AFRÈS : AF RIKENYO R ÉDUIAN ES KLAVAJL’indépendance de la pensée (suite et fin)

Hélène Migerel : «Ma gratitude va en direction du CIPN (Comité international des peuples noirs), qui m’a demandé de porter réflexion sur un sujet inhérent à l’esclavage»

A l’analyse, le concept remplit des fonctions multiples. D’abord à titre informatif : • Il valide la détermination de se regarder en face, en pleine conscience d’une apparte- nance à une ethnie fût-elle mêlée aux envi- ronnements de l’époque (rencontres vio- lentes ou séductrices des corps), sans en occulter les apports. Se nommer reste un choix volontaire. Il oblitère l’hésitation. • Il autorise à faire l’inventaire des responsa- bles de l’esclavage en pointant l’allégeance des gouvernements. • Il alerte les populations n’ayant pas subi cet esclavage, sur l’historique de l’évènement (les indiens, les «nègres bossales» arrivés après) dont le côtoiement des corps a construit une représentation particulière avec des effets délétères. • Il devrait servir à modifier la connais- sance des enfants de colons, pour ceux qui savent, et instruire ceux qui ne savent pas dans une perspective de révision des représentations. Cet alinéa est aussi vala- ble pour les français de l’hexagone. Esclave ou réduit en esclavage, sont deux postures, deux attitudes envers ce qui s’impose au savoir. Le dernier s’enfonce dans l’objectivité qui fait remonter aux pensées et aux intentions qui la visent, même si elle offusque. Le rappel de ces intentions oubliées est nécessaire à la vérité. Le sens de cette objectivité ne répond pas seulement à la question qu’est-ce ? Mais à la question comment est ce qui est, que signifie qu’il est ? Chacun perçoit qu’il y a une différence irréductible entre le parcours de sa vie et ce qui en sera consigné ensuite dans la succession chronologique des évène- ments de l’histoire et du monde.

Deuxièmement au niveau de la psyché : • Il participe à ce projet de réhabilitation de l’estime de soi. Perception nouvelle, à valeur mobilisatrice majeure. L’estime de soi module de façon significative le comporte- ment. Diminution du doute, affirmation du mode de pensée, émergence des possibili- tés. Le possible d’une réhabilitation permet le contrôle de soi qui joue un rôle dans les relations sociales. Par ricochet cette assu- rance à une incidence sur autrui qui réagit favorablement telle l’émotion exprimée par un individu influence un autre individu. Réhabilitation individuelle, réparation intime dans une concordance au collectif. • Ensuite la déconstruction d’une appella- tion imposée par le système de domination devient caduque, il est en faillite. La dégrin- golade du pouvoir correspond à la démons- tration d’un rapport de force inversé, cou- ronnement d’une mise à égalité dans une lutte symbolique sans volonté d’un com- portement mimétique mais seulement dans le besoin de rétablir un équilibre par l’effacement de cette croyance de supé- riorité ou d’infériorité, longtemps admise et même intégré dans les dispositifs sociaux et culturels, relayée de génération en génération. Par exemple l’approche ethno psychiatrique déclare prendre en charge les afro descen- dants. Serait-il probable qu’être AFRES relève de la psychopathologie ? Serait-ce son existence qui nécessiterait des soins ? Jusqu’à preuve du contraire ce sont des troubles que l’on soigne et non l’apparte- nance. Les erreurs d’objet perdurent comme celui qui a longtemps existé : la pathologisation de l’exil. Un métropolitain peut-il soigner un métropolitain par une approche ethno psychiatrique ? Personne de la même culture, cela tomberait sous le sens mais pas pour un afro descendant eth- nopsychiatre qui l’affirme. Son semblable culturel est un étranger. On se rend compte de l’impact que la discri- mination peut avoir au sein de notre société. Desservi par nous-mêmes. La déconstruction des pratiques du modèle dominant procède à un refus de la stigmati- sation, une mise à distance d’une organisa- tion psychique devenue encombrante avec l’évidence du concept AFRES. Cette nou- velle connotation reprise, répétée, changera à plus ou moins long terme, les représenta- tions péjoratives de l’ancienne. Déconstruire et reconstruire, c’est toujours projeter, greffer l’inédit sur un itinéraire déjà constitué, d’où la nécessité de reconnaître cet itinéraire. Cette déconstruction est nécessaire à l’appropriation d’un passé qui a été négligé, figé dans une mémoire inerte. Pour redonner vie à cette mémoire, le recours à l’expérience de personnes confrontées au passage de l’état humain à meuble, riche en significations non déce- lées, peut aider à des réalisations que jalon- nent des lignes de force autour desquelles on pourra de façon opportune faire de nou- veau projets. Ce projet n’est pas pure conti- nuité dans le prolongement du passé, il entend au contraire toujours établir une rupture avec lui par une anticipation qui cherche à reprendre et à réorienter le cours des choses. La capacité à mettre à distance la stimulation momentanée pour envisager un futur possible, caractérise l’avenir. L’avenir est d’envisager que les AFRES se reconnaissent comme ayant un dénomina- teur commun, une histoire qui les cimente dans une grande famille avec comme réfé- rent l’ancêtre même s’ils sont éparpillés dans lemonde. Se réapproprier son his- toire par un engagement décisionnel à travers la démarche d’un rassemblement. Le Libéria avait été crée en Afrique dans cet ordre d’idée, d’offrir à ce qui le voulait un espace communautaire (Marcus Gravey), en créant un peuple à l’abri des complications dans la proximité de vie avec les héritiers du klu klux klan. Ce projet har- monie n’a pas semblé suffisamment allé- chant aux afros américains. Battre en brèche l’arrogance des occiden- taux qui vont jusqu’à donner des conseils lors de leurs visites en Afrique, faisant des suggestions, en superviseurs aguerris. Récemment le sujet de la contraception et de la régulation des naissances montre combien l’idée de supériorité persiste dans l’imaginaire occidental. Quel chef d’Etat afri- cain viendrait parler à l’Elysée de la dénata- lité de la France et du risque encouru pour le renouvellement des populations. Cette même arrogance de l’affirmation de non repentance au jardin des Tuileries, n’aura plus les effets escomptés quand il s’agira d’inventorier les dommages. La question de la réparation se trouvera surement relancée sur une autre base, celle d’un rappel de la barbarie envers des personnes qui étaient libres, capturées dans un double mouvement de prise d’otage et d’enlèvement. Après deux siècles, évaluer les consé- quences du psycho trauma et de sa retrans- mission est une entreprise colossale. Le dédommagement devrait aussi se faire en termes de pertes des forces vives pour l’Afrique. L’indemni-sation des colons après l’abolition de l’esclavage demeure un scan- dale entaché d’une grande injustice. La jus- tice n’a de sens que si elle conserve l’idée du désintéressement qui anime l’idée de la res- ponsabilité pour l’autre homme mais fau- drait-il encore qu’il puisse l’accepter. AFRES est un début de réparation par nous-mêmes et pour nous-mêmes. AFRES démontre largement l’indépen- dance de la pensée.