TRIBUNE LIBRE Il est temps de prendre en main notre destin
«J"entends chanter la sève au coeur du flamboyant.». Cette phrase extraite d"un des poèmes d"Albert Béville renvoie au par- cours de ces Guadeloupéens illustres qui n"ont pas vécu inu- tiles et sont entrés par le fait même dans l"histoire.
C ela étant, je ne peux m"em- pêcher de lever le voile sur le congrès des élus dépar- tementaux et régionaux qui s"est tenu les 26 et 27 juin dernier, reflet de l"irréalismede la classe politique, le quinzième du genre. Bien qu"il ait été organisé dans le cadre de la réforme constitution- nelle portant sur la différenciation des régions. Encore un nouvel habillement de la part du pouvoir qui pare la départementalisation d"un nouveau vêtement. Au fait, dans le subconscient du Guadeloupéen meurtri par quatre siècles d"oppression ne prédomi- nera point l"idée d"une action de l"Etat pouvant assouplir sa main- mise sur les peuples d"outre-mer. Mais, il se pourrait que dans un sur- saut de lucidité, n’eût été l"indéci- sion fait marquant de l"immobilisme de nos élus, le courage politique aidant, les choses selon toute vrai- semblance eussent été autrement. Comment en effet ne pas fustiger à juste titre l"attitude d"une classe politique qui baigne relativement dans l"intellectualisme à l’ère du numérique, mais incapable par ail- leurs de s"affranchir d"une servilité qui n"ose pas dire son nom, apanage de notre passé historique ? A pro- pos du congrès, c"est un coup d’épée dans l"eau. Rien de bien nouveau. Deux inter- ventions différant radicalement de celles du commun des assimilation- nistes : celle du CIPPA préconisant un statut de type PTOM comme à Saint-Barth, et celle de notre Secrétaire général Félix Flémin sou- lignant la nécessité impérative de notre érection en un territoire auto- nome incluant le principe d"une souveraineté ; puisque dès sa créa- tion en 1958 cette revendication fut son principal mot d"ordre. A part cela Pierre-Yves Chicot a soulevé l"enthousiasme de l"auditoire à la faveur de son discours juridico-cul- turel. Ces dites interventions empreintes de franchise et de la plus rigoureuse objectivité ont eu entre autre mérite de conférer une tonalité différente à ce congrès. Ce qui retient notre attention c"est que les assimilationnistes de droite ou de gauche indifféremment ont été unanimes à abonder dans le sens d"une évolution institutionnelle sans incidence fondamentale sur le présent statut. Leurs exposés -du moins ceux qu"il m"a été loisible d"entendre- ont eu lieu en termes évasifs pour la plupart, en évacuant systématiquement, en prenant grand soin de ne prononcer le mot d"évolution statutaire, ce, comme si ils marcheraient sur des charbons ardents. Aucun d"autre eux, n"a eu le courage d"exposer les probléma- tiques concernant l"existence du peuple guadeloupéen et son droit à l"auto-détermination. Revendication qui ne tombe pas bien entendu dans le champ de la continuité et qui les dérange ! Et de fait on se rend parfaitement compte que les mobiles qui les ani- maient -sécurité matérielle oblige- étaient en réalité sans commune mesure avec les inters réels du pays, avec les intérêts du peuple travail- leur ; ceci sans considération d"une vision prospective, s"agissant de notre devenir quant à une dispari- tion éventuelle de notre peuple. Et ici je m"interroge. Il est indéniable qu"au plan strict de l"éducation nous avons fait des progrès significatifs. L"augmen- tation quantitative des diplômes le prouve amplement. Mais l"on est contraint en dépit de cette progression spectaculaire de conclure au paradoxe de l’instruc- tion. Et pour cause. L"Etat colonial n"est pas dupe. La France s"at- tache en effet à fabriquer outre- mer des diplômés pour les besoins de sa politique, dans le but évident de, se pourvoir a pos- teriori dans nos pays, d"alliés, de défenseurs du régime, de compa- triotes pouvant se prévaloir d"un statut social enviable. Dans ces conditions le système colonial ne saurait avoir de fin ; puisqu"il est cautionné, encouragé, fortifié par ceux là-mêmes qui devraient normalement le dénon- cer : les néo-colonisés qui ne croient plus être colonisés ! Le phénomène revêt une acuité particulière chez les élus. Ce que nous déplorons c"est une soumission aveugle de nos responsables politiques au pouvoir central. Leur inféodation tous confondus au gouvernement appa- rait comme une fatalité. Innovation du siècle ! Il y a chez eux comme une inclination consensuelle à refu- ser de mettre l"homme guadelou- péen vertical. Et c"est la même ten- dance que l"on retrouve en général en dehors des politiciens au sein de l"intelligentsia guadeloupéenne, cette satisfaction gratuite que crée chez nous le maintien de la tutelle. Là où éclate la mauvaise foi évi- dente de ceux qui ont pris le parti de faire de la chose publique un moyen de vivre, c"est qu"il sont conscients que les contradictions ethno-histo- riques qui consacrent la différence entre la Guadeloupe et la France sont irréductibles : ce qui est bon pour le peuple français ne l"est pas forcément pour le peuple guade- loupéen ; ceci, sans pour autant remettre en cause notre attache- ment a la France. Mais, ils persistent à enfoncer davantage notre peuple dans l"illusion, et eux-mêmes dans l"aberration en faisant du droit com- munautaire européen la justifica- tion de leur positionnement.
Il est un autre aspect de la situation actuelle qui suscite interrogation. Il s"agit d"un phénomène de civilisa- tion qui nous honore, mais qui n"a a ucun impact à notre sens sur le développement de la conscience n ationale ; ainsi que l"atteste la conjoncture socio-politique actuel- l e : la promotion de la langue créole dont ce n"est plus un lieu commun d"invoquer la légitimité et la réhabi- litation du gwo-ka qui s"effectuent au bénéfice du colonisateur ne nous permettent pas d’être affranchis malgré tout des entraves de la dépendance, quelque fierté que nous puissions e n tirer ; parce que enfermés dans un dilemme : guadeloupéen, fran- ç ais, européen (pli nou palé kréyòl é chanté gwo-ka, pli nou ka vin é wopéyen). En réalité nous évo- luions dans un cercle vicieux. Nous nous débattons dans un labyrinthe dont on a peine à entrevoir l"issue. Il est temps de prendre en main notre destin. Ne nous voilons pas la face. Notre salut ne dépendra ni des élus qui se complaisent dans la continuité, encore moins de l"Etat colonial, mais de la société civile, de nous- m êmes. C"est le peuple guadelou- péen lui-même lorsqu"il s"aperce- v ra de s’être trompé, qu"il a été le jouet, l"instrument des ambitieux, e t surtout notre jeunesse pourvu qu"elle puisse se prévaloir d"un encadrement idéologique de la part des aînés, qui pourront inflé- chir le mode de gouvernance actuel, et se débarrasser d"une Guadeloupe défigurée, dont la mondialisation capitaliste et le néo-colonialisme sont la cause essentielle du marasme, du mal- être qui ronge notre société.