«AFRÈS» Point de vue sur ce nouveau vocable

Il a fallu attendre 2001 pour que la loi du 21 mai tende à la reconnaissance de la traite et de l"esclavage en tant que crime contre l"humanité. Que d’ensei- gnement, que de recherches, que d’écrits, que de manifesta- tions culturelles, que de mouve- ments sociaux, pour faire abou- tir ces légitimes revendications !

C’ est une réalité. Il a fallu attendre des décennies pour que les descendants d’hommes et de femmes venus d’Afrique, victimes de la traite négrière, soient en mesure de découvrir petit à petit le voile sur la réalité de leur origine. Et quelle monstruosité de leur avoir enseigné dans les écoles coloniales, quand ils en ont eu «droit», et jusqu’à il y a moins de 80 ans, que leurs ancêtres étaient des Gaulois, par une politique assimilationniste ! Ils découvraient progressivement et avec de plus en plus de préci- sions, que leurs ancêtres avaient été des esclaves. Quel que soit le niveau de l’information qu’ils avaient, à un moment donné, sur cette réalité, ils ne pouvaient penser que les ancê- tres en question, plus ou moins loin- tains d’ailleurs, étaient des phéno- types particuliers, avec des mar- queurs naturels et désignés par le vocable esclaves. Ils réalisaient, par les messages qu’ils recevaient dés- ormais, même timidement, dans la vie, à l’école ou ailleurs, que ces dits ancêtres étaient bien des hommes et des femmes, comme tous les autres de la planète mais, à qui on avait imposé la condition de l’escla- vage et qui étaient appelés, par un raccourci du langage ou de l’esprit : «des esclaves». Il faudrait même ajouter que certains vivaient déjà leurs conditions d’esclaves avant d’être livrés aux négriers pour ce cruel commerce triangulaire. Quoiqu’il en soit, ils étaient tous réduits en esclavage et traités comme des biens meubles, se rebel- lant souvent, fort heureusement, par le marronnage, malgré toutes les stratégies mises en oeuvre pour qu’ils acceptent leur sort. Ainsi se développait, en Guadeloupe en l’oc- currence, la conscientisation. Il faut saluer toute démarche qui vise à bien expliquer et faire connaître leur origine, leur passé, à toutes les générations posté- rieures à l’abolition de l’esclavage. Et c’est dans cet esprit qu’on peut comprendre le désir, depuis un certain temps, de désigner ces ancêtres par l’appellation AFRES, qui n’est qu’un sigle signifiant : «Africains Réduits en ESclavage». Autant que cette appellation ne peut être plus claire et exprimer la cruauté active de l’homme envers son semblable, autant qu’elle paraît restrictive dans le temps et peut créer une certaine confusion dans les esprits qui avaient déjà bien inté- grés, en ce quart de siècle du 3 ème millénaire, ce qu’a été l’esclavage donc, ce qu’ont été les esclaves sous nos cieux. Alors découlent quelques inquiétudes. - Ne sera-t-on pas tenté de se de- mander désormais à qui s’adresse cette appellation AFRES et cher- cher à distinguer ces hommes et ces femmes arrachés à leurs terres africaines (des Africains) de ceux qui ont vu le jour sur la terre de Guadeloupe et qui se sont trouvés automatiquement dans la condi- tion d’existence de leurs parents «réduits en esclavage» ?

- En remontant le temps en quête de ses «ancêtres», faudrait-il se fixer une limite dans la recherche de son passé : «grands-parents, arrières grands-parents, aïeux etc» ? Alors, malheureusement, cette appella- tion AFRES n’atteindrait pas tou- jours son but. Donc, oui, quoi qu’en disent les discours, peu accessibles parfois au «commun des mortels», d’uni- versitaires, de sociologues, anthropologues, psychologues, en ce qui me concerne, en toute indépendance et liberté d’esprit, je préfère éviter toute embrouille et pérenniser le concept : «nos ancêtres étaient des esclaves», en ayant bien conscience et en continuant à le faire savoir, que c’était, des hommes et des femmes, à l’origine des Africains réduits en esclavage, des A.F.R.E.S, si on aime les sigles. Cependant, il ne faut pas négliger non plus le fait, qu’au fil des géné- rations, à la faveur des croise- ments humains, du brassage des moeurs et des cultures, la revendi- cation d’être nègre, noir, mulâtre, jaune, blanc… (Que sais-je encore ?), découle aussi d’une posture de l’esprit, d’une prise de position consciente, et non de la géné- tique. En effet, du 28 juin 1635, date du débarquement à la Pointe Allègre à Sainte-Rose des colonisa- teurs Lienard de l’Olive et Jean du Plessis d"Ossonville, à 2019, soit après 384 ans, le sang gaulois est- il vraiment absent dans les artères guadeloupéennes ? Ce n’est qu’une interrogation…