Le XXI ème siècle commence au Venezuela

Ce qui se passe actuellement au Venezuela est d’une importance considérable et marque probablement le vrai début du XXI ème siècle et la fin de la période de transition. Retour sur la notion de siècle politique.

J acques Sapir, dans son livre «Le nouveau XXI ème siècle, du siècle américain au retour des nations», en 2008, définissait la notion de siècle politique de la façon suivante : «Ce qui détermine alors l’unité d’une période de plu- sieurs décennies, c’est une certaine combinaison de plusieurs problèmes économiques, géopolitiques et sociaux. [...] Une certaine combinai- son engendre à un moment donné une conjonction des contextes. Si les dynamiques locales peuvent conser- ver leur autonomie, le sens de leurs évolutions devient lisible à travers une combinaison qui fait système. C’est alors, et alors seulement que l’on peut parler de «siècle politique». Ainsi, le XIX ème siècle a duré de 1815 à 1895, le XX ème siècle de 1918 à 1991. Entre ces moments de stabilité paradigmatique, il y eut «un inter-siècles, marqué par l’émergence de nouveaux fac- teurs». Une période, en somme, au cours de laquelle l’ancien para- digme est rompu mais le nouveau pas encore né. D’un point de vue scientifique, on peut imaginer un inter-siècle comme un phénomène émergent, ou une transition de phase. Stuart- Kauffman, biologiste américain, a modélisé ce phénomène d’émer- gence sous la forme d’une courbe qui porte son nom, en forme de S. Cette courbe est presque plate au début, elle semble ne pas évoluer, puis subitement, elle grimpe de façon exponentielle, passe par un point d’inflexion et se stabilise asymptotiquement vers son nou- veau paradigme.
DES VESSIES POUR DES LANTERNES
Le XX ème siècle s’achevait donc en 1991 avec la chute de l’URSS. Démarrait alors un inter-siècle que d’aucuns considérèrent un peu vite comme le nouveau paradigme. La fin de l’Histoire : la victoire définitive de l’économie de marché et l’assu- jettissement social des peuples du monde par le mécanisme de la mondialisation. Tout cela, sous la bannière de l’hyperpuissance amé- ricaine qui allait imposer ce modèle économique et social au monde, par la force éventuellement. Ce modèle dura apparemment une quinzaine d’année ; apparemment car certains intellectuels avaient déjà vu les faiblesses de cette ana- lyse. En 2002, Emmanuel Todd publiait «Après l’Empire». Je ne résiste pas à citer la dernière phrase du livre : «Si elle (l’Amérique) s’obs- tine à vouloir démontrer sa toute- puissance, elle n’aboutira qu’à révé- ler au monde son impuissance». Cela dit, les Américains, convaincus eux-mêmes de leur toute puissance ad vitam æternam, se sont lancés sans états d’âmes dans leur projet de modeler le monde à leur façon : révolutions de couleurs (Géorgie en 2003, Ukraine en 2004, Kirghizis- tan en 2005...) ; guerres ouvertes contre des Etats souverains (Irak en 1991 puis 2003, Libye en 2011, Syrie en 2011, Yémen...) au pré- texte qu’ils étaient dirigés par des dictateurs qui massacraient leurs peuples, de nouveaux Hitler ; dis- cours repris par les éditorialistes bêlants et les personnalités poli- tiques pas très futées. Dans cet inter-siècle, j’ai situé le début de la montée exponentielle

d e la courbe de Stuart-Kauffman en 2008, au moment de la crise finan- cière qui a vu la chute de la banque L ehman Brothers. J’ai situé le point d’inflexion de cette courbe au 3 septembre 2013, quand deux mis- siles S-300 russes ont intercepté, en Méditerranée orientale, deux mis- s iles américains tirés contre la Syrie. Depuis, je guette les indicateurs qui annoncent le début de la phase asymptotique.
EN ROUTE VERS LE FUTUR
Vint l’incident du 12 avril 2014 concernant le destroyer américain USS Donald Cook. Ce jour-là, en Mer Noire, le Donald Cook, équipé du système de défense antiaé- rienne AEGIS sensé être le plus per- formant au monde, était survolé par deux SU-24 qui n’avaient pas été détectés. Cet incident appa- remment anodin révélait tout sim- plement la supériorité des Russes sur les Américains en matière de guerre électronique, c’est-à-dire leur supériorité militaire globale. En effet, dans mon livre «L’art de la guerre aérienne»,je démontre par un raisonnement logique que la supériorité en matière de guerre électronique est un préalable à la supériorité aérienne qui est elle- même un préalable aux opérations de surface. Cela s’est du reste confirmé tout au long de l’opération russe en Syrie. C’est en outre au cours des opéra- tions en Syrie que l’on a vu apparaî- tre progressivement l’orientation de l’asymptote : recomposition des relations internationales ; réaffirma- tion de la souveraineté des nations ; début de la fin des atermoiements turcs ; re´férence au droit internatio- nal imposé par la Russie ; dédolla- risation des échanges commer- ciaux mondiaux ; constitutions des réserves d’or dans différents pays. Tout cela évidemment malgré les tentatives systématiques et pitoyables de Etats-Unis de vouloir s’opposer à cette lame de fond à coups de menaces de sanctions économiques qui font un flop. Mais cette courbe qui part de la pla- titude, monte en exponentielle et se stabilise en asymptote, est jalonnée d’événements caracté- ristiques. Si la chute de Lehman Brothers a constitué le début de la phase exponentielle, si le 3 sep- tembre 2013 a été le point d’in- flexion de la courbe, il se pourrait bien que les événements qui se déroulent au Venezuela en ce moment marquent le début de l’asymptote et par là, le vrai com- mencement du XXI ème siècle.
CETTE FOIS CI, C’EST NON !
A près la réélection de Nicolas Maduro au Venezuela, les Etats- Unis viennent de tenter un coup d’Etat institutionnel en désignant eux-mêmes le chef d’Etat de ce p ays en lieu et place du président élu. Il semblerait d’ailleurs que le coup d’Etat institutionnel soit le nouveau mode d’action américain pour renverser un gouvernement, ainsi que le précédent historique de la destitution de Dilma Rousseff au Brésil l’a montré en 2015-2016. Mais face à cette nouvelle ingé- rence, cette fois-ci, la Russie et la Chine disent NON et apportent leur soutien militaire au président véné- zuélien, et ce, de façon préventive. Et tout ceci en plein coeur du pré carré américain tel qu’il avait été défini en 1823 par la doctrine Monroe. Le Pentagone ne s’attendait évi- demment pas à une telle réponse de la part des Russes et des Chinois, même si celle-ci est pour l’instant modeste ; on parle de 99 Russes et de 120 Chinois. L’effet de surprise s’est retourné contre lui. Cela étant, si la Russie et la Chine osent déployer des militaires au Venezuela, c’est qu’elles ont confiance dans leurs capacités à maîtriser la situation, à juguler le cycle de la violence, et à remporter la victoire si le combat s’avère inévi- table. Il faut donc regarder de plus près la nature de ces déploiements. L’aide militaire russe et chinoise au Venezuela comporterait, d’après certains médias russes et iraniens, les éléments suivants : • déploiement de systèmes S-300 autour des sites importants, dont les aéroports, afin de contrer d’éventuels raids aériens ; • possible montée en puissance d’une base aérienne russe au Venezuela, en vertu des accords bilatéraux entre les deux pays; • formation accélérée de pilotes vénézuéliens sur les hélicoptères Mi-17V-5, Mi-35 et Mi-26T, dans le cadre d’une lutte anti-guérilla, face à des infiltrations probables de mili- ciens en provenance de Colombie ; • déploiement possible d’un radar expérimental russe ; • déploiement de 120 militaires chi- nois sur l’île de Margarita, officielle- ment pour distribuer de l’aide humanitaire, mais parmi lesquels des spécialiste de la cyberguerre. On notera que dans cette liste, il est question de cyberguerre ainsi que d’un possible nouveau radar russe expérimental.
D ES RUPTURES TECHNOLOGIQUES
R appelons ce qui est peut-être passé inaperçu dans nos médias adorés. Le 16 août 2016, la Chine a l ancé sur orbite le premier satellite expérimental quantique. Il prélude l’avènement des communications inviolables à l’horizon 2020-2030. Plus récemment, la Chine et la Russie ont annoncé toutes deux qu’elles avaient développé un radar quantique opérationnel. Si l’on ajoute les déclarations de Vladimir Poutine le 1er mars 2018 à propos des nouveaux armements hyperso- niques russes, il semblerait que la Russie et la Chine aient franchi des seuils technologiques importants et aient acquis, en matière de techno- logie militaire, une avance certaine sur les pays occidentaux. Cela expli- querait le calme et la maîtrise avec lesquels ils s’engagent aux côtés de Nicolas Maduro au nom du droit international. Pendant que les capitalistes occi- dentaux, obnubilés par les gains à court terme, détruisaient les classes moyennes de leurs pays, pendant qu’ils privatisaient à tour de bras les services publics et en particulier ceux de l’éducation et de la recherche, pendant qu’ils transfor- maient les écoles et universités prestigieuses en machines de repro- duction sociale consanguine, pen- dant de temps-là, de l’autre côté du monde, les gouvernements stra- tèges, investissaient dans l’éduca- tion, la formation et la recherche, sous l’impulsion d’un Etat qui fixe les priorités et alloue les ressources.
FIN DE TRANSITION DE PHASE
Le positionnement sino-russe dans l’affaire vénézuélienne marque à l’évidence que les rapports de force géopolitiques ont été bouleversés ces dernières années. Reste à savoir quell@our traiter cette question : John Bolton, Mike Pompéo et Elliott Abrams. La raison viendra-t-elle du Penta- gone ou après les premiers accro- chages ? Ou bien les rodomontades des fous-furieux se dégonfleront- elles comme un ballon de bau- druche ? Une chose est sûre : cette affaire vénézuélienne jalonne bel et bien la transition de phase qui s’achève et qui ouvre la voie au nou- veau paradigme des relations inter- nationales du XXI ème siècle. C’est également une bonne nou- velle pour la lutte des Gilets Jaunes. Vous pensez peut-être qu’il n’y a pas de rapport ? Pas si sûr...