Qu’est-ce que la souveraineté alimentaire ? Le tiers-monde peut-il y accéder ?
L a «Souveraineté alimentai- re» réclamée à cor et à cri depuis des décennies par les pays du tiers-monde, n’a jamais fait l’objet du moindre examen sérieux de la part des pays riches et leurs institutions. Régulièrement torpillée par l’é- goïsme de l’Occident, elle n’a encore pu être mise en place par les agricultures du Sud. À preuve, la répétition cyclique des famines, de plus en plus rap- prochées, de plus en plus meur- trières, touchant à chaque crise, un nombre toujours plus important d’êtres humains dans les pays pauvres. Mais qu’est-ce au juste la «Souveraineté alimentaire» ? Voici la longue définition que les organisations paysannes du tiers-monde, intéressées au premier chef par l’éradication de la faim dans le monde, réunies au Mali au mois de février 2007, en ont donnée. «La souveraineté alimentaire est le droit des peuples à une ali - mentation saine, dans le respect des cultures, produite à l’aide de méthodes durables et respec - tueuses de l’environnement, ainsi que leur droit à définir leurs propres systèmes alimentaires et agricoles. Elle place les producteurs, distributeurs et consommateurs des aliments au cœur des systèmes et politiques alimentaires en lieu et place des exigences des marchés et des transnationales. Elle défend les intérêts et l’intégration de la prochaine génération. Elle représente une stratégie de résistance et de démantèlement du commerce entrepreneurial et du régime alimentaire actuel. Elle donne des orientations pour que les systèmes alimentaires, agricoles, halieutiques et d’éle - vage soient définis par les producteurs locaux. La souveraineté alimentaire donne la propriété aux économies et aux marchés locaux et nationaux et fait pri - mer une agriculture paysanne et familiale, une pêche tradition - nelle, un élevage de pasteurs, ainsi qu’une production, distri- bution et consommation alimen- taires basées sur la durabilité environnementale, sociale et économique.La souveraineté alimentaire promeut un commerce transparent qui garantisse un revenu juste à tous les peuples et les droits des consommateurs à contrôler leurs aliments et leur alimentation. Elle garantit que les droits d’utiliser et de gérer nos terres, territoires, eaux, semences, bétail et biodiversité soient aux mains de ceux et celles qui pro - duisent les aliments. La souveraineté alimentaire implique de nouvelles relations sociales, sans oppression et inégalités entre les hommes et les femmes, les peu- ples, les groupes raciaux, les classes sociales et les générations».
Pour le moment, on n’en prend pas le chemin. Loin de là… ! La course effrénée aux agro-carburants et à la razzia sur les terres africaines et asiatiques, consti - tuent les deux centres d’intérêt majeurs des pays riches du Nord ou émergents, et de leurs entreprises de l’agro-business. Des pays comme la Chine, l’Inde, la Corée du Sud, l’Arabie Saoudite, le Koweït, et bien d’autres, eux aussi, se sont lancés dans la compétition. La proche fin du pétrole, paraît-il, et l’ère d’insécurité dans laquelle nous sommes entrés -à cause de qui ?ont précipité les pays riches et ceux qui le peuvent, dans cette course ef frénée d’achat, et de location de terres fertiles, dans les pays pauvres et démunis dutiers-monde. Selon Olivier de Schutter, rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation : «Le mouvement s’accélère rapidement, car tous les pays semblent réaliser subitement, qu’à l’avenir, les marchés internationaux seront moins fiables et moins stables. Ils cherchent donc à se prémunir, soit en achetant des terres à l’étranger , soit en encourageant leurs investis - seurs à le faire». «Les rares accords que nous avons pu consulter sont préoccu - pants. Ils comportent très peu de précisions sur les obligations des investisseurs étrangers. Les investissements dans les infras- tructures, la gestion durable des ressources naturelles, toutes ces questions sont laissées au bon vouloir de l’investisseur ! C’est très inquiétant» a conclu Olivier de Schutter . Convertir les aliments en carburant est une tragédie ! Nous ne pouvons pas ici, ne pas nous souvenir de cette réflexion de Fidel Castro ! «L’idée sinistre de convertir les aliments en carburants… est une tragédie» ! Tragédie, dont le continent noir, sans aucun doute, fournira les plus gros bataillons de victi- mes. Personne ne se nourrit aux agro-carburants ! Malheureusement, c’est à la pro- duction d’agro-carburants que semble être vouée l’Afrique et non à la production d’aliments pour nourrir ses enfants. «Reféodalisation» oblige ! Après le fléau du sida, la trans- formation de l’Afrique en pou- belles pour déchets radioactifs, on impose de force aujourd’hui à ce continent, la camisole de la famine à grande échelle ! Aimé Césaire avait mille fois raison, quand il écrivait : «On craint que l’histoire révèle que le très chrétien bourgeois du 20e siècle porte en lui Hitler, qu’Hitler l’habite, qu’Hitler est son démon, que s’il vitupère, c’est par manque de logique, et qu’au fond, ce qu’il ne pardonne pas à Hitler, ce n’est pas le crime en soi, c’est le crime contre l’homme blanc, et d’avoir appliqué à l’Europe, ces procédés colonialistes dont ne relevaient que les Arabes d’Algérie, les coolies de l’Inde, et les Nègres d’Afrique». Juste après la deuxième guerre mondiale, à peine s’être dégagé de l’horreur du nazisme, à la Libération, le 9 mai 1945, le gouvernement provisoire du géné - ral de Gaulle organise une terri - ble répression à Sétif, contre une manifestation de nationalistes algériens, confirmant le constat d’Aimé Césaire. Le mot d’ordre : «Toutes les manifestations d’indépendance doivent être sévèrement réprimées, au motif que le maintien de l ‘empire colonial français, est nécessaire pour permettre à la France de retrouver rapidement son rang de grande puissant». Un témoin rapporte à Henri Alleg : «Les légionnaires pre- naient les nourrissons et les jetaient contre les parois de pierre où leurs chairs s’éparpillaient sur les rochers». L’écrivain algérien Kateb Yacine avait 16 ans, il était à Sétif et se souvient : «On voyait des cadavres partout, dans toutes les rues… La répression était aveugle, c’était un grand massacre». Loin de favoriser l’arrivée d’une quelconque «Souveraineté alimentaire» dans les pays pauvres du Sud, l’occident, comme par le passé, méprise, dépouille, humi- lie, piétine le tiers-monde. Comme par le passé, il s’oppose de manière cynique à son déve- loppement, à son épanouisse- ment ! L’état d’esprit de l’occident vis-à-vis du tiers-monde n’a pas évolué. Les procédés sont toujours aussi abjects (1). Après l’esclavage, la colonisa - tion, le néo-colonialisme nous en sommes au stade de la «reféodalisation» des plus pauv - res, des plus faibles, des plus démunis du tiers-monde. Mais les organisations paysannes, les communautés indigènes concernées, en Afrique, en Asie, en Amérique latine, face à cette criminelle of fensive de l’occi - dent, ne baissent pas les bras ! Elles s’organisent, se mobilisent, informent, luttent pour s’opposer à la transformation de leur pays en producteurs désignés d’agro-carburants à destination de l’occident. Elles veulent obtenir la souveraineté alimentaire pour leurs peuples, pour leurs pays. Dunières Talis 1 Jean Ziégler rapporte dans son livre : «La haine de l’occident», la nature des questions qui furent débattues en 1550 au cours d’une «controverse» organisée par le Pape Jules III et Charles Quint. «Les peuples récemment découverts appartiennent-ils ou non à l’espèce humaine ? Sont-ils ou non associés au plan de rédemption du Sauveur ? Sont-ils des créatures du Dieu vivant ou une sous-espèce à peine humai - ne de l’espèce humaine ? Ont-ils une âme ? Le Christ est-il mort pour eux aussi. » Des questions, mais aussi des révélations sur les pratiques des conquérants. «Quelques fois on saisit les enfants par les pieds et on leur fracasse le crâne contre les rochers ! Ou bien on les met sur le grill, on les noie, on les jette à des chiens affamés qui les dévorent comme des porcs ! On fait des paris à qui ouvrira un ventre de femme d’un seul coup de couteau ! J’ai vu des cruautés si grandes qu’on se saurait pas les imaginer . Aucune langue, aucun récit, ne peut dire ce que j’ai vu !» Ainsi s’exprimait Bartolomé de Las Casas défenseur des indiens réduits en esclavage, au cours de cette controverse..