Le Mémorial ACTe : Sous l'angle du visuel et celui de la conscience

Le dimanche 10 mai 2015 sera, incontestablement, une date mémorable dans l'histoire de la Guadeloupe. Chefs d'Etats et personnalités venus de différents pays auront participé à l'inauguration de ce gigantesque monument, en mémoire de ces millions d'êtres humains arrachés à leur patrie et réduits à la condition d'esclaves, pour le profit d'autres hommes se proclama nt des êtres supérieurs, par la couleur de leur peau. Et on n'oubliera pas tous ceux qui ont pavé le fonds des océans, avant d'arriver sur les lieux du supplice pa r les fer s et les chaînes.

Ou i, les Guadeloupéens, en général, ont le culte des morts et, singuliè r ement, celui de leurs par ents et grands par ents, même si on peut amèr ement r egr etter que, d'une année à l'autr e, les cimetièr es ne connaissent plus l'af fluence d'antan à la T oussaint. Ce devoir de mémoir e commence depuis le soir de la veillée mortuaire, par l'exposition de la dépouille durant la nuit. Il se répète dans dif férentes circonstances, d'une année à l'autr e, et de génération en génération. Lessépultur es peuvent r evêtir différ entes formes : fosse, pierre tombale, tombe, caveau, en fonction des possibilités del'envir onnement familial du défunt ; un choix r espectable et indiscutable. Cependant, s'agissant du Mémorial ACTe, en mémoire des ancêtres qui ont tant souffert, la Guadeloupe, petite île réduite àenvir on 1 600 km2, depuis le départ de Saint-Martin et Saint-Barthélemy , habitée par un Peuple d'un peu plus de 400 000 âmes, était-elle en mesur e, en ce début du tr oisième millénair e, d'engloutir ces centaines de millions d'Eur os pour un monument, si beau, si gigantesque, si grandiose qu'il soit ? C'est cette interr ogation sur le visuel qui doit interpeller du même coup notr e conscience, et d'abor d celle de tous ceux qui ont cautionné cette démesur e. Pouvaient-ils oublier tous les problèmes qui gangrènent la vie des Guadeloupéens, depuis longtemps, fort longtemps et pour lesquels ils ont fait preuve de leur incapacité à résoudre, notamment : - Un Centre Hospitalier Universitaire qui risque de s'écrouler d'un moment à l'autre sur ses occupants - L'encombr ement des services d'ur gence de ce Centr e Hospitalier de Pointe-à-Pitr eAbymes ce qui accentue encor e la douleur et le désespoir de ceux qui sont obligés, d'y transiter, à l'exception sans doute des Présidents des collectivités, des députés, des Sénateurs et de tous ceux qui sont en charge, à un niveau ou à un autre, des affaires de la Guadeloupe. - L'état sanitaire sinistré de la Guadeloupe, au point que seuls des examens courants de laboratoires restent encore possible dans un délai raisonnable et que, pour beaucoup d'autres, l'attente est interminable au point que des patients sont obligés de prendre l'avion pour tenter leur chance de guérison sous d'autres cieux. - Des établissements scolaires, lycées, collèges et des écoles qui risquent de s'effondrer car n'étant pas aux normes antisismiques. - Les difficultés que rencontrent les étudiants guadeloupéens pour trouver un logement et dans des conditions de sécuritésatisfaisantes. L'eau, cette denrée indispensable à la vie, totalement absente dans certains foyers ou qui ne coule pas régulièrement des robinets. - Les difficultés insurmontables que rencontre la jeunesse pour trouver un emploi et vaincre l'inclination dans la délinquance, la drogue, la criminalité. - L'empoisonnement des terres agricoles, des rivières et des mers qui hypothèquent gravement l'avenir, pour plusieurs décennies voire des siècles - Les ordures ménagères qui attendent que des solutions soient apportées définitivement. L'état d'isolement, voire d'abandon des personnes âgées qui ne peuvent prétendre à une fin de vie dans des conditionsdécentes. La liste serait longue, très longue… On ne peut donc vraiment pas se convaincre que ces ancêtres qui sont honorés par ce Mémorial ACTe soient fiers de cette réalisation. Des organisations politiques et d'autres associations commémorent, depuis très longtemps, les victimes de l'esclavage. C'est notamment le cas du Parti Communiste Guadeloupéen depuis sa création en 1944 On ne rend pas hommage à coups de centaines de millions d'Euros. Les factures seront salées pour les contribuables, dans les pr ochaines années. Il ne faut surtout pas se justifier en déformant la pensée de feu Patrick Saint-Eloi quand il réclame «réparation à la mesure du crime commis». Bien au contraire ! Ces ancêtres seraient fiers de savoir qu'ils ont donné leur vie pour que celle de leurs descendants soit décente. Oui, hommage, commémoration, ils attendent de nous mais, à savoir raison gar dée, sans avoir l'ambition, pa r vanité ou compétition malsaine, de pér enniser son nom dans le marbr e, le granit ou l'andésite . En vérité, le plus grand et le meilleur hommage que l'on r endra à ces ancêtr es qui ont lutté pour leur dignité, pour leur liberté, contr e l'exploitation et l'op pr ession, c'est le jour que le peuple guadeloupéen pourra hisser très haut le drapeau d'Ignace, de Delgrès, de Massoto, de Solitude, de Gertrude et tous lesautr es, pour accéder au sommet qu'ils ont tant visé : celui de l'émancipation et de la souveraineté. Qu'on se le dise ! Ceux qui sont prêts, lèvent le doigt pour ce vibrant hommage…