Le Rojava : Un projet de société démocratique au sein du Moyen-Orient

La région du Moyen-Orient est riche en situations paradoxales qui défient toutes les analyses simplistes de l’extérieur. L’existence du Rojava est sans doute l’uned’elle. Cette région de la Syrie qui a décidé son autonomie sous le nom de Fédération Démocratique de Syrie du Nord ou Rojava en langue kurde se trouve englo- ber dans certaines des villes de la Syrie comme Raqqa qui étaient il y a peu sous le joug de l’État islamique. On ne peut pas imaginer plus grand écart sur tous les plans.

Le Rojava est une expé- rience qui tranche avec toutes les formes de libé- ration nationale récente à travers des références qui peuvent surpren- dre comme celle de la Commune de Paris ou encore cette brigade Henri Krasucki de volontaires français combattants Daesh au côté des forces kurdes du YPG (branche armée du parti kurde syrien). En effet cette province autonome tente de se construire dans un contexte régional de guerre. Cette portion du territoire syrien est devenue autonome à partir de novembre 2013, a proclamé une constitution en janvier 2014 et le 17 mars 2016 se constitue comme Fédération Démocratique de Syrie du Nord. Située dans la partie nord- est de la Syrie elle est frontalière de la Turquie et l’Irak. D’une superficie d’environ 50 000 km2 le Rojava a une population d’à peu près 5 mil- lions d’habitants. Ces données sont à prendre avec prudence car en tant qu’entité très récente et située dans une zone de guerre le Rojava ne dispose pas encore de données stables. A titre d’exemple une partie de ce territoire a été envahie par la Turquie au début de 2018 et la ville d’Afrin a été le théâtre d’une vio- lente attaque faisant sans doute plus de mille morts et provoquant l’exode de 200 000 habitants de la ville et de la région. Le Rojava est une expérience origi- nale qui comporte de nombreux aspects progressistes. L’égalité homme/femme est affirmée dès le préambule de sa Constitution. Dans les faits le territoire possède deux co-présidents un homme et une femme, et cette parité est la règle à tous les niveaux. L’organisation de cette collectivité repose sur les communes qui constituent dans tous les domaines, juridique, écono- miques etc., la cellule de décision souveraine. Autre élément impor- tant à signaler le Rojava est conçu d’emblée comme une entité pluri- ethnique et pluri-culturelle. Les langues officielles sont donc le kurde, l’arabe et le syriaque (appelé aussi l’araméen). Dans la pratique les assemblées sont multiculturelles comme le sont aussi les cours des premières années à l’école. Enfin en tant qu’entité le Rojava n’a pas le projet d’évoluer vers l’indépen- dance mais d’être intégré à une autre organisation de l’état syrien qui deviendrait fédérale. À l’extérieur l’expérience du Rojava soulève de nombreux espoirs mais elle a aussi ses détracteurs. Certains y voient une forme nouvelle de lutte de libération fondamentalement révolutionnaire car anticapitaliste, démocratique et égalitaire. D’autres y dénoncent une mainmise kurde voilée sur un territoire qui com- prend des Kurdes mais aussi des Arabes, des Yézidies, des Assyriens, des Turkmènes, des Arméniens, des Tchétchènes. Mais les accusa- tions de nettoyage ethnique avan- cées par l’organisation Human Right Watch en 2014 puis par Amnesty International en 2015 ont été contredites par une mission du Conseil des droits de l’homme de l’ONU en 2017. Il faut cependant éviter toute forme d’idéalisation car malgré les avan- cées indéniables la situation des femmes, par exemple, ne se résume pas à ce que nous montre la média- tisation de l’héroïsme des combat- tantes kurdes. En effet de nom- breux témoignages de femmes kurdes responsables indiquent que la situation des femmes dans cette région où sévissent encore les crimes d’honneur, les mutilations sexuelles des filles et les mariages forcés, est encore loin d’être conforme aux aspirations de cette Constitution qui affirme garantir l’égalité sans discrimination entre les femmes et les hommes dans tous les domaines de la vie. Il n’en reste pas moins que la construction sur un territoire repris à l’état islamique d’une entité comme le Rojava est un pied de nez de l’histoire, et notre solidarité est entière pour la lutte du peuple kurde dans cette forme originale de libération humaine.