévèrement condamnés, on ne peut com - prendre qu’il soit nécessaire de légiférer, une fois de plus, pour amplifier chez les parents sou- cieux de donner une bonne éducation à leurs enfants, la peur de se retrouver , à tout moment, à s’expliquer devant un procureur ou un juge. Dans le cas où une telle législa- tion allait voir le jour, il n’est pas caricatural d’affirmer que l’Education parentale sera désormais une éducation avec la langue cadenassée et les bras croisés ou les mains dans les poches, face à l’enfant roi ayant accédé au statut d’empereur. Les parents seront sur la touche. Le Canada, très au fait des problè- mes éducatifs, autorise dans l’ar- ticle 43 du code criminel, l’emploi de la force pour corriger un élève ou un enfant, pourvu que la force employée ne dépasse pas la mesure raisonnable.

En France, 82 % des personnes interrogées pour un sondage TNS Sofres se disent hostiles à une loi interdisant la fessée. Selon l'enquête publiée par «Dimanche Ouest France», elles sont 45 % (60 % de droite et 38 % de gauche) à penser qu'il faut l'utiliser «car cela apprend à l'enfant le respect de l'autorité».

Avec ce troisième millénaire va sans doute débuter l’ère du «bien vu, bien entendu mais laissons faire». Les parlementaires devront alors se préparer à pren- dre, dans quelques années, tou- tes les dispositions législatives pour protéger les parents des claques et fessées qu’ils recevront de leurs enfants. C’est, assurément, l’occasion de regretter, une fois de plus, que notre pays, la Guadeloupe, ne puisse avoir l’entière responsabilité de construire son destin par un projet de société conforme à son identité, sans renier les normes et valeurs ancestrales qui ont bâti des générations, tout en s’enrichissant d’apports de l’extérieur.

Nous avons interrogés quelques mères guadeloupéennes. La parole aux mamans

Question :Approuvez-vous le pro- jet de loi sur l’interdiction de la correction parentale ?

Maryse, 65 ans, 2 enfants, infir- mière retraitée

Je ne suis pas d’accord du tout pour une loi interdisant les châtiments corporels de la part des parents. Le terme «châtiment» est sans doute dépassé, pas approprié car cela fait peur. Mais, il faut que l’enfant sache qu’il y a des limites à ne pas dépasser. On doit chercher à raisonner verbalement, mais quand on constate que l’enfant se moque de vous par son com - portement, il faut freiner par une démarche qui peut être la fessée, la gifle, dans la limite du raisonnable. Le parent doit avoir le dernier mot, sans exagérer.

Jocelyne, 45 ans, 2 enfants, secrétair e

Je ne suis pas d’accord. Les enfants sont souvent brigands. On a beau expliqué parfois, ils n’entendent pas et se montrent indisciplinés, irrespectueux. Ils ne faut pas les martyriser . Il faut les recadrer cependant . Même au lycée, ils peuvent poser problème. Si on laisse faire, c’est la porte ouverte à tout, car, dès qu’il y a une faille, les enfants entrent dedans. Les enfants d’aujourd’hui sont plus durs que ceux de ma génération. Ils ne craignent pas les adultes et ne se gênent pas, par exemple, pour injurier en leur présence. On voudrait légitimer le cannabis et donner ainsi le droit de fumer ; si maintenant il faut interdire la correction parentale, je me demande où on veut aller . S’il faut châtier, je vais châtier et j’ai dit à mes enfants : « si on vou- drait m’en empêcher, alors on s’occupera de vous à vie ».

Christelle, 28 ans, 3 enfants, employée de service médical

Je suis contre. Tous les enfants qui sont passés avant ont connu la fessée, ils ne sont pas morts. Il ne faut pas taper inutilement et abusivement, mais une claque n’a jamais fait de mal, bien au contraire !

Lydia, 40 ans, 3 enfants, profes- seur des écoles

Brièvement et simplement, je ne peux pas dire que je suis pour ou que je suis contre. Par contre, une fessée, ne serait-ce que pour remettre les choses dans l’ordre, ce n’est pas de trop, mais pas n’importe comment. Cela dépend aussi du sens dans lequel on entend la fessée. Ce n’est pas la fessée dans le sens d’enfant martyr. Une petite fessée en tant qu’antillais comme on a l’habitude de donner, je ne pense pas que cela fait du mal aux enfants. Cela permet de montrer que nous sommes encore là et que nous avons une certaine autorité. Certaines fois il faut une gifle pour que l’enfant puisse comprendre .

Rosita, 37 ans, 1 enfant, gr effière

Je ne suis pas d’accord, je ne par- tage pas cet avis dans la mesure où les parents doivent donner une fessée à leurs enfants, pas pour un oui ou pour non, sans les martyriser, quand ils le méri- tent. Quand j’en ai entendu par- ler, j’ai discuté avec mon mari. Je n’approuve pas ce projet de loi.

Odile, 47 ans, 1 enfant, Cadre territorial

Je considère que c’est une loi inutile parce que s’il y a eu effec- tivement des problèmes de maltraitance à déplorer , il y a eu, par le passé, une loi sur la maltraitance. Cette question de limiter le mode de correction des enfants est à mon sens, déjà réglée. Cette loi interdisant la fessée me semble de nature à intervenir directement dans le fonctionnement même des familles. Elle est non seulement inutile, mais, elle est dangereuse parce qu’elle n’est pas accompagnée de solutions palliatives. La fessée est un mode d’éducation qui vient en complément du dia- logue, de la discussion, des expli- cations, toute une série de choses. Elle n’intervient qu’en ultime recours et de manière ponctuel - le. On pratique la fessée quand c’est nécessaire parce que je pense qu’un enfant, même si on lui explique un certain nombre de choses, il va toujours chercher à outrepasser les directives du fait que c’est un enfant précisément et qu’il faut qu’il ressente l’autorité bien conçue. Ainsi, on peut être amené tôt ou tard, à utiliser la fessée.

Myriane, 40 ans, 3 enfants, Professeur

Nous sommes déjà en Guadeloupe en grand décalage au niveau de l’éducation par rapport aux Français. Ils ont des principes qui ne sont pas les nôtres. Forcément, déjà, je ne suis pas d’accord avec leur niveau d’éducation car j’ai l’impression qu’ils tirent encore plus en arriè- re L’auteur du projet de loi sem- blait dire qu’un parent qui arrive à donner une fessée à un enfant est un parent qui n’a pas d’auto- rité sur son enfant, qui ne sait pas dialoguer, que la communication est importante, et qu’un parent qui arrive à la fessée est lui en situation d’échec. Donc quand les gens justifient leurs lois en tenant ce genre de pro- pos, je ne me sens pas concer- née. Quand je regarde les résul - tats, je me dis qu’on n’est pas dans le faux avec l’éducation que nous nous avons reçue, avec l’éducation que nous donnons à nos enfants.