Les communistes au Kerala

Pour tout visiteur non pré- venu, l’arrivée dans l’Etat du Kerala, petit Etat du sud est de l’Inde peuplé de seulement 32 millions d’habitants, est une vérita- ble surprise. La présence de nom- breuses églises, dans un pays majo- ritairement de religion hindoue, est une première image frappante. Avec 20% de chrétiens le Kerala est en effet l’Etat le plus christianisé de l’Inde et ce, depuis le premier siècle de l’ère chrétienne (le premier évangélisateur était Saint Thomas un des apôtres). Cette évangélisa- tion a touché comme partout ail- leurs les plus modestes, ici les intou- chables, et a directement combattu le système des castes.

Est-ce pour cette raison que l’on a eu le développement de ce qui constitue une des autres originali- tés du Kerala et qui saute aux yeux de tout voyageur ? L’omni pré- sence des communistes. Visibles dans tous les bourgs, les villes et même en pleine campagne, les drapeaux rouges frappés de la faucille et du marteau voisinent avec des posters de Che Guevara et sont la preuve clairement affir- mée de la vitalité du communisme au Kerala. Présents aux affaires de cet Etat d’une façon ou d’une autre depuis plus de cinquante ans les communistes sont revenus à la direction du Kerala en 2016, après une courte parenthèse du parti du Congrès de Sonia Gandhi.

L’alliance de gauche dans laquelle ils sont majoritaires dispose aujourd’hui de 91 sièges sur 140 à l’assemblée de l’Etat contre 47 au parti du Congrès, et… un seul au parti du Premier ministre Modi. De fait, le sud de l’Inde de façon géné- rale n’a pas donné la majorité au parti nationaliste de Narendra Modi (le BJP) aux dernières législatives de 2019 et se trouve être une zone de résistance au parti nationalisme BJP de Modi qui a triomphé à ces élec- tions, partout ailleurs

Mais ce n’est pas la seule origina- lité du Kerala. Ses autres caracté- ristiques sociales en font un exemple dans un pays encore pro- fondément marqué par le sous- développement des campagnes et des villes. En effet, l’Etat du Kerala est en tête dans de nom- breux domaines : alphabétisation égale pour les hommes et les femmes et voisine de 100%, (par comparaison ce taux est de 80% pour les hommes et de 60% pour les femmes en moyenne en Inde), espérance de vie (77 ans au Kerala, 63 ans en moyenne en Inde), mor- talité infantile (12 pour mille au Kerala contre 55 pour mille en moyenne en Inde) etc. Et à cela il faut ajouter un système éducatif gratuit tout comme celui de la santé. Enfin les lois sociales ont fait de cet état le plus attractif en termes de salaires et de défense des droits des travailleurs.

Cet exemple concret et de longue durée d’une politique progressiste coexiste avec la présence de sociétés capitalistes indiennes ou occidentales, comme Tata un des premiers producteurs de thé du monde (dont les activités très variées vont de la voiture à la pro- duction de laitage).

Cette anomalie géopolitique est plu- tôt rassurante dans un contexte général de virage à droite dans le monde entier. Il montre qu’une poli- tique progressiste a toute sa place dans les conditions historiques actuelles. Elle joue également com- me un antidote au fatalisme que l’on nous vend à longueur de journée sur les média de la pensée unique. Si ces médias ne parlent pas du Kerala c’est d’ailleurs pour une raison assez sim- ple. L’espérance est contagieuse.