Chlordécone : Un crime d’Etat !

L e Rapport de la Commission d’enquête parlementaire sur le chlordécone ne fait que confirmer la position que nous avons développé dans notre journal en date du 24 octobre 2019

A p rès plusieurs mois de travail, la Commission d’enquête parlementaire sur le chlordécone, présidée par le député martiniquais, Serge Letchimy, a ter- miné ses investigations par l’audition des ministres : Agnès Buzyn, Frédérique Vidal, Annick Girardin et Didier Guillaume.

Au cours des différentes auditions de personnalités politiques, de techni- c iens, des administrations et des associations qui ont précédé celles de ces hauts dirigeants de l’Etat, les langues se sont déliées, des témoignages acca- blants ont été entendus, des accusations ont été formulées.

Mais, l’audition de ces ministres, poussés dans leur dernier retranchement, et informés des vérités déjà enregistrées, a permis de briser l’omerta instauré au plus haut niveau des institutions de l’Etat depuis des années.

La vérité est sortie de la bouche de la ministre des Outre-Mer, Annick Girardin qui a déclaré : «la responsabilité de l’Etat est certaine, reconnue et engagée».

C’est pan, sur le bec du Président Emmanuel Macron ! Qui, lors de sa rencontre, avec les élus des dernières colonies de la France, en pleine crise des gilets jaunes, marqué du sceau de l’arrogance, de paternalisme et de dénigrement, a tenté de minimiser l’agression du chlordécone et de diluer les responsabilités.

La vérité sur le choix délibéré de l’Etat français d’empoisonner les populations de la Martinique et de la Guadeloupe pour servir les intérêts du lobby des bananes s’étale au grand jour et le désigne comme l’auteur du crime.

Il est établi, et la France le savait, que le chlordécone est un pesticide organochloré dont la dangerosité est connue depuis 1960. Interdit de production en 1976 aux USA, classé comme cancérigène probable en 1979 par l’Organisation mondiale de la santé (l’OMS), il est interdit seulement en 1990 en France. Mais, par des dérogations ministérielles successives, il est distribué et utilisé dans les banane- raies, en Martinique et en Guadeloupe, jusqu’en 1993.

Là, on est bien obligé de croire que, pour la bourgeoisie capitaliste qui détient le pouvoir en France, la vie d’un homme «sous les cocotiers» n’a pas la même valeur que celle d’un autre vivant dans le pays du froid.

Voilà pourquoi, nous sommes autorisés à dire : qu’au-delà d’un crime d’Etat, nous avons affaire à un crime colonial.

Il reste à espérer que le rapport qui sera produit par la commission d’enquête sera à la hauteur des attentes des victimes de ce crime.

Les militants et associations qui n’ont jamais renoncé à la lutte pour faire écla- ter la vérité ont remporté une première victoire. Ils ne vont pas s’arrêter là.

Une commission justice et vérité (CJV), initiée par les associations, Vivre, le CRAN, et Lyannaj pou dépolyé Matinik, a lancé une action de mobilisation pour obtenir l’indemnisation du préjudice d’anxiété.

Cette CJV aura une triple mission :

- Rechercher et retracer tous les éléments permettant d’écrire l’histoire du chlordécone. Cela suppose que la loi Secret des affaires soit cantonnée dans le cadre des scandales sanitaires. De plus, il conviendra de mettre à la dispo- sition de tous (du citoyen au chercheur) l’intégralité des documents récupé- rés. Cela n’a rien d’exceptionnel, les USA l’ont fait, dès les années 2000, en mettant en ligne 80 millions de pages de documents internes des fabricants de cigarettes (ProCtor, Golden Holocaust, Fayard, 2014). Ce travail de col- lecte des informations permettra de faire cesser le négationnisme de certains («Je ne savais pas») et d’identifier tous les responsables.

- Mise en place d’un fonds d’indemnisation. Comme pour les dossiers amiante, PIP ou essais nucléaires dans le Pacifique, il conviendra de prévoir une mécanique d’indemnisation équitable et rapide pour permettre à toutes les victimes du chlordécone de se manifester et d’être indemnisées, quelle que soit la nature du préjudice moral, corporel, économique. Ce fonds pourra être abondé par l’État, à charge pour lui de se retourner, le moment venu, contre les co-responsables (fabricants, importateurs, distributeurs et utilisateurs négligents). Cette tech- nique permet une prise en charge immédiate des victimes et laisse aux différents responsables le soin de se répartir la charge de l’indemnisation.

- Élaboration d’un projet économique et écologique pensé en concertation à tous les niveaux mais géré localement, permettant de faire face, à l’avenir, tant en ce qui concerne la qualité de l’eau que notre souveraineté alimentaire. En réorientant les fonds alloués aujourd’hui à la banane, c’est tout le secteur agricole qui peut être modernisé et orienté vers la production locale de pro- duits «bio». Il faut retrouver la force qui est en nous et être fier des produits qui peuvent assurer une plus grande biodiversité.