Le Mémorial ACTe : Une occasion ratée de faire peuple

C' est le 27 mai 1958, que Rosan Girard, député du Parti Communiste Guadeloupéen, a déposé à l'Assemblée nationale française la proposition de résolution n° 7 206 «tendant à inviter le gouvernement français à commémorer officiellement aux Antilles et à la Guyane le 156e anniversaire de la mort héroïque du Colonel Louis Delgrès et de ses compagnons, survenue le 28 mai 1802, au terme d'une lutte glorieuse contre les troupes du Général Richepance, chargées par Bonaparte de rétablir l'esclavage à la Guadeloupe et à attribuer le nom de Fort Louis Delgrès au Fort Richepance».

Ainsi, depuis des décennies, le Parti Communiste Guadeloupéen rend hommage tous les 28 mai, aux hér oïnes et hér os de la Guadeloupe, victimes de la barbarie du colonialisme français, bien avant que le pouvoir français n'aitentr epris, sous la pr ession, de commémorer l'abolition de l'esclavage.

Ce rappel a pour objet de mettre en évidence que pour nous, communistes, le 28 mai 1802, épilogue funeste, de la résistance héroïque des martyrs de la liberté face à l'armée coloniale française, constitue l'acte de naissance du peuple guadeloupéen.

En 1998, année du cent cinquantenaire de l'abolition de l'Esclavage, le Comité International des Peuples Noirs (CIPN) a porté l'initiative de la création d'un «Mémorial Caribéen de la T raite et de l'Esclavage», projet qui est devenu celui de la collectivité Régionale, sous l'appellation de «Mémorial ACTe».

Tout en approuvant le bien-fondé de cette démar che d'appr opriation de notr e histoir e, nous émettons ici, en guise de contribution constructive, les réserves quant au contenu et d'autr e part au gigantisme de cette réalisation, eu égard aux urgences économiques et sociales auxquels les Guadeloupéens doivent faire face.

Le «Mémorial ACTe» ne doit pas être seulement un lieu de mémoir e, mais un outil de connaissance et de compréhension de notre histoire et de notre présent, un pont sur notre avenir.

L'histoire de la Guadeloupe, c'est celle du massacre des Caraïbes, des luttes et de la résistance des hommes et des femmes déportés d'Afrique et réduits en esclavage, de la lutte pour la citoyenneté des engagés venus de différents comptoirs de l'Inde et dont les conditions de vie s'apparentaient à celles de la période esclavagiste. C'est l'histoire de la barbarie, des crimes, des violences de l'Etat colonial. L'histoir e de la Guadeloupe, c'est celle de ces migrations d'hommes et de femmes venus d'Afrique, d'Inde, de France, du Moyen-Orient, et qui ont donné naissance à un peuple et à une nation guadeloupéenne en construction.

L'histoir e et le présent de la Guadeloupe, c'est la colonisation qui est à l'origine de la traite négrièr e et de l'esclavage dont les pays occidentaux ont tiré leur puissance et leur développement économique par le travail gratuit de milliers d'hommes et de femmes, réduits en esclavage pendant plus de deux siècles.

C'est la colonisation qui a dessiné les rapports de domination politiques, économiques et sociaux qui organisent et structurent la société guadeloupéenne actuelle, en r epr oduisant et en perpétuant les injustices et les inégalités sociales ainsi que les rapports de classe hérités du mode de production esclavagiste.

Faute de porter l'ambition d'émancipation en rassemblant et en réunissant tout le peuple guadeloupéen pour projeter un avenir commun de rupture avec la colonisation, le Mémorial ACT e est un coup politique dont le coût financier est démesuré, eu égard aux urgences économiques et sociales, aux besoins et capacités de la Guadeloupe.

Expr ession du choix et de la démar che politique de ceux qui dirigent les institutions de la Guadeloupe depuis plus de 10 ans, le Mémorial ACTe est une occasion ratée de fair e peuple.