Haiti : La situation s’aggrave

Haïti ne fait plus la une des jour- naux mais cela ne signifie pas que la situation s’améliore, bien au contraire. Le pays est dans l’impasse. La Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif (CSCCA) vient de remettre, le 31 mai, le rapport complémentaire sur l’usage des fonds Petrocaribe entre 2008 et 2016. Épais rapport de 600 pages qui pointe de façon claire la corruption avérée des nom- breux acteurs économiques et politiques ainsi que les très nom- breuses failles des institutions de contrôle de République haï- tienne (dont la Cour des comptes elle-même).

Ce rapport couvre l’exer- cice de trois présidents : René Préval (2006- 2011), Michel Marthély (2011- 2016) et Jocelerme Privert (2016- 2017). L’actuel président, Jovenel Moïse, n’est pas épargné mais c’est en tant que dirigeant d’entreprise qu’il est cité. À titre d’exemple, la CSCCA a découvert que pour la réhabilitation routière des environs de la commune du Borgne il y a eu«octroi de contrats à deux firmes pour exécuter les mêmes travaux sur le même tronçon de route. De plus, les deux entreprises ont le même numéro d’immatriculation fiscale, le même numéro d’agrément et le même numéro de patente». De plus, la société prévue pour les travaux a reçue une avance avant la signature du contrat et à utilisé ces fonds pour d’autres opérations. Cette société est Agritrans, dirigée à l’époque par Jovenel Moïse, et était spécialisé dans la banane ! Toutes les informations publiées sont accablantes. La corruption qu’elles traduisent inflige à Haïti une double peine. Non seulement l’ar- gent de Petrocaribe a été dilapidé et devra être remboursé mais les projets dont l’argent a été détourné devront quand même être financés. Au total l’État paiera deux fois. A la suite de cette publication la rue s’est enflammée une fois encore le 9 juin. On a relevé deux morts et cinq blessés, à Port-au-Prince. La vio- lence de la police est la seule réponse du pouvoir qui par ailleurs dénonce le rapport de la CSCCA comme un «montage politique»et une «machination»selon les mots de Guichard Baré conseiller poli- tique du président. En réalité ce der- nier ne maitrise plus les évène- ments. Le pays est sans gouverne- ment depuis trois mois, car le Parlement a bloqué l’investiture du nouveau cabinet. La situation éco- nomique se dégrade un peu plus avec l’inflation qui repart à la hausse (1,4% par mois), la croissance dégringole (sans doute autour de 0,5% pour 2019, contre des prévi- sions à 2,8%). La gourde continue de baisser. La survie des plus modestes est encore plus problé- matique si cela est possible. Pour couronner le tout, le ballon d’oxy- gène des bailleurs étrangers (en particulier le FMI, dont l’arrivée n’est en tout état de cause jamais une bonne chose pour un pays) est bloqué faute d’interlocuteurs. La situation est dans une impasse et la violence augmente dans les défi- lés. Dans ces conditions on ne peut qu’être frappé de la discrétion de la communauté internationale.

L’opinion publique doit être alertée et doit peser pour qu’Haïti puisse sortir par le haut d’une crise qui met en lumière de façon crue deux des plaies de son histoire récente, la cor- ruption et l’impunité. Dans ces conditions on ne peut que saluer la lettre ouverte des écrivaines et écri- vains haïtiens publiée le 13 juin dans le Nouvelliste (signé par les princi- paux noms de la littérature haïtienne d’aujourd’hui, comme Franketienne, Lyonnel Trouillot, James Noël, Kettly Mars, Yannick Lahens, Gary Victor ou Anthony Phelps). Ils appellent à un procès exemplaire de l’affaire Petrocaribe qu’ils voient comme un moyen de tourner une page d’histoire en interrogeant les Haïtiens sur le rapport qu’ils ont avec la chose publique. Le mot qui doit guider les Haïtiens disent-ils est le mot «ensemble». Restaurer les relations entre générations, entre quartiers, comme objectif collectif permettant aux Haïtiens de se réapproprier leur pays. Ont notera toutefois que ce texte est muet sur les racines économiques de la situation, et en particulier sur le rôle du patronat haïtien. Quelle que soit l’évolution de la situation nous devront être vigilants et veiller à ce que Haïti ne passe pas une fois encore pour perte et profit dans une actualité internationale de plus en plus chargée. Le silence par omission dans le cas d’Haïti serait une forme de trahison.