SOMMET DES BRICS :Des décisions très significatives

Lors de leur 6e sommet à Fortaleza au Brésil,les BRICS, soit le Brésil,la Russie,l'Inde, la Chine,et l'Afrique du Sud (l'Argentine étant invitée, bien qu'au bord du défaut de paiement) se sont mis d'accord pour le lancement de leurs institutions.Celles-ci pourraient compléter voire dans certains cas remplacer les institutions financières mises en place sous l'impulsion américaine et que les Etats-Unis se sont toujours refusés à réformer

M algré leur affichage internationale, depuis leur création, le FMI et la Banque Mondiale ont toujours systématiquement découragé les changements politiques chez les émergents, en les privant d'aides financières dès lors qu'ils paraissaient devoir s'opposer à la diplomatie américaine. Ce fut notamment le cas en Amérique Latine. Les réformes «structurelles» imposées par le FMI visent par ailleurs systématiquement à ouvrir les économies aux investissements étrangers au détriment des services publics d'origine, y compris dans le domaine éducatif. Il est clair que la Russie a fait une forte pression ces derniers mois pour institutionnaliser le rôle des BRICS, moins dans le domaine géostratégique voire militaire que dans le domaine financier. La Russie, à l'occasion de la crise ukrainienne et des «sanctions» qui lui étaient infligées par l'«Occident», a convaincu ses partenaires que les mêmes sanctions pouvaient s'abattre sur eux, si d'une façon ou d'une autre leurs politiques internes ou leur diplomatie s'orientaient dans des directions s'opposant à W ashington. A cet égard, le nouveau Premier ministre indien, Narendra Modi, considéré comme conservateur au plan économique et influencé par des groupes de pressions atlantistes, s'est en effet rendu au sommet sans hésitation. La participation de l'Inde a été une des raisons du succès du sommet. Son absence aurait donné un rôle trop important à la Chine, déjà fortement impliquée, et dont l'économie sera à terme bien plus forte que celle de la Russie. Une autre raison du succès fut la crainte des membres des BRICS de voir leur croissance s'effondrer s'ils ne faisaient rien pour s'affranchir de la crise financière mondiale plus que jamais menaçante, crise dont les clefs se trouvent principalement à W all Street et Londres. De même ils ont voulu échapper à leur dépendance à l'égard du dollar , dont les quantités en circulation sont accrues ou restreintes par des décisions unilatérales de la banque fédérale américaine, au mieux des besoins de l'économie et de la diplomatie américaine.

DES DÉCISIONS PRUDENTES MAIS SYMBOLIQUES

Les économistes occidentaux, sans nier l'importance politique des décisions prises à Fortalezza, soulignent à l'envie que leurs effets pratiques seront limités, vu les faibles ressources dont les nouvelles institutions seront dotées. Rappelons ici rapidement ce dont il s'agit, de plus amples détails se trouvant dans la grande presse:
* Création d'une banque de développement (New Development Bank), dotée d'un capital initial de 50 milliards de dollars, pouvant être augmenté à 100 milliards, fournis à parts égales par les 5 pays. Après des discussions vives, la banque sera localisée à Shanghai et sera dirigée pour le premier mandat de 5 ans par un Indien. Ce sera ensuite au tour du Brésil de prendre la direction. Rappelons sur ce plan que la Chine développe d'autres projets parallèles, notamment celui d'une Asian Infrastructure Investment Bank. Dans le même temps elle accorde des prêts qui n'ont rien de désintéressé à divers pays en Amérique Latine, en Asie et en Afrique. Ceci est cohérent avec sa place de nouvelle mégapuissance. Ses intérêts ne coïncident pas avec un groupe particulier . Ce n'est pas pour autant, peut-on penser , qu'à l'avenir elle s'opposera aux institutions du BRICS.
* Mise en place d'un fonds de réserves de change commun d'un montant de 100 milliards de dollars. La Chine sera le premier contributeur (41 milliards), suivie de la Russie, de l'Inde et du Brésil (18 milliards) et enfin de l'Afrique du Sud (5 milliards). Selon la déclaration finale du sommet, ce fonds de réserve va permettre d'éviter "les pressions à court terme sur les liquidités" mais aussi "de promouvoir une plus grande coopération" entre les pays. Les pressions visées sont celles de la Fed, annonçant par exemple depuis fin 2013 un retrait progressif des injections de liquidités dans l'économie, après l'avoir précédemment inondée de dollars. Certains pays fragiles craignent de se retrouver en effet à court de dollars. * Création d'un fonds pour financer les infrastructures. Le capital initial de ce fonds serait de 10 milliards de dollars. Il pourrait devenir opérationnel lors du prochain sommet qui se tiendra en Russie en 2015. Il est clair qu'en ce domaine, les infrastructures à financer (desquelles d'ailleurs s'agit-il?) nécessiteraient vu leur inexistence ou état de délabrement (en Inde ou en Russie par exemple) des sommes bien supérieures. Mais les budgets des Etats, sans réformes internes importantes, visant notamment à lutter contre la fraude fiscale et la corruption, ne pourraient pas les fournir. Rappelons que simultanément le nouveau président de la Commission européenne, JeanClaude Juncker, souhaite mobiliser 300 milliards d'euros pour financer des infrastructures, à partir de fonds qui selon lui «dorment», notamment à la Banque européenne d'investissements. Il est bon cependant que les BRICS fassent savoir à tous que la croissance ne se mesure pas seulement au augmentation de la consommation mais en investissements durables. Ainsi les sommes mobilisées initialement dans les futures institutions ne seront pas seulement marginales. Elles seront appelées à grandir au furet à mesure du développement économique des pays membres, ainsi que de leur implication politique. Par ailleurs, si aucune décision n'a été prise concernant la mise en place d'une éventuelle monnaie d'échange commune, par exemple sur le modèle de l'écu, ancien système monétaire européen (SME) dit du serpent, les portes restent entièrement ouvertes. Une véritable dédollarisation de la moitié du monde s'impose en effet, comme nous l'avons rappelé dans des articles précédents. Il est paradoxal en effet que les nouvelles institutions des BRICS mesurent leurs contributions en dollars plutôt qu'en une monnaie commune.

A QUAND L'EUROBRICS ?

Très symbolique par contre d'un véritable changement dans les équilibres mondiaux est le succès de la démarche elle-même. Elle montre la volonté de lancer une contre-offensive à l'égard de la domination accrue des forces financières, économiques et politiques qui sont mobilisées autour des Etats-Unis. Les Etats du BRICS, à qui ne s'applique plus désormais le qualificatif d'émergents, représentent en effet 40% de la population mondiale et un cinquième du PIB. Cette contre-offensive est d'autant plus significative qu'elle rapproche des puissances qui par ailleurs ne sont pas exemptes au plan mondial de compétition les unes à l'égard des autres. Comme la zone dollar, l'espace du BRICS couvre dorénavant l'Europe (avec la Russie), l'Eurasie, l'Asie et l'Amérique latine. D'autres participations sont d'ores et déjà envisagées, venant de pays véritablement émergents, et particulièrement fragiles à l'égard des futures crises climatiques. Leur regroupement au sein d'un BRICS élargi devrait les aidera à survivre, mieux qu'en faisant appel au FMI et à la Banque mondiale. Qu'en sera-t-il à terme du Japon? T rès proche encore des Etats-Unis et hostile à la Chine, peut-être un jour procédera-t-il à un renversement de ses alliances. Un point-sombre demeure cependant. Nous avons indiqué dans des articles précédents qu'il serait indispensable que les BRICS ne se construisent pas à l'écart voir contre les pays de la zone euro. Des domaines de coopération financières et économiques considérables pourraient s'ouvrir au bénéfice de l'ensemble des partenaires. Mais il faudra pour cela que le projet encore un peu utopique d'EuroBRICS prenne corps véritablement. Il ne fait pas de doute qu'il suscitera une opposition particulièrement violente des Etats-Unis, y compris au sein de l'Union européenne. La diplomatie du dollar et des forces spéciales ne s'exercera pas seulement en Ukraine. Nous y reviendrons. La petite histoire laisse entendre que si Dominique Strauss Kahn est tombé dans le piège que l'on sait, ce fut à la suite d'une opération des services secrets américains. Il voulait en effet ouvrir plus largement le FMI aux émergents, ce que W ashington refusait à tout prix.

Par Jean-Paul Baquiast - Mediapart.fr