Chlordécone : Un crime d’Etat !

L’audition de ces minis- tres, poussés dans leur dernier retranchement, et informés des vérités déjà enregistrées, a per- mis de briser l’omerta ins- tauré au plus haut niveau des institutions de l’Etat depuis des années.

A près plusieurs mois de travail, la Commission d’enquête parle- m entaire sur le chlordécone, présidée par le député martiniquais, Serge Letchimy, a terminé ses investi- gations par l’audition des ministres : Agnès Buzyn, Frédérique Vidal, Annick G irardin et Didier Guillaume. Au cours des différentes auditions de personnalités politiques, de techni- ciens, des administrations et des associations qui ont précédé celles de ces hauts dirigeants de l’Etat, les langues se sont déliées, des témoi- gnages accablants ont été entendus, des accusations ont été formulées. Mais, l’audition de ces ministres, pous- sés dans leur dernier retranchement, et informés des vérités déjà enregistrées, a permis de briser l’omerta instauré au plus haut niveau des institutions de l’Etat depuis des années. La vérité est sortie de la bouche de la ministre des Outre-Mer, Annick Girardin qui a déclaré : «la respon- sabilité de l’Etat est certaine, recon- nue et engagée». C’est pan, sur le bec du Président Emmanuel Macron ! Qui, lors de sa rencontre, avec les élus des dernières colonies de la France, en pleine crise des gilets jaunes, marqué du sceau de l’arrogance, de paternalisme et de dénigrement, a tenté de minimiser l’agression du chlordécone et de diluer les responsabilités. La vérité sur le choix délibéré de l’Etat français d’empoisonner les populations de la Martinique et de la Guadeloupe pour servir les intérêts du lobby des bananes s’étale au grand jour et le désigne comme l’auteur du crime. Il est établi, et la France le savait, que le chlordécone est un pesticide organo- chloré dont la dangerosité est connue depuis 1960. Interdit de production en 1976 aux USA, classé comme cancéri- gène probable en 1979 par l’Organi- sation mondiale de la santé (l’OMS), il est interdit seulement en 1990 en France. Mais, par des dérogations ministérielles successives, il est dis- tribué et utilisé dans les banane- raies, en Martinique et en Gua- deloupe, jusqu’en 1993. Là, on est bien obligé de croire que, pour la bourgeoisie capitaliste qui détient le pouvoir en France, la vie d’un homme «sous les cocotiers» n’a pas la même valeur que celle d’un autre vivant dans le pays du froid. Voilà pourquoi, nous sommes autorisés à dire : qu’au-delà d’un crime d’Etat, nous avons affaire à un crime colonial. Il reste à espérer que le rapport qui sera produit par la commission d’en- quête sera à la hauteur des attentes des victimes de ce crime. Les militants et associations qui n ’ont jamais renoncé à la lutte pour faire éclater la vérité ont remporté une première victoire. Ils ne vont pas s’arrêter là. Une commission justice et vérité (CJV), initiée par les associations, Vivre, le CRAN, et Lyannaj pou dépo- lyé Matinik, a lancé une action de mobilisation pour obtenir l’indemni- sation du préjudice d’anxiété.

Cette CJV aura une triple mission : - Rechercher et retracer tous les élé- ments permettant d’écrire l’histoire du chlordécone. Cela suppose que la loi Secret des affaires soit cantonnée dans le cadre des scandales sanitaires. De plus, il conviendra de mettre à la disposition de tous (du citoyen au chercheur) l’intégralité des docu- ments récupérés. Cela n’a rien d’ex- ceptionnel, les USA l’ont fait, dès les années 2000, en mettant en ligne 80 millions de pages de documents internes des fabricants de cigarettes (ProCtor, Golden Holocaust, Fayard, 2014). Ce travail de collecte des informations permettra de faire cesser le négationnisme de certains («Je ne savais pas») et d’identifier tous les responsables. - Mise en place d’un fonds d’indemnisa- tion. Comme pour les dossiers amiante, PIP ou essais nucléaires dans le Pacifique, il conviendra de prévoir une mécanique d’indemnisation équitable et rapide pour permettre à toutes les victimes du chlordécone de se manifes- ter et d’être indemnisées, quelle que soit la nature du préjudice moral, corpo- rel, économique. Ce fonds pourra être abondé par l’État, à charge pour lui de se retourner, le moment venu, contre les co-responsables (fabricants, impor- tateurs, distributeurs et utilisateurs négligents). Cette technique permet une prise en charge immédiate des vic- times et laisse aux différents responsa- bles le soin de se répartir la charge de l’indemnisation. - Élaboration d’un projet économique et écologique pensé en concertation à tous les niveaux mais géré locale- ment, permettant de faire face, à l’avenir, tant en ce qui concerne la qualité de l’eau que notre souverai- neté alimentaire. En réorientant les fonds alloués aujourd’hui à la banane, c’est tout le secteur agricole qui peut être modernisé et orienté vers la pro- duction locale de produits «bio». Il faut retrouver la force qui est en nous et être fier des produits qui peuvent assurer une plus grande biodiversité.