Réflexions de Fidel Castro : Un prix Nobel pour Evo Moralès

L e samedi 17 octobre 2009, le président Fidel Castro fai - sait part de ses réflexions au sujet de l’attribution du Prix Nobel de la Paix à Barack Obama. Tout en félicitant l’heu- reux récipiendaire, il met en évidence le fantastique bond en avant accompli par la Bolivie en faveur des masses laborieuses et de la classe ouvrière, depuis l’arrivée à la tête de ce pays de Evo Moralès et du Mouvement au Socialisme. Ces résultats spectaculaires obtenus en si peu de temps, ont largement contribué à l’éclatante victoire remportée par Evo Moralès aux élections du 6 décembre dernier.

«Si l’on a octroyé le Prix Nobel à Obama pour avoir remporté des élections dans une société raciste bien qu’il soit Afro-américain, Evo le méritait tout autant pourles avoir gagnées dans son pays, bien qu’il soit indigène, et pour avoir en plus tenu ses promesses.

Pour la première fois dans les deux pays, des gens de ces eth - nies s’installent à la présidence. J’ai dit à plusieurs reprises qu’Obama était quelqu’un d’in - telligent, élevé dans le système social et politique auquel il croit. Il aspire à étendre les services de santé à presque cinquante millions d’Etasuniens, à sortir l’économie de la profonde crise dont elle souf fre et à redorer l’i - mage de son pays, ternie par des guerres génocidaires et par les tortures. Il ne conçoit pas qu’il faille changer le système politique et économique de son pays, il ne le souhaite pas et il ne le peut pas».

«La Bolivie compte d’importants gisements de gaz et de pétrole, et possède aussi les plus grandes réserves connues de lithium, un minerai extrêmement utile à notre époque pour stocker et utiliser l’énergie.

Evo Morales, paysan indigène très pauvre, faisait paître dans les Andes, en compagnie de son père, le troupeau de lamas de sa communauté indigène. Il n’avait même pas six ans. Tous deux conduisaient quinze jours durant jusqu’au marché où ils les vendaient pour acheter les aliments de la communauté. Quand j’ai interrogé Evo sur cette expérience singulière, il m’a raconté qu’il «descendait dans un hôtel 1000 étoiles», une belle formule pour dési- gner le ciel si dégagéde la Cordillère qu’on y installe parfois des télescopes.

Durant ces dures années de son enfance, la seule autre issue pour les paysans de la commu- nauté aymara où il est né était d’aller couper la canne à sucre dans la province argentine de Jujuy où une partie de la communauté se réfugiait parfois lors de la campagne sucrière.

Quand le Che, blessé et désar- mé, fut assassiné à La Higuera le 9 octobre 1967, Evo, qui est né le 26 de ce mois, mais en 1959, n’a- vait pas encore fêté son huitième anniversaire. Il apprit à lire et à écrire en espagnol dans une petite école publique où il se rendait à pied, à cinq kilomètres de distance de la chaumière où il vivait avec ses frères et ses parents.

Durant son enfance hasardeuse, Evo était constamment à la recherche de maîtres. Il a appris de son peuple trois principes moraux : ne pas mentir, ne pas voler, ne pas être faible.

Quand il eut treize ans, son père l’autorisa à vivre à San Pedro de Oruro pour y faire des études secondaires. L’un de ses biographes nous dit qu’il était meilleur en géographie, en histoire et en philosophie qu’en physique et en maths. Le plus important, toutefois, c’est que pour payer ses études, il se levait à deux heures du matin afin de tra- vailler comme boulanger, bâtisseur ou dans d’autres métiersexig eant des ef forts phy - siques. Il allait en classe l’a - près-midi. Ses compagnons l’admiraient et l’aidaient.Dès l’école primaire, il avait appris à jouer divers instruments à vent et il fut trompettiste d’une prestigieuse fanfare d’Oruro.

Encore adolescent, il avait organisé l’équipe de football de sa communauté, dont il était capitaine.

L’accès à l’université n’était pas à la portée d’un indigène aymara pauvre.

Une fois conclues, ses études secondaires, il fit son service mili- taire et rentra dans sa commu- nauté, sur les hauteurs de la cor- dillère. La pauvreté et les catastrophes naturelles obligèrent sa famille à émigrer vers la région sous tropicale d’El Chapare où elle obtint un petit lopin de terre. Evo avait vingt-trois ans quand son père mourut en 1983. Il travailla durement la terre, mais c’était aussi un mili- tant-né qui organisa tous les travailleurs, créa des syndicats et combla par là des vides dans des secteurs où l’Etat ne faisait rien.

Les conditions d’une révolu- tion sociale s’étaient peu à peu créées en Bolivie dans les cinquante dernières années. Elle éclata le 9 avril 1952, avant même le début de notre lutte armée à Cuba, sous la conduite du Mouvement nationaliste révolutionnaire de Víctor Paz Estenssoro : les mineurs révolutionnaires vain - quirent les forces répressives et le MNR prit le pouvoir.

Les objectifs révolutionnaires étaient loin de s’accomplir en Bolivie. Dès 1956, selon des gens bien renseignés, le processus commença à s’étioler. La Révolution triompha à Cuba le 1er janvier 1959. Trois ans plus tard, en janvier 1962, notre patrie était expulsée de l’OEA. La Bolivie s’abstint. Plus tard, tous les gouvernements, hormis le Mexique, rompirent leurs relations avec nous.

Les scissions du mouvement révolutionnaire international se firent sentir en Bolivie. Pour que les choses y changent, il allait fal - loir plus de quarante ans de blocus à Cuba, le néolibéralisme et ses conséquences désastreuses, la révolution bolivarienne au Venezuela et l’ALBA, mais surtout Evo et le Mouvement au socialisme (MAS).

Il est malaisé de résumer cette riche histoire en quelques pages.

Je me bornerai à dire qu’Evo a été capable de vaincre les terribles campagnes de calomnies orchestrées par l’impérialisme, ses coups d’Etat et ses ingérences dans les affaires intérieures du pays, de défendre la souveraineté de la Bolivie et le droit de son peuple millénaire au respect de ses coutumes. «La coca n’est pas de la cocaïne», a-t-il lâché au plus gros producteur de mari- huana et au plus gros consom- mateur de drogues au monde, dont le marché nourrit la criminalité organisée qui coûte des milliers de vies au Mexique tous les ans. Deux des pays où se trouvent les troupes yankees et leurs bases militaires sont les plus gros producteurs de drogues de la planète.

La Bolivie, le Venezuela et l’Equateur, pays révolutionnaires qui, à l’instar de Cuba, sont membres de l’ALBA, ne tombent pas dans le piège mortel du commerce de drogues : ils savent ce qu’ils peuvent faire et ce qu’ils doivent faire pour apporter la santé, l’éducation et le bien-être à leurs peuples. Ils n’ont pas besoin de troupes étrangères pour combattre le narcotrafic.

La Bolivie mène de l’avant un programme étonnant sous la direction d’un président aymara qui jouit de l’appui de son peuple.

En moins de trois ans, l’analpha- bétisme a été éliminé : 824 101 Boliviens ont appris à lire et à écrire ; 24 699 l’ont fait en aymara et 13 599 en quechua. La Bolivie est le troisième pays déli - vré de l’analphabétisme, après Cuba et le V enezuela.

Des millions de personnes reçoi- vent maintenant, pour la première fois de leur vie, des soins médiaux gratuits : la Bolivie est l’un des sept pays au monde à avoir, ces cinq dernières années, réduit la mortalité infantile, et elle pourra atteindre les Objectifs du Millénaire pour le développement avant 2015, ainsi que diminué les morts maternelles dans une propor - tion similaire ; 454 161 person - nes y ont été opérées de la vue, dont 75 974 Brésiliens, Argentins, Péruviens etParaguayens.

La Bolivie a engagé un program - me social ambitieux : tous les enfants des écoles publiques, de la première à la huitième année de classe -soit presque deux millions d’élèves- reçoivent un don annuel pour pouvoir acheter les articles scolaires.

Plus de 700 000 personnes de plus de soixante ans perçoivent un bon équivalent à 342 dollars par an.

Toutes les femmes enceintes et les enfants de moins de deux ans touchent une aide d’environ 257dollars.

La Bolivie, l’un des trois pays les plus pauvres du continent, a fait passer sous le contrôle de l’Etat ses principales ressources énergétiques et minérales, tout en respectant et en indemnisant les intérêts tou- chés. Elle avance précautionneusement pour ne pas avoir à reculer d’un pas. Ses réserves en devises ont augmenté, au point d’avoir triplé depuis ledébu t du gouvernement d’Evo. La Bolivie fait partie des pays qui utilisent le mieux la coopération étrangère et défendent fermement l’environnement.

Elle est parvenue à établir en très peu de temps le Recensement électoral biométrique, enregistrant près de 4,7 millions d’électeurs, presque un million de plus que le dernier de janvier 2009, soit 3,8 millions.

Les élections auront lieu le 6 décembre. Le peuple soutiendra assurément encore plus son président. Rien ni personne n’a pu freiner son prestige et sa popularité qui ne cessent de croître.

Pourquoi ne décerne-t-on donc pas le Prix Nobel de la paix à Evo ?

Il a un lourd handicap, je sais : il n’est pas président des Etats-Unis».